Les faits
L’article en question, publié sur le site The Exposé, fait essentiellement deux choses. La première, c’est de dire que les États-Unis sont en surmortalité et que, si l’on additionne les décès excédentaires depuis le début de la campagne de vaccination (fin 2020), cela fait 1,1 million de morts de plus que la «normale». La deuxième, c’est d’utiliser des données britanniques pour «prouver» que ce sont les vaccins anti-COVID qui sont en cause. Alors voyons voir.
Il ne fait aucun doute qu’il y a une surmortalité chronique aux États-Unis depuis 2020. C’est le cas dans bien d’autres pays du monde, d’ailleurs, dont le Québec cette année d’ailleurs. Les chiffres cités par l’article que m’envoie Mme Gaumond viennent de l’OCDE et sont véridiques. Cette partie-là est vraie, sans conteste.
Cependant, le lien que l’article fait avec les vaccins est beaucoup, beaucoup moins convaincant. L’auteur — anonyme et qui a un long historique de textes paranoïaques parlant de «dépopulation» planifiée à l’échelle mondiale et de «régime global des vaccins» — fonde sa «démonstration» sur des données anglaises qui ventilent les taux de mortalité selon le statut vaccinal. Il note ainsi que dans la plupart des groupes d’âge, les taux de mortalité pour des causes autres que la COVID sont plus élevés chez ceux qui ont reçu une seule dose (depuis 21 jours ou plus) que chez les non-vaccinés, et que les doubles et triples dosés semblent mourir un peu plus eux aussi (pas par des grosses marges, cependant). Par exemple, chez les 18-39 ans depuis le début de cette année, les non-vaccinés anglais sont décédés au rythme de 15 à 30 par 100 000 personnes (ça varie d’un mois à l’autre), contre 30 à 50 par 100 000 pour les «1 dose», 17 à 40 chez les 2 doses et 20 à 30 chez les 3 doses.
Les chiffres qu’il (ou elle) cite sont exacts, on peut les télécharger sur le site de l’Office anglais de la statistique. Il y a toutefois de très gros trous dans l’analyse qui en est tirée.
D’abord, quand on remonte un peu plus loin dans le temps que l’article ne le fait, on se rend vite compte que le groupe des non-vaccinés a beaucoup changé au fil du temps. Comme le montre le graphique ci-dessous, le taux de mortalité chez les Anglais de 18-39 ans non vaccinés s’est maintenu entre grosso modo 40 et 50 par 100 000 personnes pendant toute l’année 2021, pour ensuite se mettre à baisser soudainement en 2022, jusqu’à seulement 14 par 100 000 en mai dernier.
Il est impossible qu’une «non-action» (ne pas se faire vacciner) puisse réduire la mortalité comme ça. Alors il faut forcément que ce groupe-là ait changé. L’hypothèse la plus probable est que les clientèles les plus vulnérables ont été vaccinées, tôt ou tard, ce qui a laissé un groupe de non-vaccinés plus en forme, moins malades que la moyenne. Alors il n’est pas étonnant qu’ils meurent moins que les autres : les individus plus robustes sont probablement surreprésentés dans ce groupe-là.
Un autre angle mort majeur de l’article de The Exposé est ce que le chercheur Jeffrey Morris, biostatisticien à l’École de médecine de l’Université de Pennsylvanie, appelle le «biais des retardataires». Comme il l’explique sur son (excellent) blogue, il y a une raison pour laquelle des gens vont chercher leur première dose, mais pas la deuxième. Un certain nombre, certes, peut avoir subi des effets secondaires indésirables et peut-être graves (c’est rare, mais ça arrive) et décider d’arrêter à une dose. Mais il y a aussi là-dedans des gens qui avaient des problèmes de santé avant de se faire vacciner et qui ont connu des complications qui les ont empêchés d’aller chercher leur deuxième dose.
La catégorie «1 dose depuis plus de 21 jours» ne représente d’ailleurs que 1,9 % de la population anglaise. Il est donc très hasardeux d’en tirer la conclusion que les vaccins provoquent une surmortalité de masse. Si ça avait été le cas, souligne M. Morris, on aurait vu de fortes hausses de la mortalité se succéder groupe d’âge par groupe d’âge, à mesure que la vaccination s’ouvrait aux plus jeunes. Mais on n’a rien vu de tel nulle part.
Ajoutons pour finir que des études autrement mieux faites que l’article de The Exposé ont examiné la même question, notamment dans le Morbidity and Mortality Weekly Report de la santé publique américaine et dans le Journal of Cardiac Failure [https://bit.ly/3Ge0HkP] (dans ce dernier cas au sein d’une clientèle plus vulnérable), mais n’ont trouvé aucun signe de surmortalité générale chez les vaccinés. En tenant compte de l’âge et de diverses autres variables, ces travaux plus sérieux ont en fait trouvé l’inverse : proportionnellement moins de décès chez les vaccinés.
Verdict
Faux. Il est indéniable que les États-Unis, comme plusieurs autres pays du monde, traversent une période de surmortalité depuis le début de la pandémie, ou du moins cette année. Mais l’article de The Exposé donne la fausse impression que les vaccins en sont la cause parce qu’il a ignoré plusieurs biais majeurs dans ses données. Les vraies études qui en tiennent compte montrent plutôt que les vaccinés meurent moins que les non-vaccinés.