Chronique|

Une brèche dans la cuirasse du maire Gilles Lehouillier

Le maire de Lévis, Gilles Lehouillier

CHRONIQUE / Des citoyens et militants aimeront voir dans l’élection d’un second conseiller d’opposition un avertissement ou un message au tout puissant maire de Lévis Gilles Lehouillier.


Quel message? Ce n’est pas si clair, mais le résultat de la partielle de dimanche ouvre une brèche dans le paysage très monolithique de l’hôtel de ville de Lévis.

Le maire Lehouillier va demeurer le seul maître à bord, mais la dynamique va changer.



Les avis et suggestions de l’opposition au conseil municipal auront désormais un «appuyeur». Cela va forcer des discussions et réponses auxquelles l’administration Lehouillier pouvait jusqu’ici couper court. Une bonne nouvelle pour la vie démocratique.

Le parti d’opposition Repensons Lévis, jusqu’ici discret, vient de gagner de la crédibilité et de la visibilité.

On ne pourra plus le considérer comme un simple accident de parcours sur l’autoroute du bonheur qui avait ramené l’équipe Lehouillier au pouvoir en 2021.

Faut-il voir dans ce résultat électoral le premier signe d’un déclin politique de M. Lehouillier?



D’une lassitude des citoyens pour ce politicien opiniâtre qui occupe depuis 1986 l’avant-scène de la vie publique de la Rive-Sud?

Le vent finit toujours par tourner en politique.

Je me garderais cependant de l’enterrer trop vite. Pas sur la base de cette seule élection partielle dans le district Christ-Roi, au centre-ville.

Le candidat d’opposition, Alexandre Fallu, vient de renverser la majorité de 1200 voix de la candidate de M. Lehouillier obtenue en 2021.

Cela tient à la fois de la surprise et de l’exploit.

D’autant plus que le candidat du maire, Pascal Brulotte, profitait d’une grande notoriété et avait joué la carte du pouvoir auprès des électeurs.



Le travail de terrain et un début de campagne plus rapide du parti d’opposition ont fait la différence, analyse le nouvel élu.

M. Fallu croit aussi que l’élection s’est jouée sur l’enjeu local du prolongement du boulevard Étienne-Dallaire.

Repensons Lévis proposait d’utiliser l’espace pour un parc plutôt qu’une voie de transit. Il appelait les citoyens à un «référendum» sur le projet du maire Lehouillier.

Stratégie réussie. Le vote des 80 adresses résidentielles qui jouxtent le terrain a sans doute pesé dans le résultat.

Cela n’empêchera pas l’administration de pousser son détestable projet de voie de transit. Mais au moins, il y aura débat.

Je ne veux rien enlever à la victoire de M. Fallu, mais il serait hasardeux d’en tirer de trop grandes conclusions.

Onze voix de majorité dans une élection partielle grevée d’un taux de participation misérable (moins de 17%), j’ai peine à y voir une grande mobilisation contre le maire Lehouillier.

Il en faudra davantage.



Quel «sens profond» peut-on dégager des élections partielles?

Le chercheur en sciences politiques Frédérick Bastien, de l’Université de Montréal, y voit des «référendums sur l’administration en place».

Une occasion d’envoyer des messages. En général, on vote moins pour le parti gouvernemental lors de partielles que lors d’élections générales.

Mais on ne peut en tirer de règles. Les partis gouvernementaux gagnent aussi des partielles. La CAQ, plusieurs fois. Les libéraux aussi.

L’élection de Geneviève Guilbault à la partielle de 2017 dans Louis-Hébert «annonçait» la chute des libéraux et la prise du pouvoir par la CAQ l’année suivante.

Inversement, les libéraux de 2011 ont conservé Bonaventure après le départ de Nathalie Normandeau. Mais l’ont perdu (ainsi que le pouvoir) lors de générale de l’année suivante.

Les résultats des partielles dépendent des humeurs du moment, des traditions électorales des circonscriptions, de la présence et de la force des partis d’opposition, etc.

Il n’existe pas de recherche spécifique sur les partielles au municipal, rappelle Jérôme Couture, du centre d’analyse des politiques publiques de l’Université Laval.

Faute d’un corpus suffisant, les chercheurs ne s’y intéressent pas.

Lorsque je lui ai posé la question il y a quelques années, le chercheur Frédérick Bastien disait croire que les observations sur les partielles provinciales valent pour une ville comme Québec.

Pour Lévis? Je ne l’ai pas relancé, mais pourquoi pas?

En 2007, le nouveau venu (et inconnu) Régis Labeaume a été élu contre toute attente lors d’une élection partielle, puis réélu deux ans plus tard à la générale.

Patrick Paquet, le chef du nouveau parti Priorité Québec (anciennement Québec 21) a perdu dans Lebourgneuf lors de la générale de 2017 (33% des voix).

Il a gagné la partielle de 2018 (49,5%) dans ce même district après le départ de Jonatan Julien, mais a perdu à nouveau lors de la générale de 2021 (31 %).

Il est probable que les électeurs de Lebourgneuf avaient voulu envoyer un message au maire Labeaume en 2018. Ce ne sont pas les motifs qui manquaient (virage pro-tramway, attitude négative envers M. Julien, etc).

Mais au moment de choisir un maire et une équipe pour quatre ans, ils sont revenus à leurs amours et ont voté pour la dauphine de M. Labeaume.

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Quel sens donner à la partielle de Lévis?

Je suis embêté.

Je ne vois pas ce qui, dans les humeurs du moment, les traditions ou la vie des partis locaux, aurait provoqué une chute des appuis à M. Lehouillier depuis la dernière élection.

Même l’hypothèse d’une grogne ou d’un doute croissant sur le projet de troisième lien ne pourrait pas l’expliquer.

Le parti d’opposition Repensons Lévis est favorable au troisième lien autoroutier que réclame le maire Lehouillier.

Urbaniste de formation, Alexandre Fallu y est favorable aussi. Même s’il travaille chez Mobili-T, un organisme à but non lucratif qui plaide la nécessité de réduire les déplacements en auto solo.

M. Fallu souhaite que ce troisième lien permette aussi d’accroître l’efficacité du transport en commun entre les deux rives.

Pas de différence ici avec le parti du maire Lehouillier.

La différence, on la trouve ailleurs, expose M. Fallu. Dans le choix d’une «densité douce» et d’une meilleure sécurité routière dans les quartiers.

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Les élections partielles peuvent être des indicateurs des humeurs d’un moment. Comme les sondages. Mais on ne peut s’en servir pour prédire les résultats de la prochaine élection générale.

Il me revient encore une fois les mots du professeur de sociologie Louis Massicotte de l’Université Laval, dans le titre d’une étude sur les élections partielles parue en 1981.

Un bon thermomètre, mais un mauvais baromètre.