Malgré une enquête de la CNESST, le Havana Resort exige des rectificatifs de Radio-Canada

Les dirigeants du camping Havana Resort se sont vivement défendus, mercredi, des allégations de traite humaine à leur endroit.

Près de trois mois après les accusations de traite humaine portées à leur endroit dans un reportage de Radio-Canada, les gestionnaires du camping Havana Resort de Maricourt se posent en victimes et demandent des gestes réparateurs du diffuseur public. Ils martèlent que les allégations sont fausses et portent atteinte à la réputation de l’établissement, et ce même si la CNESST enquête sur ces révélations.


Dans une conférence de presse de plus d’une heure tenue mercredi dans un condo surplombant le terrain de camping du Rang 7 à Maricourt, Dominic Perrier, ses filles Ariane et Laurence Perrier et sa conjointe Ève De La Durantaye, tous gestionnaires du Havana Resort, ont longuement critiqué le travail du journaliste Thomas Deshaies de Radio-Canada Estrie.

Celui-ci a publié, en décembre dernier, deux articles dans lesquels il exposait des allégations de traite humaine envers des travailleurs étrangers de la part du Havana Resort. La société d’État rapportait alors que des travailleurs mexicains auraient été amenés au camping par la famille Perrier pour y travailler de 10 à 13 heures par jour avec un salaire sous les 4$ de l’heure. Radio-Canada cite anonymement deux personnes qui prétendent avoir vécu cette situation et confirme ces témoignages avec deux autres travailleurs, dont le nom est aussi inconnu. Plusieurs organismes, dont le Consulat du Mexique et la CNESST, appuient aussi les faits relatés par le journaliste.

La lecture de la situation est on ne peut plus différente du côté des gestionnaires du Havana Resort. Certes, le camping dit être allé recruter des animateurs, au nombre de six, au Mexique l’été dernier. Or, ces derniers auraient surtout eu un rôle de « stagiaires », en ce sens qu’ils « accompagnaient l’équipe d’animation régulière du camping [...] pour apprendre la langue, le fonctionnement du Québec et de notre culture », aux dires d’Ariane Perrier.

Ainsi, ces « stagiaires » auraient été logés et nourris sur le site et leur billet d’avion aurait été payé par le camping sans demande de remboursement, assurent les gestionnaires, s’inscrivant ainsi à contre-courant des révélations à leur endroit. En plus de cela, Mme Perrier note que les travailleurs avaient droit à une indemnité hebdomadaire de 350 $, donc 50 $ par jour. Ce montant, divisé par 13, donne le salaire de l’heure que les employés s’étant confiés à Radio-Canada disent avoir reçu pour leurs journées de travail.

Le camping nie cependant que ces « stagiaires » mexicains aient eu à travailler 13h en une journée.

Dominic Perrier et sa fille Ariane Perrier, gestionnaires du Havana Resort. Ils nient en bloc les révélations de Radio-Canada sur de la possible traite humaine dans cet établissement.

Enquête interne

À la suite de la diffusion de l’enquête de Radio-Canada, la direction du Havana Resort assure avoir entrepris une « enquête interne », qui a pris la forme d’un courriel envoyé par Ariane Perrier aux différents employés pour étudier leur appréciation de la gestion de l’établissement. D’après ce qu’elle dit avoir constaté, les employés étaient heureux sur leur lieu de travail.

Cette « enquête interne » aurait aussi permis à l’établissement d’identifier les deux personnes qui ont parlé au journaliste Thomas Deshaies dans son reportage du 21 décembre. L’une d’elles ferait partie du groupe de six « stagiaires » mexicains et aurait été la seule de ce groupe à être renvoyé par le camping pour « des comportements violents », selon Ariane Perrier. L’autre ne ferait pas de partie de ce groupe et aurait travaillé au camping « un nombre de fins de semaine qui se comptent sur les doigts d’une main », lance Laurence Perrier.

Les gestionnaires se questionnent donc à savoir si ces personnes ont témoigné contre eux « par vengeance ». Elle indique par ailleurs avoir retrouvé les deux autres employés qui ont parlé au journaliste de Radio-Canada pour confirmer les doléances des deux premiers plaignants. Après les avoir présentés à la salle, les dirigeants du camping ont noté que Laura et Carlos, qui ne parlaient qu’espagnol, auraient été « piégés » par le reporter afin de confesser des choses auxquelles ils ne croyaient pas.

Dominic Perrier qualifie les jours qui ont suivi la parution de l’enquête comme étant les pires de sa vie. Il compare d’ailleurs la manière dont il a vécu la chose à « ce qui s’est passé en Turquie [NDLR le tremblement de terre de février] », imageant que sa vie s’est effondrée. Pour ceci, sa famille et lui demandent des rectificatifs de Radio-Canada dans les plus brefs délais.

En entrevue avec La Tribune mercredi en soirée, le rédacteur en chef de la station estrienne de Radio-Canada, Charles Beaudoin, assure que les faits présentés par son journaliste sont véridiques et vérifiés à plusieurs reprises.

« On appuie totalement la démarche journalistique de Thomas dans ce dossier. Il présente une excellente intégrité dans tous les dossiers qu’il traite. Les faits présentés dans son enquête ont été validés et contre-vérifiés à chaque étape. C’est un travail qui s’est échelonné sur une très longue période de temps », affirme M. Beaudoin.

« Au début février, continue-t-il, le camping a exigé un droit de réplique sur nos plateformes. Or, les dirigeants n’avaient aucun nouveau fait à apporter et le droit de parole leur avait déjà été octroyé dans le reportage original. Ce que je leur ai assuré, c’est que toute nouvelle information de leur part serait étudiée par notre équipe de façon rigoureuse.»

Malgré la défense du camping, la CNESST enquête sur les allégations de traite humaine.

La CNESST enquête

Si le Havana Resort ne croit pas un mot des révélations de Radio-Canada, c’est tout le contraire de la CNESST. L’organisme a formellement confirmé mercredi à La Tribune qu’il menait une enquête sur le camping en lien avec ces accusations.

Si elle se fait avare de commentaires comme l’enquête est en cours, la CNESST note que « dans le cadre de ses interventions, si des manquements aux lois du travail sont constatés, la CNESST exige les correctifs requis à l’employeur et a le pouvoir de donner des constats d’infraction, lorsqu’applicable ».

De son côté, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, réitère que « les pratiques qui avaient été rapportées il y a quelques mois par les médias sont troublantes et inadmissibles [...]. Je suis très sensible à la vulnérabilité des travailleurs étrangers temporaires et je réitère que ces employés ont les mêmes droits que les travailleurs québécois et que les employeurs ont les mêmes obligations à leur égard ».

Questionné à savoir pourquoi le camping n’a pas lui-même commandé une enquête externe en raison de la gravité des allégations, Dominic Perrier estime que « ce n’était pas à [eux] de faire une enquête. On n’a encore absolument rien à se reprocher ».

Rappelons que le Havana Resort se retrouve sous le feu des projecteurs cette semaine, alors que la Régie de l’alcool, des courses et des jeux a suspendu son permis d’alcool en début de semaine. Les gestionnaires ont rappelé mercredi leur volonté de porter appel à ce jugement.