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Révolution ou réforme ?

CHRONIQUE / Comment peut-on changer le monde ? Devant la détérioration réelle et perçue de l’environnement, il est de plus en plus clair qu’il faut faire quelque chose, mais quoi ? Et comment ? À quelle vitesse ? Quels moyens mettre en œuvre ? Qui va y gagner ? Qui va y perdre ? Le monde d’après sera-t-il vraiment meilleur que l’actuel ? Comment peut-on mesurer le progrès ? Plus on y réfléchit, plus on a de questions.


Depuis l’origine de l’intelligence, du discours articulé et de la culture, les humains appréhendent l’avenir, envisagent des alternatives et élaborent des utopies. La société actuelle ne fait pas exception. Les résultats mitigés de la COP 27 sur le climat et de la COP 15 sur la biodiversité illustrent la difficulté inhérente à la gouvernance mondiale de l’environnement. Ignorance, indifférence, restriction mentale, refus des évidences, conformisme, avidité et vanité sont probablement les causes profondes de notre piètre performance. Si en plus on persiste à regarder les mauvais indicateurs, l’avenir est mal engagé. Le spectre du mur hypothétique vers lequel fonce l’humanité devient cruellement crédible. Entre l’utopie de la croissance économique infinie alimentée par la consommation de toujours plus de biens matériels et celle de la décroissance, quelle utopie choisir ?

Peu de gens se lèvent le matin en planifiant sciemment qu’ils vont dégrader l’environnement. « À matin ma chère, je m’en vais polluer la planète ! », n’est probablement pas une déclaration qu’on peut entendre souvent dans les chaumières. Ce n’est pas non plus la mission de beaucoup d’entreprises. Même si certaines savent parfaitement qu’elles émettent des substances toxiques ou que leurs produits nuisent à la santé, leurs dirigeants affirmeront qu’elles répondent aux besoins ou aux préférences de leurs clients, qu’elles respectent les lois et qu’elles ont un impératif de rentabilité. Les travailleurs se rendent au boulot par les moyens qui leur paraissent les plus commodes et les plus confortables. Ils font leur travail consciencieusement avec les moyens mis à leur disposition. Les consommateurs, de leur côté, sont avides de nouveauté et nourrissent sans états d’âme la poubelle qu’un camion vient cueillir ponctuellement chaque semaine. Tout cela fait rouler l’économie dans un monde ou plus est synonyme de mieux. Résultat ? Tout le monde se lève le matin et pollue la planète !

Les apôtres de la décroissance ont bien conscience de l’incohérence de ce modèle dans un monde fini. Ils proposent donc une approche révolutionnaire qui consiste à casser le système pour en bâtir un nouveau ex nihilo ou presque. Une utopie légitime dont les conséquences sont occultées par la perspective des lendemains qui chantent. « C’est un peu court, jeune homme ! », dirait Cyrano de Bergerac. Car il y aura des perdants, beaucoup de perdants ! Le rejet de l’État, la recherche de l’autarcie, la gestion communautaire ne peuvent s’appliquer qu’en marge d’une société de huit milliards d’individus dont plus de la moitié vivent dans des villes. Si l’on veut en plus appliquer la décroissance de façon rapide, c’est la catastrophe assurée sous prétexte d’éviter la catastrophe appréhendée.

Il existe une alternative à ces deux utopies, moins épique et radicale peut-être, mais à laquelle j’adhère volontiers : le développement durable. Depuis 50 ans que le projet existe de réformer le système économique et la gouvernance mondiale, les choses ont changé, pas suffisamment, pas assez vite, mais généralement pour le mieux. Objectivement, l’humanité se porte mieux qu’en 1972. L’espérance de vie a progressé, pas seulement dans les pays développés. L’éducation a fait reculer l’analphabétisme. La science nous permet de mieux comprendre la vie et le cosmos. On envisage de protéger, en 2030, 30 % des terres et des mers. On est loin du 7 % qui était la cible en 1992 !

Malheureusement, les progrès ont été trop souvent effacés par la vitesse de la croissance. Par exemple, on émet aujourd’hui deux fois moins de CO2 par dollar de l’économie mondiale, mais celle-ci s’est multipliée par quatre en 50 ans. Doit-on pour autant baisser les bras ? En 2015, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté un programme de développement durable à l’horizon 2030 avec 17 objectifs et 169 cibles dont la mise en œuvre et la révision permettront une réforme réelle et multidimensionnelle de notre façon de vivre ensemble et avec la nature. Il faut le connaître et l’appliquer à toutes les échelles, dans les pays, les villes, les entreprises et les institutions. Avec mon équipe de la Chaire en éco-conseil, nous avons développé des outils pour y parvenir. C’est peut-être moins héroïque que la révolution, mais les chances que cela marche sont bien plus grandes.

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Biologiste, professeur titulaire au département des sciences fondamentales et directeur de la Chaire en Éco-Conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Claude Villeneuve a été mainte fois primé pour son travail en environnement et sa contribution à l’avancement du développement durable au Québec comme à l’échelle mondiale. Auteur de 13 livres, il cumule plus de 500 chroniques au sein des Coops de l’information.