Les faits
Il y a eu un débat scientifique là-dessus au début de la pandémie. Traditionnellement, on considérait que les virus respiratoires comme la grippe se transmettaient surtout par des «gouttelettes» relativement grosses, qui ne vont pas loin et qui rendent les surfaces sur lesquelles elles se déposent infectieuses — d’où l’idée de tout désinfecter. Comme la plupart des cas de COVID connus avaient été attrapés lors de contacts rapprochés, on a d’abord présumé que c’était là son mode de propagation principal.
Mais des cas de transmission sur de plus grandes distances et, surtout, des cas de «super-propagation» (où un individu en contamine de nombreux autres lors d’un seul événement) ont mis la puce à l’oreille de plusieurs scientifiques, qui ont soupçonné — et éventuellement, prouvé — une transmission par «aérosols», soit des microgouttelettes de moins de 5 microns de diamètre qui peuvent rester dans l’air pendant des heures et voyager bien plus loin que la proverbiale distance de 2 mètres avant de se déposer.
Il ne fait plus de doute, désormais, que la transmission par aérosol est possible. Mais est-ce qu’elle compte pour l’«essentiel» ou seulement une partie de la contagion? Même après trois ans de pandémie, c’est une question à laquelle il demeure difficile de répondre avec précision.
Il y a d’authentiques experts qui estiment qu’il s’agit, oui, d’un mode de transmission majeur du SRARS-CoV-2. Au début de 2022, le microbiologiste de l’Université McGill Raymond Tellier a fait paraître un article dans la revue savante Interface Focus où il passe en revue une série d’études qui démontre la transmission par aérosols. En fin de compte, il conclut qu’il s’agit d’un mode de transmission «important» et «répandu» pour la COVID.
Mais il est très, très ardu de mettre un chiffre précis sur la part des cas qui sont dus à la contagion par les airs. Certaines études de modélisation s’y sont aventurées, mais il y a tellement de variables différentes à prendre en compte — il est souvent impossible d’éviter de multiples simplifications — qu’«au final, on arrive avec des chiffres qui sont très difficiles à transposer dans la réalité», dit Caroline Duchaine, chercheuse en microbiologie à l’Université Laval et spécialiste des bioaérosols.
Dans un article paru en février dernier dans Science of the Total Environment, elle et son collègue de l’Université Tulane Chad J. Roy soulignaient d’ailleurs que les modélisations faites jusqu’à maintenant, si elles sont des exercices utiles, se concentrent habituellement sur les paramètres physicochimiques (taille des microgouttelettes, humidité relative, température, etc.) et ignorent souvent presque complètement le côté biologique de l’équation. Beaucoup de choses peuvent en effet affecter le virus lui-même, comme l’acidité des microgouttelettes, leur contenu en sel, etc.
En outre, la contagiosité peut varier énormément d’une personne à l’autre. Une étude parue dans les PNAS a trouvé des écarts du simple au centuple dans l’émission d’aérosols et de gouttelettes de près de 200 personnes. Et la concentration en virus des particules exhalées peut elle aussi varier par un facteur 100 d’un malade à l’autre.
Pour toutes sortes de raisons comme celles-là, il est extrêmement ardu de mesurer la part des aérosols dans les infections totales. Ils jouent un rôle, c’est sûr. Il semble également acquis que ce rôle est significatif, et il est bien possible qu’il soit prépondérant. Mais on ne peut toujours pas le chiffrer précisément — et on ne le pourra peut-être jamais.
Maintenant, est-ce que nos autorités sanitaires «minimisent» ce rôle? Oui et non.
Sur son site Web, l’Institut de la santé publique (INSPQ) reconnaît explicitement que «la transmission par aérosols, surtout à proximité, est bien reconnue et semble être le mode prédominant de transmission du SRAS-CoV-2». C’est une description qui semble bien correspondre à la littérature scientifique, juge Mme Duchaine.
Cependant, ajoute-t-elle, quand vient le temps d’agir sur la qualité de l’air, les gouvernements ont eu tendance jusqu’à maintenant à demander des niveaux de preuve plus élevés que pour d’autres mesures.
«Au début de la COVID, quand on disait aux gens de laver leurs mains ou de mettre un masque, c’était parce qu’on appliquait des mesures conventionnelles, dit Mme Duchaine. On n’avait pas de preuve directe d’efficacité contre la COVID, mais on s’est dit à un moment donné qu’il fallait le faire. Mais ça non plus, ça n’avait pas été quantifié [l’efficacité exacte contre le SRAS-CoV-2, NDLR] parce que c’est super difficile à standardiser, ces études-là. Mais on l’a fait quand même. J’ai comme l’impression que dès que ça concerne la qualité de l’air, on demande des preuves plus fortes, possiblement parce que ça demanderait plus de ressource pour agir là-dessus.»
À la limite, on pourrait sans doute compter ça comme une forme de «minimisation», même si l’INSPQ admet très clairement la transmission par aérosol et son importance.
Verdict
Oui, la COVID se transmet par aérosols, et on soupçonne qu’il s’agit d’un mode de transmission significatif, mais il est pour l’instant impossible de déterminer la part exacte des cas que cela représente.
La Santé publique le reconnaît, mais le gouvernement du Québec semble demander des preuves d’efficacité plus grande pour agir sur la qualité de l’air que pour d’autres mesures sanitaires.
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