L’effervescence immobilière fait des victimes collatérales

On voit ici plusieurs locataires de condos de la rue John-Savage à Bromont inquiets de perdre leur unité. La porte-parole du groupe, Jocelyne Kucharski au premier plan.

Dénicher un logement abordable à Bromont n’est pas une sinécure. La flambée des prix des habitations, tous types confondus, rend ce défi quasi insurmontable. Cette réalité frappe de plein fouet des dizaines de locataires en voie de devoir s’exiler dans des municipalités avoisinantes, car les condos où ils résident sont désormais à vendre.


Jocelyne Kucharski loue un condo sur la rue John-Savage à Bromont depuis quatre ans. L’immeuble abrite six unités. Trois autres bâtiments de configuration similaire sont situés à proximité. La dame de 76 ans filait le parfait bonheur depuis quatre ans dans son 4 ½, tant en raison des mensualités (1000$/mois) que de son emplacement central, au coeur de la municipalité. Elle a eu une douche froide en apprenant que le propriétaire des quatre bâtiments, totalisant 24 unités, a choisi de s’en départir.

«Je suis peut-être naïve, lance-t-elle. Jamais je n’aurais cru que je me retrouverais à la case départ à mon âge parce que le propriétaire a décidé de vendre tous ses condos. Je suis bien ici. Je ne veux pas déménager.»

«Mais, trouver un autre endroit à Bromont, à ce prix, c’est presque une utopie.»

—  Jocelyne Kucharski

La majorité des autres locataires seraient dans la même situation que Mme Kucharski. Selon elle, seules deux personnes ne pourront être évincées de leur condo. Ceci en raison de la loi 492, interdisant depuis juin 2016 aux propriétaires immobiliers «d’expulser des locataires de 70 ans et plus si ceux-ci occupent leur logement depuis plus de 10 ans.» Selon nos informations, bien que leurs baux soient en vigueur jusqu’en juillet 2024, certains locataires se sont déjà résignés à quitter leur condo.

D’autres, comme Mme Kucharski, ne baissent pas les bras. «Ça bouleverse nos vies. On est inquiets. Plusieurs personnes n’ont pas de plan B. On veut croire que les condos ne seront pas vendus à l’unité.»

«Il faut s’organiser dans la vie»

Jacques Perreault possède les quatre immeubles à condos de la rue John-Savage. Son âge a pesé dans la balance dans sa décision de vendre ses condos. «Quand on avance dans le temps, on doit se départir de certains de nos actifs», a fait valoir l’homme de 72 ans, qui dit résider dans l’une des unités depuis 2010.

Or, pourquoi avoir décidé de vendre les condos à l’unité plutôt que les bâtiments en entier à un seul acheteur? «C’est un choix personnel», a-t-il dit, ne s’avançant pas davantage à ce sujet.

On voit ici un des immeubles de six condos, propriété de Jacques Perreault.

Une recherche sur la plateforme immobilière Centris a permis de retracer tous les condos à vendre. Le 32, rue John-Savage est un bâtiment de deux étages, construit en 2007. L’évaluation foncière (terrain et bâtiment) s’élève à 778 600$. Cinq des six condos sont à vendre entre 425 000$ et 469 000$, soit une valeur globale potentielle d’un peu plus de 2,2 M$.

Le 34, rue John-Savage est le plus récent des quatre immeubles (2010). La valeur du bâtiment de trois étages au rôle actuel est de 820 600$. La vente de toutes les unités permettrait au propriétaire d’empocher plus de 2,9 M$.

Les bâtiments de deux étages attenants (36 et 38) datent de 1987. Chacun d’eux est évalué autour de 600 000$. Le prix global des 11 unités en vente sur Centris, les moins dispendieuses étant à 325 000$, est d’environ 2,8 M$.

Bien qu’elle concède que le propriétaire soit dans son plein droit de vendre ses condos, Jocelyne Kucharski estime que les prix demandés freinent la majorité des locataires. «Presque personne ne veut acheter son condo. C’est trop cher pour la valeur du logement. Je ne mettrai pas près d’un demi-million sur un 4 ½.»

M. Perreault dit avoir rencontré ses locataires en décembre dernier pour «les sensibiliser à ce qui s’en vient». Il estime que les prix demandés pour ses condos sont «très raisonnables» dans le marché de Bromont. «Certaines personnes regardent pour acheter [un condo]. Sur le coup, ça a été émotionnel. Chacun son choix. [...] Il faut s’organiser dans la vie», a-t-il clamé.

«Un locataire n’a pas un bail pour toujours. Ils ont un an pour se revirer de bord. Ce n’est pas fait de façon sauvage.»

—  Jacques Perreault

Les mains liées

Plusieurs locataires des immeubles à condos, inquiets de la vente imminente de l’unité qu’ils habitent, ont interpellé la municipalité. La Ville a les mains liées dans cette affaire, a mentionné le maire de Bromont, Louis Villeneuve.

«Quand on a pris connaissance du dossier à la Ville, on croyait que le propriétaire ne pouvait pas vendre ses condos à l’unité. Quand il a construit les bâtiments, leur vocation était la location. Notre objectif était de mettre un frein à tout ça pour éviter que les gens perdent leur logement. Après avoir demandé un avis légal à nos avocats, malheureusement, on a su qu’il a le droit de les vendre.»

Le maire de Bromont, Louis Villeneuve.

Les bâtiments ont été construits en tant que condos. Le propriétaire a décidé d’utiliser le volet «locatif» plutôt que de les vendre à ce moment. «Si un immeuble est cadastré pour des logements, et qu’on demande une conversion en condos, la Ville a le loisir de dire oui ou non. Mais dans le cas présent, le propriétaire peut vendre ses unités de plein droit», a expliqué le directeur général de Bromont, Francis Dorion.

«Ça nous attriste, car c’est une des seules places à Bromont où il y a du logement abordable.»

—  Louis Villeneuve

Recherche de solutions

Le taux d’inoccupation de logements à Bromont est «à près de 0%», a indiqué Louis Villeneuve. «Il y a une pénurie d’unités locatives à Bromont, c’est clair.»

En ce sens, Bromont veut trouver des pistes pour dénouer l’impasse, dans le cadre de la refonte de son plan d’urbanisme. «On veut s’asseoir avec les développeurs, les hôteliers pour trouver des solutions. Il va falloir être créatifs», a mentionné le maire.

La nouvelle mouture du plan d’urbanisme devrait être déposée au début de 2024. «On avance. On a sorti les grandes lignes. On est en train de monter un agenda pour les différentes consultations», a fait valoir le maire.

Coop d’habitation

Le projet de coop d’habitation pour aînés fait partie des solutions pour offrir des logements abordables sur le territoire de Bromont. «Mais, il faut trouver des mécanismes pour s’assurer que les gens qui auront accès à ces logements sont des travailleurs, des petites familles, des gens qui reviennent des études, mais qui ne peuvent pas acheter de maison à Bromont», a mis en relief le maire.

La coop de solidarité garde le cap avec l’emplacement prévu. Comme l’a dévoilé La Voix de l’Est en février 2020, l’OBNL a conclu une entente avec le promoteur du projet Samara pour l’achat d‘un terrain sur un vaste site près du Centre national de cyclisme, aux abords de la route 241.

La présidente du c.a de la coop d'habitation, Diane Perron.

Jusqu’ici, une quarantaine de personnes ont remis des lettres d‘intention pour devenir locataires, un des critères pour obtenir l’aval de la Société d‘habitation du Québec. La coop d’habitation s’articule autour d’un immeuble de 30 logements. Du nombre, 15 seront dédiés à une clientèle ayant un revenu modique, tandis que l’autre moitié pourra être louée par des gens dont les revenus sont « dans la moyenne ».

Notons que le coût des loyers devra se situer dans une fourchette comprise entre 75 % et 95 % sous le prix médian dans la région. De plus, les citoyens de Bromont seront privilégiés en tant que locataires.

Le budget, estimé à 6 M$ en 2020, a gonflé de 4 M$, principalement en raison de la conjoncture, a indiqué la présidente du conseil d’administration de la coop, Diane Perron. Le c.a espère obtenir 1,8 M$ de la Ville. «Ça peut être en congé de taxes et en argent. Toutes les implications de la Ville peuvent être calculées comme une contribution», a dit Mme Perron, citant en exemple le prêt de locaux pour des rencontres avec les citoyens.

On s’attend à obtenir près de 7 M$ de subventions gouvernementales. La somme restante pour boucler le budget, soit environ 1,2 M$, devra provenir «d’autres sources», a indiqué la présidente du c.a.

Le dossier sera abordé durant le processus de refonte du plan d’urbanisme, a spécifié Louis Villeneuve.