Pour sa mise à jour économique 2023, la ministre Chrystia Freeland a fait preuve d’une frugalité qu’on ne lui connaissait pas. Elle s’autorise certes des dépenses supplémentaires -qu’elle finance encore à crédit-, mais elle reporte la majorité de celles-ci à 2025 ou au-delà, soit juste à temps pour l’élection. Aucun doute: les dynamiques partisanes de l’heure ont façonné la logique de ce nouvel opus financier.
Commençons d’abord par la bonne nouvelle. Alors qu’à pareille date l’an dernier, le ministère des Finances du Canada prédisait une légère récession, il n’en est plus question. On s’attend plutôt à une «croissance modérée» de l’économie au cours des prochains trimestres. La situation financière du gouvernement fédéral continue néanmoins de se détériorer. Comme cela est devenu la norme à chaque fois qu’Ottawa met ses chiffres à jour, les déficits projetés pour les prochaines années sont plus élevés que ce qui avait été prévu.
Épargnons-nous la ventilation annuelle pour résumer ainsi: dans le budget du printemps dernier, Ottawa prévoyait des déficits pour l’année en cours et les quatre prochaines totalisant 131,7 milliards$.
Dans la mise à jour déposée mardi, ces cinq déficits totalisent désormais 167,6 milliards$, pour une hausse de presque 36 milliards$ ou 27%. La moitié de ces milliards sont requis à cause de la détérioration de la situation économique tandis que l’autre moitié servira à financer les nouvelles dépenses.
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Ces nouvelles dépenses reflètent d’ailleurs les pressions qu’exerce l’opposition sur le gouvernement. Sans surprise, on fait la part belle au logement.
Plusieurs des nouveautés ont fait l’objet de fuites au cours des derniers jours. Mais les fuites médiatiques ne sont jamais gratuites. Elles permettent au gouvernement de contrôler le message en ne divulguant que ce qui fait son affaire et en gardant pour plus tard (quand notre intérêt se sera émoussé) les détails susceptibles d’être moins populaires.
Ainsi, quand on y regarde de plus près, on constate que 98% des nouvelles sommes annoncées pour le logement sont prévues pour l’année 2025-26 ou après. C’est le cas notamment de l’aide prévue pour financer la construction de logements locatifs. Les 15 milliards$ dont tout le monde fait état depuis quelques jours sont en fait un ajout à un programme existant (le Programme de prêts pour la construction d’appartements) déjà doté de 25 milliards$. Le programme est donc porté à 40 milliards$, mais la période pour débourser ce montant est prolongée de quatre années. Ce n’est pas une injection immédiate de fonds.
Pour ce qui est de cette nouvelle Charte hypothécaire canadienne promise, elle ne comportera absolument rien de nouveau, du moins s’il faut en croire les fonctionnaires présents au huis clos. Il s’agit plutôt de coucher sur papier, dans un langage plus clair pour le consommateur, des normes que le secteur bancaire est déjà tenu de respecter (par exemple permettre temporairement le prolongement jusqu’à 40 ans de la période d’amortissement ou encore interdire la facturation d’intérêts sur les intérêts impayés lorsqu’un propriétaire se retrouve avec une période d’amortissement négatif).
Quant à cette idée de combattre l’offre illégale de logements touristiques de type Airbnb en abolissant la déductibilité des dépenses encourues pour générer les revenus de location, on admet en coulisses ne pas encore savoir comment l’Agence du revenu du Canada s’y prendra pour déterminer si un tel logement se trouve ou pas dans une zone interdite. Cela suppose une coopération avec les villes et les provinces dont les détails restent à venir. Ottawa promet toutefois 50 millions$ sur trois ans aux villes pour les aider à combattre ces logements illégaux. Il faudra négocier avec le Québec, qui ne permet pas de collaboration directe entre Ottawa et les municipalités.
Des bonbons et le bâton
La mise à jour économique fera plaisir au NPD, partenaire de quasi-coalition de Justin Trudeau, en promettant quelques mesures de protection des consommateurs. Il s’agit de limiter les frais bancaires pouvant être facturés en cas d’insuffisance de fonds, d’encadrer les frais d’itinérance des forfaits cellulaires ou encore d’obliger les compagnies aériennes à offrir sans frais aux jeunes de moins de 14 ans un siège à côté de leur accompagnateur. Mais encore là, tout cela n’est pas pour demain. La mise à jour nous promet tout au plus des annonces… dans le prochain budget. Jagmeet Singh y verra peut-être des raisons supplémentaires pour patienter avant de retirer sa confiance aux libéraux minoritaires.
Il y a au moins un élément qui risque de faire grincer des dents certaines provinces. Ottawa entend les forcer à permettre la libre circulation des professionnels de la santé partout au pays. Comment? En rendant conditionnel le versement de certaines sommes destinées à la santé. Est-ce la raison pour laquelle une seule province a signé jusqu’à présent son entente bilatérale avec Ottawa sur le réinvestissement en santé (la Colombie-Britannique) et que le Québec, lui, n’a encore même pas signé l’entente de principe? En tous cas, voilà un engagement -la mobilité de la main-d’œuvre- qui risque de faire plaisir au chef conservateur Pierre Poilievre, qui tape beaucoup sur ce clou.
Le Bloc québécois, pour sa part, ne trouvera à peu près rien dans cet énoncé économique pour lui plaire. Tout au plus Ottawa annonce une bonification d’au plus quatre semaines des prestations d’assurance-emploi pour certains travailleurs saisonniers. La mesure ne durera qu’une année.
Les médias, qui annoncent les uns après les autres des mises à pied ces jours-ci, trouveront un baume dans le document. Ottawa bonifie le crédit d’impôt qu’il leur accorde, et ce pour quatre ans. Non seulement le taux de subvention des salaires des journalistes passera de 25% à 35%, mais le salaire admissible bondira de 55 000 $ à 85 000$. Concrètement, cela signifie qu’un média pourra recevoir jusqu’à 29 750$ par année pour chacun de ses journalistes admissibles. Cette mesure coûtera 129 millions$ supplémentaires sur cinq ans et ne fera rien pour apaiser les critiques qui estiment que cette contribution gouvernementale entame l’indépendance des reporters.
Au final, toutes ces dépenses finiront par peser. La dette du Canada continuera de s’alourdir. Elle totalisera 1216 milliards$ cette année et 1362 milliards$ dans cinq ans. Elle était de 634 milliards en 2015 lorsque les libéraux de Justin Trudeau ont pris le pouvoir. Ces déficits accumulés coûtent d’ailleurs de plus en plus cher en frais d’intérêts chaque année: 46,5 milliards$ dès cette année, mais presque 61 milliards$ dans cinq ans. Ce sera alors presque le triple de ce qu’on payait en 2021. Il faut y voir l’effet conjugué de la croissance de la dette et de la hausse des taux.
N’empêche que le gouvernement continu de dire que la situation s’améliore parce que le ratio de sa dette par rapport à la taille de l’économie (PIB) continuera de diminuer. La baisse sera très légère, soit de 42% à 41,6% en un an, mais Mme Freeland s’accroche à ce fléchissement, qu’elle présente comme la preuve de sa bonne gestion financière.
Ottawa ralentit donc le rythme des nouvelles dépenses, mais il ne réduit pas pour autant ses dépenses courantes. Ou alors si peu. Déjà dans le précédent budget, le gouvernement fédéral planifiait retrancher à l’interne 15,4 milliards au cours des cinq prochaines années. Il ajoute avec cette mise à jour économique 1,7 milliard$ supplémentaire, mais là encore, cette somme ne devra être trouvée que dans trois ans. Au terme des deux exercices combinés, les dépenses annuelles d’Ottawa seront 4,8 milliards$ inférieures au scénario du statu quo. Si on s’en était tenu au plan du dernier budget, on parlerait plutôt de 4,1milliards.
Quand on garde à l’esprit qu’Ottawa dépense chaque année environ 500 milliards$, on réalise à quel point c’est peu. Et on est bien obligé de conclure qu’il n’y a rien dans le document présenté par Mme Freeland qui change foncièrement l’identité financière de son gouvernement, soit celle d’un gouvernement incapable d’appliquer les freins.
Hélène Buzzetti a publié en début d’année l’essai Plaidoyer pour l’extrême centre aux éditions Art Global. Elle sera au Salon du libre de Montréal ce dimanche 26 novembre, de 13h à 14h pour une séance de signature.