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La couleur de l’herbe chez le voisin

On trouve peu de cyclistes à Monterrey, sauf au parc Fundidora.

CHRONIQUE / Les terminaux de l’aéroport de Monterrey, au Mexique, sont particulièrement petits. Étonnant, peut-être, pour une agglomération qui approche les 4 M d’habitants. Étonnant, aussi, quand on voit l’étendue de la ville, où se croisent et s’entremêlent les autoroutes en quantité impressionnante.


Là, dans et autour de la ville, il n’y a qu’autoroutes... ou presque. Tellement que je serais bien confus si on me forçait à prendre le volant pour passer du point A au point B. Là, on construit aussi à une vitesse folle. Les tours d’appartements et les centres commerciaux grimpent vers le ciel en claquant des doigts, si bien qu’il s’en ajoute toujours une poignée entre chaque visite.

Là, à Monterrey, dans l’État du Nuevo Leon, c’est devenu ma deuxième maison. J’y visite ma belle-famille au moins une fois par année. Je reconnais les airs de la vieille ville, le quartier huppé de San Pedro, les sièges sociaux des grandes compagnies, les sommets acérés du Cierro de la Silla et les abords du fameux parc Fundidora, îlot de verdure dans une mer de béton.

Monterrey

De passage en passage, j’y plante une partie de mes racines, j’assimile les petites et les grandes différences qui ne me sautent plus aux yeux et j’apprends à contourner l’arbre qui cache la forêt. À comparer la couleur de l’herbe entre le Canada et le Mexique, on découvre qu’elle n’est pas toujours plus verte là où on l’attendrait le plus.

Déjà, près de la sortie de l’aéroport international, un panneau annonce la construction prochaine d’un nouveau train léger qui reliera l’aéroport au quartier de San Pedro. Le projet devrait aboutir en 2026, avant celui du REM de Montréal, dans une ville qui a cruellement besoin d’un transport collectif plus efficace. On y passera de trois à six lignes de métro.

Les panneaux publicitaires sont légion le long des voies de circulation à Monterrey.

Ce qui frappe, c’est effectivement à quel point la voiture est partout, partout, partout. Alors qu’on cherche au Québec à établir un meilleur partage de la route en réaménageant nos rues pour faire une place aux cyclistes, là-bas, les vélos sont rares. On les croise dans certains quartiers résidentiels, bien méfiants des voitures arrivant de tous les côtés. Pas de pistes cyclables, cela dit, à moins de faire une promenade dans le grand parc Fundidora, un modèle dans la conversion d’une ancienne fonderie en espace public. On y trouve notamment un centre d’arts pour enfants complètement gratuit qui permet aux jeunes de tous les horizons de s’initier au dessin, au théâtre d’ombres ou à la lecture dans un environnement éclaté et visuellement séduisant.

Si l’absence de pistes cyclables saute autant aux yeux, ce n’est pas parce que Monterrey fait figure d’exception à travers le monde. C’est parce qu’ici, on a choisi le partage de la route comme une action prioritaire.

Pour en revenir aux voitures, elles sont tellement partout que même les terrasses de certains restaurants bien notés surplombent une artère majeure de six ou sept voies. Et il faudra payer pour se stationner partout, partout, partout, même au centre commercial. Les stationnements, presque toujours souterrains, laissent 15 minutes de grâce. On achète et on déguerpit. Sinon, il est tout naturel de payer pour garer sa voiture... sauf chez Walmart.

Les autoroutes sont tellement partout à Monterrey que même les terrasses de restaurant les surplombent.

D’ailleurs, les centres commerciaux constituent de véritables lieux de rassemblement, et pas que pour les adolescents en soif d’autonomie. Pour fuir la chaleur, pour sortir de la maison, on flâne entre les boutiques, on s’affale dans un restaurant de centre commercial ou on y débusque un cinéma ou une salle de quilles.

À noter que dans les restaurants, on ne s’affale jamais vraiment, par ailleurs. Parce que là aussi, on se sert et on déguerpit. Si la bouffe constitue chez nous un prétexte pour une rencontre sociale qui s’étirera pendant toute la soirée, à Monterrey, on attendra à peine que vous soyez assis pour prendre votre commande. La nourriture arrivera rapidement, au fur et à mesure qu’elle sera prête et on ne se fera pas prier pour vous amener la facture. On parle d’efficacité.

Les rencontres qui s’étirent, autour du barbecue par exemple, se feront plutôt à la maison jusqu’à tard en soirée. Les mariachis, qu’on invite pour les anniversaires ou les événements spéciaux, chanteront et souffleront des cuivres près du coup de minuit. Chaque fois qu’ils entonnent la mélodie, je crains que les voisins débarquent en brandissant le poing, exaspérés de ne pouvoir s’assoupir sous la couette. Mais j’ai plutôt vu des voisins applaudir, saluer la célébration.

D’ailleurs, dans le nord du Mexique, on s’assure de souligner comme il se doit les moments marquants d’une vie. Les mariages sont souvent énormes, comptant plusieurs centaines d’invités. Lors d’une cérémonie cet automne, j’ai sursauté à constater comment on anticipe encore les rôles d’époux et d’épouse de manière «traditionnelle».

Presque aussi gros que le mariage, le «quince años», la Fête des 15 ans, convie les invités à célébrer le 15e anniversaire d’une jeune fille de la famille. Les cartons d’invitation, la location de la salle, les chorégraphies rappellent un peu un mariage. Robe de bal et séance de photos marquent ainsi le passage de la jeune fille de l’enfance à l’âge adulte dans un rite d’origine religieuse.

Si chaque fois que je passe par Monterrey, je trouve un je-ne-sais-quoi pour activer ma fibre écoanxieuse, en contrepartie, je jalouse un peu le sens des traditions rassembleuses qui résistent à la culture américaine, même si la frontière se trouve à moins de deux heures de route.