Sous le prétexte de revoir le projet de tramway qu’il dit trouver trop cher, voici qu’il relance la chimère du troisième lien et demande à la Caisse de dépôt (CDPQ Infra) de forger une légitimité au projet.
J’ai relu la définition de chimère : monstre fabuleux de la mythologie grecque, à tête et poitrail de lion, à ventre de chèvre et à queue de dragon. C’est bien le mot qui convient.
La « commande » à la Caisse est inscrite entre les lignes (en caractères gras) dans la lettre du mandat signée par la ministre des Transports Geneviève Guilbault : « améliorer la mobilité et la fluidité dans la Communauté métropolitaine de Québec, notamment entre les deux rives ». L’intention ne fait pas de doute.
Le gouvernement de la CAQ avait pourtant conclu le printemps dernier qu’il n’y avait pas de données pouvant justifier un tunnel autoroutier Québec-Lévis dans l’axe du centre-ville.
Il demande aujourd’hui à la Caisse de dépôt de refaire les analyses avec l’espoir, j’imagine, qu’elle arrive dans six mois à une conclusion différente.
Même scénario pour le « tramway ».
Le gouvernement a rejeté il y a quelques semaines le scénario à 8,4 milliards de dollars que lui proposait l’administration Marchand.
Il semble croire que la Caisse pourra en six mois lui proposer un meilleur projet à meilleur coût.
Qu’elle arrivera à un résultat différent, sur la base des mêmes études qui ont pourtant déjà toutes conclu qu’un tramway était le meilleur mode de transport structurant pour Québec.
Pour réaliser un tramway moins cher, il faudrait renoncer à vider le sous-sol sous la voie ferrée, ce qui mettrait la fiabilité en péril au moindre bris d’aqueduc ou de conduite de gaz.
Ou alors, il faudrait raccourcir la ligne, ce qui ne serait pas très logique.
Une des explications à la faible acceptabilité du projet est que les citoyens de la périphérie n’y trouvaient pas leur compte. Mais pour augmenter l’adhésion dans les couronnes, il faudrait améliorer l’offre de service, pas la réduire.
Planifier par exemple d’autres lignes de tramway, de SRB ou d’autobus en voies exclusives comme cela est prévu déjà, mais tarde à être mis en œuvre. Augmenter l’offre ne va cependant pas diminuer les coûts.
Si le gouvernement en venait quand même à vouloir raccourcir la ligne, le plus probable serait de couper à l’est, entre le centre-ville et D’Estimauville. Ce serait ironique, car c’est la CAQ qui a insisté il y a quelques années pour détourner le tramway vers D’Estimauville (plutôt qu’à Charlesbourg). Mais on n’en serait pas à une première incohérence dans cette affaire.
Couper le tronçon de l’ouest paraît difficile. Quels que soient les véhicules retenus, il faudra un garage et c’est près de l’avenue Le Gendre que l’espace est disponible.
Le mandat à la Caisse invite à une analyse large de la mobilité et de la fluidité dans l’ensemble de la Communauté métropolitaine de Québec.
Une bonne idée en principe.
Sauf si cela a pour conséquence de paralyser un tramway prêt à partir pour attendre le projet primitif de troisième lien.
Cela a été dit déjà, mais il importe de le rappeler. Si la décision tarde trop, le financement fédéral pourrait ne plus être là. Ni pour un tramway, ni pour un métro, un SLR, un SRB, ou tout autre engin qui pourrait sortir de l’imagination de la Caisse.
Il est dans l’intérêt général d’arrimer les infrastructures et l’offre de transport sur les territoires de Québec, des couronnes et de la Rive-Sud. Cela implique un plan d’ensemble.
On peut trouver que six mois c’est bien court pour y arriver, mais la Caisse ne partira pas de rien.
La Ville de Québec a notamment produit en 2010 un plan de mobilité durable de portée régionale. Le MTQ, la Ville de Lévis, des universitaires et professionnels ainsi que les sociétés de transport des deux rives y avaient contribué.
Ce fut à mon avis, un des héritages les plus importants du maire Labeaume à sa ville. C’est un des rares documents papier que j’ai toujours conservés dans ma bibliothèque.
L’objectif était de doubler la part modale du transport en commun avant 2030. On ne manquait pas d’ambition.
L’élément central de ce plan était la création de deux lignes de tramway : une première de Lévis à D’Estimauville, en passant par le pont de Québec et le boulevard Charest; une seconde de Charlesbourg à la colline parlementaire. Les lignes se croisaient dans Saint-Roch.
Plusieurs scénarios pour la Rive-Sud avaient été évoqués, le plus audacieux étant de mener le tramway jusqu’au campus de Desjardins à Lévis et sur la route des Rivières à Saint-Nicolas.
Faute d’appui financier du gouvernement, le tramway, a été remplacé par un SRB, puis, complètement abandonné lorsque Lévis s’est retiré du projet.
Une nouvelle mouture de tramway est apparue au printemps 2018, cette fois limitée au territoire de Québec. C’est ce projet que le gouvernement Legault vient de mettre entre parenthèses.
J’ai toujours regretté l’abandon du tronçon de tramway destiné à Lévis. Je crois encore que ce serait le meilleur moyen d’améliorer la mobilité et la fluidité entre les rives. Pour beaucoup moins cher que le troisième lien autoroutier envisagé par la CAQ. Et dans un axe origine-destination beaucoup plus pertinent
Si la Caisse de dépôt en venait à suggérer de « ramener » le tramway vers la Rive-Sud plutôt que la liaison prévue par autobus, je trouverais que l’exercice aura valu la peine. Resterait à en convaincre le gouvernement.
Pour passer ce tramway, il faudrait utiliser une des voies de circulation du pont de Québec. Peut-être même deux, si on voulait inclure une vraie piste cyclable. Une grosse commande pour un gouvernement dont le courage n’est pas le trait de personnalité dominant. Un euphémisme.
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Outre le lien interrives, il est probable que la Caisse proposera d’ajouter des voies exclusives de transport en commun sur les autoroutes menant aux banlieues de Québec.
C’était dans le plan de 2010; c’était dans les plans de « retour » du tramway en 2018 et c’était aussi dans le plan de Réseau express de la Capitale de la CAQ en 2021.
À la différence du tramway, cette mesure ne demande pas d’audace ou de courage particulier. Juste de s’enlever les doigts du nez.
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Le recours à la Caisse de dépôt pour gérer le mal de vivre politique du gouvernement Legault continue d’étonner. « Bizarre ». Le mot revient beaucoup.
« C’est un mandat pour des experts en mobilité. Pas pour des banquiers », observe Pierre-André Hudon, professeur de management à l’Université Laval.
La Caisse n’a pas démontré qu’elle était plus habile pour les enjeux d’urbanisme, constate le professeur aux HEC Jacques Roy.
À la demande de la Ville de Québec, M. Roy a examiné il y a quelques années l’analyse comparative de la firme française Systra produite pour le Bureau de projet du tramway. Le document comparait les modes du métro, du SLR, du tramway et du monorail.
M. Roy est aussi venu voir à Québec le tracé proposé. Il a été, dit-il, « favorablement impressionné » par le travail du Bureau de projet. Sa conclusion a rejoint toutes les autres études : le mode « le plus approprié pour Québec » est bien le tramway.
Le premier ministre Legault y sera-t-il sensible, lui dont les convictions virevoltent comme les feuilles d’automne dans le vent?
« Ce que je veux d’abord, c’est un beau projet de transport structurant qui va plaire aux gens », a jeté le premier ministre en rejetant la proposition de tramway de la Ville.
On apprécie la belle intention, mais on a appris à se méfier. Et à se souvenir. Ce gouvernement devra un jour passer à la caisse.
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