Toutes les molécules de gras sont faites en suivant grosso modo le même plan général, c’est-à-dire comme une longue chaîne d’atomes de carbone qui se suivent à la queue-leu-leu, et auxquels s’accrochent des atomes d’hydrogène. Quand tous les carbones ont deux hydrogènes (il ne peut y en avoir plus que deux par atome de carbone), alors on parle de gras «saturé». À l’inverse, quand il «manque» des hydrogènes dans la chaîne, on parle de gras «insaturés».
Nombre d’études ont associé les premiers à des problèmes cardiaques, alors que les gras insaturés ont un effet protecteur pour le cœur. Ainsi, quelqu’un qui remplacerait par exemple sa consommation de beurre (environ 65 % de gras saturés et 25 % d’insaturés)par de l’huile d’olive (environ 10-15 % de gras saturés seulement) pourrait s’attendre à réduire son risque cardiovasculaire.
De ce point de vue, l’huile de canola n’a pas grand-chose à envier à l’huile d’olive, puisque elle non plus ne contient vraiment pas beaucoup de gras saturés — moins de 10 %, selon le site de l’Université Oklahoma State, mais notons que ça peut quand même varier un peu d’une étude à l’autre. Comme d’autres huiles végétales, l’huile de canola contient également des omégas-3, eux aussi considérés comme bénéfiques pour la santé.
Plusieurs travaux ont d’ailleurs confirmé que, du point de vue cardiovasculaire, les deux huiles avaient des effets très semblables. Par exemple, une étude parue en 2021 dans BMC – Medicine a analysé la consommation auto-déclarée de différentes graisses et la mortalité due à des problèmes cardiaques dans une cohorte de plus de 500 000 personnes (50-71 ans) qui ont été suivies pendant une quinzaine d’années. Résultat : pour chaque tranche de 15 ml (1 cuillerée à table) de beurre, le risque de mourir d’un problème cardiaque augmentait de 8 % par rapport à la moyenne, alors que c’était -2 % par cuillerée d’huile de canola (mais l’écart n’était pas significativement différent de la moyenne, d’un point de vue statistique) et -4 % pour l’huile d’olive.
D’autres travaux ont suggéré que l’effet protecteur pourrait être légèrement plus grand pour l’huile de canola que l’huile d’olive. Une «méta-analyse» (soit une recherche qui regroupe les résultats de plusieurs études sur une même question) publiée en 2018 dans le Journal of Lipid Research a trouvé que la consommation d’huile de canola semblait réduire légèrement plus le «mauvais cholestérol» sanguin que l’huile d’olive — mais encore ici, l’écart n’était pas tout à fait statistiquement significatif.
Et d’autres travaux encore, qui ont examiné plus en détails les effets de ces deux huiles chez des patients à risque, ont conclu que l’huile de canola avait des avantages que l’huile d’olive n’avait pas, et vice-versa.
Bref, tout indique que l’huile de canola a à peu près les mêmes avantages pour la santé du cœur que l’huile d’olive, et que si différence il y a entre les deux, elle doit être plutôt mince.
Et les «risques» ?
Alors s’il a été si bien démontré que c’est bon pour le cœur, pourquoi trouve-t-on des articles qui avertissent des dangers de l’huile de canola ? Une partie de ces craintes a des raisons historiques qui ne sont plus valides, lit-on sur le site de l’École de santé publique de l’Université Harvard.
C’est que la fabrication de l’huile végétale — quelle que soit la plante — implique souvent des procédés de raffinage qui vont rendre l’huile incolore et inodore. Pour ce faire, on chauffe l’huile de canola à des températures de 200 °C sous vide, ce qui a pour «effet secondaire» de convertir une partie des omégas-3 bénéfiques en une autre sorte de gras, mais néfastecelle-là : les gras trans. Historiquement, l’huile de canola contenait d’ailleurs une forme de gras trans particulièrement mauvaise, mais les procédés ont été modifiés afin d’en réduire autant que possible les concentrations.
Si bien qu’aujourd’hui, toujours selon l’École de santé publique de Harvard, l’huile de canola contient peu de gras trans, soit de 2 à 3,5 %, ce qui est un peu plus que l’huile d’olive (0,5%) ou de tournesol (1%), mais comparable à certaines autres huiles végétales comme l’huile de noisette (2-4 %) et un peu moins que le beurre (4 %).
Cachez ces solvants...
Une autre raison pour laquelle l’huile de canola a mauvaise réputation dans certains milieux est l’utilisation de solvants lors de sa fabrication, mais ces craintes-là non plus ne sont pas fondées. On peut en effet difficilement l’obtenir par simple pression, comme on le fait pour l’huile d’olive vierge ou extra-vierge, du moins pas en grandes quantités. On se sert doncd’un solvant d’origine pétrolière nommé hexane, qui va séparer les graisses des graines — comme on le fait d’ailleurs pour beaucoup d’autres huiles végétale, notamment l’huile d’olive «pas vierge». On sépare ensuite l’hexane afin de l’utiliser de nouveau, mais il en reste toujours des traces dans l’huile de canola : environ 0,8 parties par million.
Comme il a été montré que l’hexane a des effets toxiques pour le système nerveux — mais à des doses beaucoup, beaucoup plus élevées que ce qu’on trouve dans n’importe quelle huile végétale —, certaines sources douteuses prétendent qu’il y a là un danger pour la santé. C’est le cas par exemple de la blogueuse américaine Vani Hari, alias Food Babe, mais disons que ça n’est qu’un autre exemple des positions inutilement alarmistes et pseudo-scientifiques qu’elle a adoptées à répétition sur bien des sujets au fil des années.
On trouve de l’hexane dans bien des produits, notamment dans l’essence. La principale voie d’exposition du public, c’est de loin l’inhalation (normal, pour un composé aussi volatile), si bien que l’«exposition venant d’autres sources (eau potable, sols) et de la nourriture ne contribue pas significativement à l’exposition totale», indique Environnement Canada.
Un rapport européen de 2017 est parfois cité en preuve des dangers de l’hexane dans l’huile. Or s’il a bien identifié des catégories de produits qui pourraient exposer le public à des niveaux problématiques d’hexane, quand on lit le document lui-même et qu’on consulte la liste de ces catégories, on se rend compte qu’aucune source alimentaire n’y figure : seulement des «adhésifs et scellants», désinfectants, peintures et autres choses du genre. On n’a aucune raison de penser que les traces présentes dans l’huile végétale peuvent poser un danger.
Mais tout de même, il se trouve d’authentiques savants qui plaident pour que l’on réduise l’usage de l’hexane dans l’industrie alimentaire. Ainsi, en 2022, les auteurs d’un article publié dans la revue savante Foods ont rappelé que si l’on connaît bien les effets néfastes de l’hexane quand il est inhalé, on a peu très peu étudié sa toxicité lorsqu’il est avalé.
Ça se défend. Mais comme la nourriture ne représente tout au plus 2 % de notre exposition totale à l’hexane, d’après Environnement Canada, et que plus de 95 % vient de l’air (surtout à l’intérieur), il serait bien étonnant que les huiles végétales comptent pour grand-chose dans tout ça. Peut-être que de futures études viennent (éventuellement) démontreront le contraire un jour mais, d’ici là, il me semble raisonnable de présumer que les faibles traces d’hexane présentes dans l’huile de canola sont sans danger.
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