L’école, ce phare qui veille

Anastasia et son fils Miro au Lycée Richelieu d'Odessa.

ODESSA, Ukraine - C’est un matin de douces retrouvailles. Aujourd’hui, on revoit Anastasia et Miro. Embrassades, sourires, effusions.


On est émus, tous.

La mère et son fils sont les premiers Ukrainiens qu’on avait croisés l’an dernier, à presque pareille date, en Roumanie.

On retrouve Anastasia et son fils Miro au Lycée Richelieu d'Odessa.

Ils avaient fui la guerre et retrouvé le Québécois d’origine ukrainienne Oleg Koleboshyn à Bucarest, sans savoir quelle serait leur prochaine destination. Il y avait alors de l’hébétude dans leur regard. Un abattement. L’avenir était une purée de pois.

Un an plus tard, ils sont de retour à Odessa. Et ils ont la mine heureuse, le sourire lumineux.

« On a vécu neuf mois en France, dans une famille tellement accueillante et fantastique qu’elle est devenue une partie de la nôtre. On s’écrit encore tous les jours. On a eu une chance incroyable », m’explique Anastasia.

Anastasia et son fils Miro ont vécu neuf mois en France avant de revenir en Ukraine.

Miro a vieilli. Il a 13 ans maintenant et il est content de nous parler en français, une langue qu’il a apprise au cours de sa dernière année à Paris.

« C’était comme une vie dans un monde parallèle », image-t-il.

Un monde parallèle où Anastasia a gardé un ancrage fort avec ses compatriotes.

« Je suis psychologue de formation, alors j’ai œuvré comme bénévole dans un centre qui aidait les Ukrainiens réfugiés. C’est important d’agir comme on peut, de faire œuvre utile dans la mesure de nos moyens. »

Là-bas comme ici, elle a constaté les bonds en avant, les mouvements intérieurs.

« En raison de l’invasion, on a tous changé. Comme personne, comme nation. C’est difficile de mesurer maintenant jusqu’à quel point. Ça, on le saura après la guerre. »

Il faudra du recul, du temps. Deux choses qui sont présentement en suspens.

Anastasia et Miro, eux, sont au pays depuis peu. Ils sont revenus se poser en Ukraine récemment, juste avant le Nouvel An.

« En raison de la famille », explique-t-elle.

« Dans le contexte actuel, on ne peut pas avoir de plan. Nous sommes ici maintenant, on verra ensuite, selon ce qui se passe. Mais on n’a jamais voulu partir pour toujours. »

Depuis leur retour, Miro semble plus heureux, constate-t-elle.

Anastasia et son fils Miro sont de retour à Odessa depuis quelques semaines.

« Je me suis fait des amis, j’ai appris des choses nouvelles, mais dans toute l’école, seulement trois personnes parlaient ukrainien ou anglais, note l’adolescent. C’était compliqué de communiquer parce qu’on n’avait pas droit au iPhone en classe, je ne pouvais donc pas me servir de l’application Google Translate pour discuter. Je suis content d’être revenu chez moi. »

Chez lui, c’est la maison, c’est la famille, mais c’est aussi l’école.

On le retrouve entre deux cours, au Lycée Richelieu. L’endroit est devenu pour lui et pour tous ses camarades un peu comme un deuxième chez soi.

Si on y entre avec autant d’émotion, ce matin, c’est aussi parce que c’est l’établissement scolaire que dirige le père d’Oleg. Rencontrer Valeriy Koleboshyn, c’est une fleur dans l’itinéraire.

Le directeur du Lycée Richelieu, Valeriy Koleboshyn.

Le directeur nous accueille avec café, chocolats et autant de bienveillance que de sérieux. On reconnaît un air de famille dans le regard et le sourire.

Dans son lumineux bureau, on croise Volodymir Manakin. « Le plus expérimenté de nos professeurs », résume Valeriy.

L’enseignant de physique a 83 ans, de l’énergie et de la répartie à revendre. Sa mallette de cuir à la main, il enchaîne blagues et pas de danse, nous confie qu’il est en quelque sorte immunisé contre les alarmes aériennes. Parce qu’il a vécu la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il était enfant.

« Deux soldats allemands vivaient dans notre appartement, mais ils étaient tous deux éduqués et gentils, rien de mal ne nous est arrivés. Ma mère avait quand même très peur tout au long de la guerre.»

Le sympathique professeur de physique Volodymir Manakin.

Il se rappelle très bien lorsque la ville d’Odessa a été libérée, dans les années 1940, même s’il était alors tout jeune.

« Les coups de canon tirés depuis le port étaient tellement intenses que ma mère croyait que des bombardements massifs débutaient. C’était plutôt le chant de la victoire. Et depuis cette nuit-là, voyez-vous, je suis immunisé contre le bruit des bombardements. »

Avec élégance, il cite un poème, tire sa révérence après nous avoir répété qu’il est confiant pour la suite. « Et que les enfants s’adaptent, vous savez. »

Plus encore lorsqu’ils se savent supportés.

« On essaie de leur montrer qu’on les protège, qu’on est là pour eux. »

C’est un élément central, un pivot de l’éducation en temps de guerre. Une mission autant qu’un essentiel. Veiller sur la génération qui suit. Être ce phare où la lumière existe.

« On sait que notre rôle principal n’est plus seulement dans la transmission de connaissances, mais qu’il est davantage dans le prendre soin. Dans cette nécessité d’accompagner nos élèves pour que leur quotidien soit le plus normal possible », insiste Valeriy Koleboshyn.

Dirigé par Valeriy Koleboshyn, le Lycée Richelieu est une institution à Odessa. L'école a récolté de nombreuses distinctions.

Avec lui, on fait la tournée de la bâtisse alimentée en électricité par deux génératrices extérieures. Lorsque des coupures de courant surviennent, les cours peuvent se poursuivre presque normalement, il suffit de choisir quelles pièces demeurent branchées.

La bâtisse est alimentée en électricité par deux génératrices extérieures.

« Les premiers temps, les enfants étaient émerveillés de retrouver des salles de cours qui n’étaient pas plongées dans le noir, se souvient M. Koleboshyn. Vraiment émerveillés. Tellement que devant la réaction des jeunes, les professeurs ont pleuré. »

Dans une classe de mathématiques, au Lycée Richelieu d'Odessa, en Ukraine.

En tout, 500 élèves âgés de 11 à 18 ans fréquentent habituellement le lycée. L’équipe scolaire a pris la décision d’offrir les cours en présence trois jours par semaine. Les deux autres se font à distance.

Au Lycée Richelieu d'Odessa, les cours se donnent toujours en mode hybride, mais trois jours sur cinq, les élèves peuvent venir en classe.

« Certains élèves sont partis dans d’autres pays, où ils doivent aller à l’école de l’endroit. D’autres se branchent à distance, parce qu’on continue de donner les cours en mode hybride. Certains jours, on n’a pas d’internet, et on est sous alerte aérienne. Si c’est le cas, on descend tous au sous-sol », expose M. Koleboshyn en nous guidant dans le corridor de l’établissement qui figure parmi les meilleures écoles publiques d’Ukraine.

Le professeur de physique Volodymir Manakin, dans sa classe.

Dans la classe de mathématiques, un adolescent de 14 ans nous raconte en anglais qu’il a vécu 6 mois à Toronto avant de revenir en Ukraine.

« La dernière année, elle a été difficile pour nous tous, mais pouvoir être ici, ensemble, ça nous fait du bien. »

Discussion avec les élèves Angelina Pistruil et Sophia Eusegneeva.

Autre classe, même discours : Angelina Pistruil et Sophia Eusegneeva insistent sur tout ce qui a changé dans leur existence.

« C’est une période vraiment triste. Mais venir à l’école nous aide. Ça nous permet de nous réconforter les uns, les autres, de continuer notre vie malgré la guerre », précisent les deux adolescentes.

Elles ne cachent rien de ce qu’elles trouvent difficile au quotidien. Elles rêvent quand même à plus tard. À après.

Lorsqu’elles se projettent dans l’avenir, elles se voient exercer un métier qui les passionne.

La première voudrait être architecte, la seconde, écrivaine. C’est presque une métaphore de ce qui attend leur génération. Tous ces adultes de demain. Ensemble, ils auront à rebâtir le monde qui les entoure. Et à écrire des chapitres plus heureux.

Une dame nourrit les goélands à la plage d'Odessa en Ukraine.