Le texte, qui commence par la phrase «Aucun enseignant ne quitte la profession principalement à cause du salaire» et dans lequel elle énumère notamment les 10 raisons qui auraient fait en sorte qu’elle ne quitte pas le métier l’an dernier après 17 ans de carrière, a rapidement fait le tour du web et attiré l’attention des médias ainsi que de gens du milieu.
Alors que les négociations battent leur plein et qu’une grève générale illimitée sera déclenchée par ses anciens collègues, elle plaide qu’elle ne pouvait garder le silence et regarder passer la parade. Elle a senti le besoin de s’exprimer en détail. Son message devait au départ être privé et non public, mais elle a changé d’idée après que plusieurs lui aient dit se reconnaître dans ses propos.
«Les enseignants ne peuvent pas parler, ils sont liés par une omerta qui est réelle et troublante. Moi, je ne suis plus lié par cette omerta-là et je trouvais que c’était un devoir de leur prêter ma voix pour que les gens sachent vraiment ce qui se passe sur le terrain. Prof un jour, prof toujours», s’exclame-t-elle d’emblée en entrevue avec Le Droit, avouant avoir «pris son courage à deux mains».
Celle qui œuvre dorénavant au gouvernement fédéral après avoir travaillé auprès d’élèves du secondaire soutient qu’il faudra un jour finir par faire la distinction entre «des enseignants qui crient à l’aide, veulent plus de ressources pour que les élèves réussissent» et «un enseignant qui manque de loyauté envers son employeur».
«Si les dirigeants (en éducation) ferment leurs yeux, ne veulent pas entendre ce qu’il y a sur le terrain, comment voulez-vous que les choses avancent?», clame-t-elle, rappelant que l’éducation est le pilier d’une société et qu’il est prouvé qu’on règle divers autres problèmes en y investissant davantage.
De l’espoir que ça change
Mme Lamoureux se dit encore plus réconfortée dans son choix d’avoir délaissé le navire en 2022 lorsqu’elle voit les discussions qui stagnent entre les parties en ce moment.
«J’y ai pensé des années et des années avant de quitter, je suis allée jusqu’au bout. Mon médecin voulait que je parte ça faisait longtemps et je persévérais. On rêve tous de faire une carrière de 35 ans et sortir par la grande porte. J’avais toujours espoir que ça change, on a tous espoir que ça change. Puis, avec le recul, quand j’ai analysé les 17 années où j’étais là, je me suis dit: ça ne s’est pas amélioré, ça n’a fait qu’empirer. [...] J’ai pris la bonne décision», explique-t-elle.
Celle qui a participé le printemps dernier au documentaire L’école autrement, diffusé sur Télé-Québec, admet même s’esclaffer lorsqu’elle repense aux collègues, qui, à l’époque, tentaient de la rassurer en lui disant qu’on avait peut-être atteint un creux parce qu’on ne pouvait avoir «pire que Jean-François Roberge» comme ministre de l’Éducation.
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Des dizaines et des dizaines d’anciens collègues lui ont écrit pour lui dire que son texte reflétait exactement leurs propres pensées, «qu’on dirait (qu’elle) était dans (leur) tête».
«C’est une libération, ça me soulage que ce soit enfin su. La vague de solidarité entourant cette publication m’a beaucoup réconforté. J’ai vraiment touché à quelque chose de central, je ressens beaucoup de gratitude. [...] Je voulais que ce soit complet, mais positif aussi, en apportant de vraies pistes de solution, avec un modèle comparatif et les choses que les enseignants veulent, qui ne sont pas du tout liées au salaire», dit-elle.
Edith Lamoureux se dit convaincue que si les demandes salariales étaient réduites moitié et qu’on offrirait d’investir le reste dans les conditions de travail, l’ensemble du corps enseignant signerait le contrat, même si certains aspects ne peuvent être réglés du jour au lendemain. Selon elle, à force de toujours utiliser l’excuse de la pénurie de main-d’oeuvre pour justifier les problèmes, on ne progressera jamais.
Un blâme envers médias et syndicats
Si l’ancienne enseignante reproche aux médias d’accorder trop d’importance à la demande sur les «foutus salaires», un côté qu’elle trouve «enrageant», elle ne nie pas qu’elle blâme aussi à la base les syndicats de mettre trop d’accent sur ce volet. Une stratégie qui contribue à alimenter certains commentaires dans la population et à nuire à certains appuis, pense-t-elle.
«Je trouve qu’ils nous tirent dans le pied énormément en ne mettant pas l’accent sur les bonnes choses. J’imagine que le salaire est mis de l’avant parce que c’est vendeur, qu’on est dans une période d’inflation, etc. Mais on aurait besoin d’un appui beaucoup plus fort des syndicats et qu’eux aussi parlent des vraies choses», note-t-elle, précisant qu’il en coûte tout de même environ 850$ par an en cotisations syndicales.
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La Gatinoise, qui travaille aujourd’hui au sein de la fonction publique fédérale, affirme que ce tournant dans sa vie professionnelle a été un cadeau et qu’elle réalise encore davantage à quel point ces anciennes conditions de travail avaient un impact sur sa santé psychologique.
«C’est l’endroit le plus humain, j’ai jamais été traitée avec autant de respect, de considération, même de sensibilité. [...] Nous ne sommes tellement pas habitués d’être bien traités comme ça qu’on pense que les mauvaises conditions de travail, c’est normal. [...] Aussitôt qu’on a un pas de recul et qu’on voit ce qui se fait ailleurs, on tombe des nues», lance Mme Lamoureux.
«J’ai jeté mes antidépresseurs»
La principale intéressée admet en toute transparence qu’elle a dû prendre des médicaments lors des sept dernières années de sa carrière d’enseignante pour se sentir mieux, en raison notamment de l’anxiété et de l’agoraphobie.
«J’étais obligée d’être gelée, entre parenthèses, pour aller travailler, parce que la pression était très, très forte et la journée où j’ai démissionné, j’ai jeté mes antidépresseurs dans les poubelles. Je n’en prends plus», confie-t-elle.
Selon elle, la quasi-totalité de ceux qui quittent le milieu comme elle ne le font pas par manque de passion, bien au contraire.
«Ce sont les élèves qui nous tiennent là aussi longtemps. On quitte parce que c’est une incapacité physique et mentale qui éventuellement se développe», raconte l’ex-enseignante, qui se rappelle que son époux lui ait déjà demandé si les enseignants «100% heureux, en forme» existent.
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Dans son long message sur les réseaux sociaux, Edith Lamoureux indique que même si les enseignants québécois sont encore les moins bien payés au pays et qu’il faut cheminer à ce sujet, il faut surtout améliorer les conditions de travail.
«Contrairement à ce que le gouvernement pense, l’argent ne règle pas tout. Je ne serais pas restée en enseignement pour 500 000$ par année dans les mêmes conditions. Oui, ça prend un salaire décent, représentatif de la formation post-secondaire qu’ont les enseignants et de l’importance cruciale de leur métier dans la société. Mais le salaire, ce n’est pas tout dans la vie. Les conditions de travail importent encore plus», écrit-elle.
Avant de démissionner, l’enseignante n’a jamais atteint le sommet de l’échelle salariale (92 000$) parce qu’elle avait demandé à être rémunérée à 80% pendant cinq ans afin de prendre une «pause» en 2023-2024 grâce à une année sabbatique, qu’elle considérait comme un «rêve». Or, elle ne s’est jamais rendue jusqu’à cet objectif puisqu’elle a demandé un congé de maladie puis s’est «effondrée avant».
10 raisons
Parmi les 10 raisons qui auraient pu la convaincre de rester en poste, tout comme d’autres, elle mentionne la diminution importante du nombre d’élèves par classe, le retour des classes spécialisées «afin que les jeunes ayant divers troubles d’apprentissage et de comportement puissent vivre des réussites», le recours au télétravail lorsque possible en dehors des heures de cours, davantage de libération en temps, la bonification du nombre de jours de maladie et des investissements plus massifs dans les bâtiments. La protection de l’autonomie professionnelle et l’ajout de ressources en appui aux enseignants sont aussi de la liste.
Avoir accès à plus de ressources pour les appuyer…pour qu’ils puissent faire réellement ce pour quoi ils sont payés : enseigner. Ils ont besoin d’orthopédagogues, de divers spécialistes, des psys, des intervenants et pourquoi pas des aides-enseignants comme en Ontario?
Malgré les travers du système, elle rappelle que «plusieurs sont encore passionnés et aiment leur métier».
«Mais ça reste un métier, pas une vocation. Arrêtons d’utiliser ce mot pour justifier de ne rien améliorer. On n’est plus dans Les Filles de Caleb», nuance-t-elle.
Quant à ceux – parents ou non – qui critiquent les enseignants en les accusant de se plaindre pour rien, elle a aussi un message à leur lancer.
«Connaissez-vous vraiment la réalité des enseignants? Ce n’est pas parce que vous êtes allés à l’école dans votre vie que vous comprenez parfaitement leur quotidien. Je suis allée plusieurs fois à l’hôpital et ça ne fait pas de moi un médecin. Que connaissez-vous de la pression écrasante que vivent les enseignants? De la charge mentale incommensurable qui incombe à leur profession? De la fatigue chronique qui les habite et qui devient leur mode de vie? De leur santé mentale fragile? Des sacrifices qu’ils font pour que les enfants aient la meilleure éducation possible, négligeant parfois leur propre famille [...]?», dit-elle dans sa publication, rappelant que la violence en milieu scolaire est en hausse notable.
Alors que le réseau est fortement perturbé cet automne, Mme Lamoureux invite ses anciens collègues dans son message à suivre leurs convictions en allant au bout de cette grève et en restant «forts et solidaires».