Chronique|

Protège ton samedi!

Les pauses, quand on ne les prend pas, sont perdues. C’est notre capacité à profiter de la vie et à recharger nos batteries qui en dépend.

L’an dernier, j’ai essayé d’instaurer une nouvelle politique à la maison : le samedi matin, on ne fait rien.


Par «rien», je ne voulais pas nécessairement dire rester allongé au lit, à fixer le plafond, quoique ç'aurait été tout à fait permis. Je voulais dire que, pour un seul avant-midi dans la semaine, on ne s’obligeait pas à faire quelque chose de «productif».

Mes filles étaient autorisées à jouer à Roblox sans limites de temps d’écran, et à manger autant de toasts au caramel qu’elles le désiraient. Maman et papa pouvaient faire la grasse matinée, lire le journal à volonté, enchaîner les cafés, jouer de la guitare, se lancer dans un casse-tête, et reporter le traitement de toutes les demandes de leurs enfants à l’après-midi.

Les seules activités interdites étaient celles qu’on doit faire, c’est-à-dire celles qui attendent d’être cochées dans notre to-do list : faire l’épicerie, la cuisine, la vaisselle, les comptes, le ménage et tout le reste.

On ne se forçait pas non plus à faire du sport ou à manger sainement. Des gaufres devant la télé? Oh que oui!

Les samedis mous se sont maintenus durant quelques semaines. Et je me souviens du sentiment de liberté qu’on a ressenti, mes deux filles, ma blonde et moi, d’être épargnés par les tâches durant ces quelques précieuses heures de nonchalance.

C’était une sorte de pied de nez aux impératifs de productivité du monde du travail, qui avaient colonisé nos fins de semaine.

Même si personne ne nous le demande, ma blonde et moi on sentait qu’il fallait accomplir le plus de tâches possible pendant nos fins de semaine. Les enfants suivaient des cours de gym, de plongeon, de violon ou de danse, même s’ils étaient moyennement motivés. Les parents préparaient la semaine qui s’en vient et, à travers tout ça, essayaient de rénover la maison.

Tous nos moments étaient orientés par un genre d’idéal de productivité parentale. Et quand, inévitablement, on flanchait, on pantouflait un peu, on arrivait à peine à en profiter, piqués par la culpabilité de ne pas en faire assez.

Les samedis mous se voulaient un antidote à cette culpabilité. Une façon de laisser plus de place aux loisirs, aux vrais.

Le loisir consiste à faire une activité pour elle-même, et non pour obtenir une récompense future. À la guitare ces jours-ci, je passe des heures et des heures à apprendre le riff de la chanson Killing in the Name, de Rage Against The Machine. Je caresse zéro ambition de la jouer un jour sur scène. Seul dans mon salon, je la pratique uniquement pour la joyeuse furie qu’elle me procure.

Les samedis mous, malheureusement, n’ont pas duré chez nous. Il n’y a eu aucune révolte contre cette politique. Mais, lentement et sûrement, les tâches ont recommencé à gruger nos samedis matins.

C’est dommage, parce qu’on ne peut jamais venir à bout de nos listes de tâches. Elles se régénèrent tout le temps avant qu’on finisse.

Mais les pauses, quand on ne les prend pas, sont perdues. Pourtant, c’est notre capacité à profiter de la vie et à recharger nos batteries qui en dépend.

Bref, il faut protéger les samedis mous, faire tout ce qu’on peut pour résister à l’appel de la productivité, ne serait-ce que pendant quelques heures.

Et si ça ne marche pas, avez-vous essayé les dimanches mous?