On connait la dégaine du député de Limoilou et le nombre de ses chemises déchirées, mais cette fois, rien à redire. Il a tiré du rapport la seule conclusion possible.
La Santé publique recommande d’éviter tout projet qui augmenterait le débit routier dans Limoilou, Vanier et la basse-ville de Québec. Le mot 3e lien n’apparaît pas dans le rapport, mais c’est tout comme.
Cela ne dispense pas de travailler à réduire les autres sources de pollution: chauffage au bois, industries, activités portuaires, incinérateur, etc.
Mais pour les transports, le message est clair: ne pas ajouter à la circulation actuelle.
Le gouvernement Legault n’a pas semblé ébranlé. Du moins pas dans ses réactions publiques.
Il prépare toujours une mise à jour du projet de tunnel Québec-Lévis et a promis des études. À ce jour, aucun signal ne donne à croire qu’il pourrait renoncer à sa promesse de troisième lien.
Une collision avec la Santé publique semble inévitable.
Je résumerais ainsi.
1- Le rapport demande d’éviter d’ajouter au débit routier du centre-ville.
La réalité est qu’un tunnel autoroutier va y amener plus de véhicules,
Certainement pas 50 000 nouvelles autos par jour, comme on l’entend parfois.
Ce chiffre est une estimation des déplacements dans les deux sens pendant 24 h, basée sur l’enquête Origine-destination de 2019. Avant la pandémie et l’explosion du télétravail, donc.
Une part de ces véhicules ont déjà le centre-ville de Québec pour destination ou lieu d’origine. Pour ceux-là, on ne parle pas de circulation additionnelle.
Le débit nouveau viendra de ceux qui prendront le tunnel en transit vers d’autres quartiers. Ou régions.
2- Le rapport de la Santé publique propose d’augmenter la proportion des investissements publics consacrés au transport actif et collectif.
Investir 6, 8 ou 10 milliards $ dans un tunnel autoroutier va au contraire réduire le poids relatif des budgets de transport collectif.
3- Le rapport invite à planifier une réduction de la capacité routière, notamment par la conversion d’autoroutes en boulevards urbains.
Le tunnel projeté va au contraire accroître la capacité routière.
Et ses sorties vont compliquer la conversion de tronçons des autoroutes Laurentienne et Dufferin-Montmorency en boulevards urbains.
À tous égards, le projet de troisième lien actuel est incompatible avec les recommandations de la Santé publique.
Sans parler des autres enjeux.
Le besoin n’est toujours pas démontré. Ni l’utilité du tunnel pour résoudre les problèmes de congestion. On se posait la question avant la pandémie. Encore plus aujourd’hui.
Les milliards de dollars du tunnel seraient-ils mieux investis dans la santé ou les écoles? Celles-là et bien d’autres questions.
Le seul moyen de concilier un troisième lien avec les avis de la Santé publique serait de réserver le tunnel au transport collectif.
Cela mérite certainement réflexion si on a l’objectif de changer les habitudes de transport, comme dit le souhaiter le gouvernement.
La CAQ s’éloignerait de sa promesse initiale et en payerait sans doute le prix à la radio et auprès de militants.
Un tunnel de transport collectif cocherait cependant toutes les cases de la santé publique. Ainsi que celle d’un meilleur lien entre Québec et Lévis.
Une «voie de passage», comme on dit en politique.
Pour «sauver l’honneur», le gouvernement pourrait y aller par étapes. Il a prévu un tunnel à deux tubes. Il pourrait réserver le premier tube au transport en commun. Puis, poursuivre l’analyse du besoin pour un second tube où passeraient des voitures.
Les valeurs et priorités changent avec le temps.
Dans quelques années, l’idée d’un tunnel autoroutier apparaîtra peut-être comme l’hérésie d’une autre époque.
Comme certains grands projets des années 60 laissés en plan et dont on ne voudrait pas aujourd’hui.
Le projet d’autoroute à flanc de falaise entre la haute-ville et la basse-ville par exemple. Ou le remplissage de la baie de Beauport pour agrandir la zone industrielle du port de Québec.
L’objectif de réduire la dépendance à l’auto a longtemps été porté par des groupes et militants parfois perçus comme extrémistes ou marginaux.
C’est aujourd’hui dans le discours de la Santé publique et de l’Organisation internationale de coopération et de développement économique (OCDE).
Le gouvernement Legault a un temps été très réticent au tramway de Québec. Il en est aujourd’hui un partenaire solide. Les points de vue changent. Souvent pur le mieux.
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En entrevue au Soleil, le maire Bruno Marchand insiste. Il faudra un transport collectif structurant dans un troisième lien. Une voie réservée de 6 à 9 h le matin, ce n’est pas suffisant, croit-il.
Il a parlé cette semaine d’un transport «lourd». Pas le meilleur choix de mot. Il s’est repris. Un métro ou un tramway. Un système d’autobus de forte capacité pourrait aussi convenir.
C’est le plus loin que le maire acceptera d’aller. Il ne demande pas que le troisième lien serve de façon exclusive au transport collectif.
Ce serait pourtant la meilleure façon de calmer les inquiétudes au centre-ville de Québec, mais le maire pèse ses mots.
«Au gouvernement de décider comment il le fait», dit-il.
«Le piège, c’est que plus je deviens précis dans ma demande, plus je deviens promoteur d’un projet». Il s’y refuse.
Le résultat est qu’on ne sait toujours pas où loge le maire de Québec, même si on s’en doute.
M.Marchand en est conscient. «Les gens qui sont contre pensent que je suis pour: les gens qui sont pour pensent que je suis contre».
Le maire Marchand a choisi de collaborer avec le gouvernement Legault plutôt que le combattre. Cela a des conséquences.
«Il y a des choses qu’on ne dit pas aussi clairement», convient-il.
«Si on est en confrontation, on peut tout dire. Quand les ponts sont rompus, on peut tout dire».
Mais quand les ponts sont rompus, il y a «aussi une limite à ce qu’on peut gagner», expose-t-il. Cela dépend du pouvoir qu’on a ou croit avoir.
Il évoque ici Machiavel. «Si je suis plus fort que toi, je vais t’imposer ma volonté».
Il a fait son analyse.
«Je ne pense pas que présentement ce serait gagnant de dire au gouvernement: on va imposer notre volonté».
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Le projet de troisième lien sera éventuellement soumis au BAPE et, n’en déplaise au gouvernement Legault, aussi à l’Agence d’évaluation d’impact du fédéral.
Le sujet des débits de circulation et de la qualité de l’air vont assurément y être soulevés.
Les gouvernements à Québec et Ottawa ne sont cependant pas liés aux avis des instances de consultation. Pas plus qu’aux avis de la Santé publique.
Les décisions seront politiques, peu importe la qualité des arguments de science ou de santé publique. Malheureusement, a-t-on parfois envie de dire.
Le gouvernement Legault a donné le feu vert au projet de tramway malgré les réticences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Ce fut le contraire à Ottawa. Le gouvernement Trudeau s’est appuyé sur le rapport négatif de l’Agence d’évaluation d’impact pour bloquer l’agrandissement du Port de Québec (projet Laurentia).
L’atteinte à une zone de reproduction du bar rayé avait alors pesé lourd.
Se trouvera-t-il une grenouille rare, un poisson de fond de fleuve ou une oie sauvage de compétence fédérale dont la vie ou la trajectoire sera menacée par le tunnel?
Trop tôt pour dire.
Le fédéral pourrait-il alléguer qu’un tunnel autoroutier nuirait à la capacité du Canada d’atteindre ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre?
L’hypothèse n’est pas farfelue.
Sauf que l’environnement est un champ de compétence partagé. Cela annonce de vigoureux débats juridiques et politiques.
Le gouvernement Trudeau n’aime pas les projets d’autoroutes. Il n’aura pas besoin d’un gros prétexte pour dire non.
Mais sera-t-il encore aux commandes, dans cinq, sept ou dix ans, le jour où le fédéral devrait prendre la décision?
Ça fait encore beaucoup d’eau à couler au-dessus du tunnel d’ici là.