L’urgence de l’hôpital de Granby sous enquête

La CNESST enquête depuis plusieurs semaines à l'hôpital de Granby à propos des conditions de travail à l'urgence.

Après avoir investigué il y a quelques mois à l’urgence de l’hôpital Brome-Missisquoi-Perkins (BMP) à Cowansville, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) enquête maintenant à celle de Granby, entre autres à propos de la surcharge de travail qui a de néfastes répercussions, tant sur le personnel que les usagers.


Les conditions de travail sont à ce point déplorables à l’hôpital de Granby, notamment à l’urgence, que le Syndicat des professionnelles en soins des Cantons-de-l’Est (FIQ-SPSCE) a déposé, il y a quelques semaines, une plainte formelle à la CNESST.

«La détresse des équipes est énorme. On demande de la stabilité pour les professionnelles en soins. Mais, on utilise les infirmières comme des cubes Tetris, image la présidente intérimaire de la FIQ en Estrie, Stéphanie Goulet. S’il y a un trou quelque part, on t’envoie là. Jour, soir, nuit, peu importe. Et la famille dans tout ça? Nos membres se font dire [par des gestionnaires] «ils ont des pères ces enfants-là». Ça ne donne vraiment pas envie de rester dans le réseau de la santé.»



La CNESST a confirmé qu’une enquête est en cours à l’urgence de Granby, sans toutefois en dévoiler la teneur, «car le processus n’est pas terminé».

Deux infirmières, qui ont demandé à ce que l’on taise leur identité pour éviter des représailles de l’employeur, estiment qu’une telle investigation par la Commission était incontournable.

«Quand un camionneur fait trop d’heures au volant, on exige qu’il s’arrête pour se reposer parce que ça peut être dangereux. Mais nous, les infirmières, ce n’est pas grave.»

—  Une infirmière à l'hôpital de Granby

«On nous oblige à faire des 16h en ligne avec la pression de rester alerte, parce que la santé des usagers en dépend. Ensuite, retourne chez toi. C’est inhumain. Autant mentalement que physiquement. On ne peut plus tolérer ça», déplore une de nos sources.

«C’est rendu qu’on a peur de rentrer au travail parce qu’on ne sait jamais si on va se faire prendre au piège avec du TSO (heures supplémentaires obligatoires), fait valoir sa collègue. Le public devrait sortir dans la rue, exiger que ça arrête, parce que c’est leur sécurité qui est en jeu s’ils viennent à l’urgence. On aime notre travail, mais il y a des limites à endurer des conditions qui n’ont pas de bon sens.»



La présidente intérimaire à la FIQ-SPSCE, Stéphanie Goulet.

Pour bien prendre le pouls de ses membres à l’urgence de Granby, la FIQ-SPSCE, de concert avec la CNESST, leur a proposé de remplir un sondage concernant entre autres leur état de détresse. Toutes les réponses, les commentaires ainsi que l’identité des personnes ayant rempli le formulaire demeureront anonymes, spécifie la présidente syndicale par intérim. L’analyse des données sera faite par la FIQ au cours des jours à venir pour avoir un portrait global. «Puis les constats seront transmis à la CNESST», indique Mme Goulet.

Un «Band-Aid» sur une hémorragie

Le directeur adjoint aux soins infirmiers au CIUSSS de l’Estrie, Martin Bouchard, dit prendre «très au sérieux» la plainte déposée à la CNESST, qui englobe principalement «les risques psychosociaux, la charge de travail et le temps supplémentaire».

«Comme employeur, on a l’obligation de s’assurer de mettre en place tous les moyens pour améliorer les conditions de nos travailleurs», dit-il.

Selon le représentant du CIUSSS, plusieurs rencontres ont eu lieu au cours des dernières semaines avec des cadres et des membres du personnel sur le terrain pour tenter de trouver des pistes de solutions. Un plan d’action aurait été élaboré, en partenariat avec les syndicats, à partir des informations recueillies, mentionne M. Bouchard, refusant d’en dévoiler la teneur sous prétexte qu’il n’a pas encore été présenté aux employés.

Des solutions seraient toutefois déjà en branle, soutient-il. Parmi celles-ci, il souligne que des employées ont été rencontrées pour voir si elles acceptent de changer de fin de semaine. «En plus, on a ajouté une infirmière auxiliaire à l’urgence depuis le 10 février. Aussi une aide de service. Et éventuellement, on veut en ajouter d’autres. On sait que plusieurs tâches non cliniques peuvent être réalisées par d’autres types d’emplois.»

On tente également de réorienter «le plus possible» les cas moins prioritaires à l’urgence (P4-P5) vers des cliniques ou autres spécialistes de santé selon les besoins des usagers, entre autres des pharmaciens, fait valoir M. Bouchard. On a également commencé à intégrer des agents administratifs pour prêter main-forte aux infirmières à l’urgence, ajoute-t-il.



«Et on vise zéro TSO», affirme le représentant du CIUSSS. À court, moyen ou long terme? Aucune échéance n’est établie pour y arriver.

La présidente par intérim à la FIQ en Estrie concède que le CIUSSS tente de trouver des solutions. La plaie demeure néanmoins béante, dit Stéphanie Goulet. «Ce que fait le CIUSSS, ça aide. Mais, c’est comme un Band-Aid sur une hémorragie. Ça va soulager un peu la surcharge de travail. Si on continue de manquer de personnel et d’imposer du temps supplémentaire obligatoire, ça ne règle pas le problème.»

«On va faire des roulements de quarts de travail. Imposer des fins de semaine à tout le monde, renchérit-elle. Ce sont (presque) tous des moyens coercitifs que l’on annonce. Ce n’est pas de la lumière pour nos membres.»