
Maladie d’Alzheimer: quand l’oubli prend toute la place
La première personne que Johanne a oubliée est son conjoint, qui faisait alors des pieds et des mains pour être à la maison le plus souvent possible et trouver des aidants pour l’épauler.
Johanne a commencé à changer en 2010, alors qu’elle faisait des erreurs à son travail, ce qui entraînait certains conflits.
À la suggestion de son conjoint, elle a laissé son travail pour se reposer. Ils croyaient à un épuisement professionnel. Elle n’a jamais travaillé de nouveau, mais rien ne laissait présager à ce moment que l’Alzheimer faisait tranquillement son chemin.
Son état changeait de plus en plus, raconte le Sheffordois. Son sens d’orientation commençait à diminuer, par exemple. Elle s’est ensuite perdue une première fois en 2014.
« Je voyais que quelque chose se passait, mentionne le technicien en électronique chez Teledyne Dalsa. J’en ai parlé à sa famille. Ils ont commencé à passer plus de temps avec elle et ils se sont rendu compte qu’elle avait commencé à répéter souvent la même chose. »
Ils ont réussi à la convaincre, non sans difficulté, de consulter à la clinique de la mémoire. « Ils ont regardé pour les métaux lourds, la maladie de Lyme, ils ont fait un scan du cerveau pour voir si elle n’avait pas quelque chose, énumère-t-il. Elle était jeune. Avoir eu 70 ans, elle n’aurait pas passé tous ces tests-là. »
Le diagnostic de l’Alzheimer n’est pas le premier à traverser l’esprit des médecins pour une patiente de moins de 50 ans. Mais un neuropsychiatre en est arrivé à cette conclusion, vers la fin de 2015.
Le travail de M. Guertin, seul revenu du couple, a été affecté par ces multiples rendez-vous, si bien qu’il n’a eu d’autres choix que d’aviser son employeur. Celui-ci a tout fait pour l’accommoder et lui permettre de prendre soin de sa conjointe.
« C’est en 2016 que ça s’est corsé. Deux fois, elle m’a appelé parce qu’elle ne savait plus où elle était. La deuxième fois, elle était à 3 minutes de la maison. Je suis devenu hyper stressé au travail. »
Elle commençait également à l’oublier, ce qui a créé son lot de problème en plus d’être un choc. « Elle me reconnaissait, elle savait que j’étais son conjoint, mais des fois, elle ne le savait plus. Elle commençait à m’oublier un peu. Ça a été le début des pires moments de ma vie. »
Il était devenu sans s’en rendre compte un aidant naturel, en plus de continuer à travailler. Épuisé, il a été placé en arrêt de travail. Mais le travail à la maison n’était pas terminé. C’est à ce moment qu’il a réalisé qu’il avait besoin d’aide et que Johanne ne pouvait plus rester seule.
Trouver de l’aide
Au bout d’un moment, le CLSC lui a accordé 27 heures pour avoir de l’aide à la maison, mais c’était à lui qu’incombait la tâche de trouver des aidants, ce qui lui semblait alors être une montagne impossible à surmonter.
Avec sa sœur et ses belles-sœurs — sans salaire — ainsi qu’une amie à la retraite, puis d’autres employés qui sont venus aider à l’occasion, il a réussi à alléger le poids sur ses épaules et à reprendre le dessus. « Mais je n’arrivais jamais à mes 27 heures. »
En janvier 2018, il a dû retourner travailler. Mais « Johanne a commencé à vouloir fuguer. Elle ne reconnaissait pas la maison. Elle pouvait passer des journées assises dans le hall. Elle attendait que quelqu’un vienne la chercher. Il devait toujours y avoir quelqu’un à la maison. »
Placer sa conjointe
Il a mis le nom de sa conjointe sur une liste d’attente pour un centre qui pourrait l’accueillir. « Je ne pouvais pas la garder à la maison. »
Un événement survenu le 3 janvier 2019, à 6 h 30, a élevé le niveau de priorité de Johanne.
« Je pense que je ne l’oublierai jamais, cette date-là, confie M. Guertin. Johanne est sortie dehors pas de manteau. Il faisait à peu près -20 dehors. Je venais juste de sortir de la douche quand j’ai entendu la porte fermer. Elle était rendue au bord de la 241 et elle grelottait. J’attendais une aidante ce matin-là, mais j’ai pris 2 h avant d’aller travailler. Il fallait que je décompresse. »
Il a laissé un message à l’intervenante avec qui il faisait affaire au CLSC. Dès son retour de congé, elle l’a contacté, inquiète pour lui.
« Le 23 janvier, elle m’a appelée pour me dire qu’elle avait trouvé une place pour Johanne », ajoute-t-il en étouffant un sanglot.
Elle y est restée quelques mois, jusqu’à ce que son cas devienne trop lourd pour le centre. Finalement, une place lui a été trouvée au CHSLD Villa-Bonheur le 12 août dernier.
Colloque pour les proches aidants
Dans les derniers mois, Alain Guertin a retrouvé son énergie, même s’il demeure fragile. Bien qu’il aime sa conjointe, qu’il a rencontrée en 1994, les années de maladie ont été difficiles autant pour elle que pour lui.
« Le défaut des proches aidants, c’est de penser trop à l’autre, pas assez à soi-même, souligne-t-il. En 2017, quand je suis allé voir la Société Alzheimer Granby et région, j’avais suivi des formations. T’apprends que si tu passes 10 h à t’occuper de ton proche, tu dois passer le même nombre d’heures pour tes activités personnelles. C’est facile à dire… Mais ça a été de l’organisation. »
Il a notamment pu profiter des services de l’organisme, qui tiendra un colloque le 4 octobre prochain, sous le thème de la conciliation proche aidance et travail, et M. Guertin invite toute personne vivant une situation similaire à la sienne à ne pas hésiter d’y participer ou de demander de l’aide.