Une dose à tous les cinq mois?

Les vaccins semblent avoir moins d’effet quand les doses sont rapprochées, ou quand ils suivent de trop près une infection au virus.

L’affirmation: «Comment expliquer la nécessité d’une nouvelle dose de rappel à tous les cinq mois? Est-ce à cause de l’effet limité dans le temps des vaccins à ARN ou parce que le virus mute sans cesse? Si c’est la première hypothèse qui est la bonne, y a-t-il des compagnies pharmaceutiques qui travaillent sur un vaccin plus conventionnel? Après trois ans, on devrait y être arrivé, non?», demande Daniel Baril, de Saint-Antoine-de-Tilly.


Les faits

J’ai vu passer ça assez fréquemment cet automne, cette idée voulant que la Santé publique recommanderait de «mettre à jour» ses vaccins anti-COVID tous les cinq mois. Alors il vaut la peine de s’y attarder un peu.

Il y a pu y avoir certaines communications qui ont porté à confusion, comme cette direction régionale de santé publique qui a tweeté en septembre : «Votre dernière dose remonte à plus de 5 mois? C’est le moment de prendre rendez-vous pour votre dose de rappel!» Les formulations de ce genre peuvent facilement être comprises comme signifiant qu’il faut se refaire vacciner à chaque cinq mois.

Sauf que ce n’est pas vraiment ce que les autorités sanitaires conseillent de faire : le délai de cinq mois s’applique à la campagne de vaccination de cet automne, ce n’est pas une consigne permanente.

Le Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ), voyant qu’il n’y aurait vraisemblablement pas d’autres mesures sanitaires pour freiner la propagation du SRAS-CoV-2 et anticipant une nouvelle vague, a recommandé au gouvernement de lancer une nouvelle campagne de vaccination pour cet automne. C’était essentiellement la seule carte qu’il restait à jouer.

C’est dans ce contexte que le ministère de la Santé (MSSS) a indiqué que «pour la vaccination de l’automne 2022, il est recommandé de recevoir une dose de rappel cinq mois après la dernière dose reçue» (mon soulignement). Même si ça n’a pas toujours été dit très clairement, ça ne signifie pas «faites vous vacciner tous les cinq mois», ça veut juste dire : «cet automne, on conseille le rappel à ceux dont la dernière dose (ou infection) remonte à plus de cinq mois».

«Les recommandations du CIQ sont effectivement intérimaires et sont réévaluées en fonction de la disponibilité des nouvelles données disponibles mondialement concernant la protection conférée par la vaccination», m’a confirmé le MSSS. Notons toutefois qu’il y a des clientèles plus vulnérables pour qui le rappel avec un vaccin «bivalent» (contre la souche «historique» de COVID et contre certaines souches d’Omicron) est recommandé avant ce délai si leur dernière dose était le vaccin «monovalent» et s’ils n’ont pas eu la COVID. Détails ici.

Pourquoi cet intervalle?

Maintenant, il peut y avoir plusieurs bonnes raisons derrière ce délai. D’abord, les vaccins perdent effectivement de leur efficacité au bout de quelques mois. Une revue de la littérature scientifique parue en mars dernier dans la revue médicale The Lancet a trouvé que la protection contre la COVID symptomatique baisse de 25 % en moyenne entre le 1er et le 6e mois après la deuxième dose, passant d’environ 90 à 65 % (mais cela varie d’un vaccin à l’autre). Dans le cas de la prévention de toute infection, même sans symptôme, la baisse était comparable, mais certaines études ont trouvé des taux d’efficacité qui passaient en bas de 50 % (et même sous les 20 %) au bout de six mois. L’efficacité contre les formes graves et les hospitalisations, cependant, demeurait forte (généralement plus de 80 %, voire 90 %) même après six ou sept mois.

Il est aussi vrai que le virus lui-même change, d’une manière qui lui permet d’échapper en partie à nos défenses immunitaires. Bien des études l’ont démontré, mais citons-en simplement une, parue dans Nature, qui a montré que les anticorps produits cinq mois après une dose de rappel s’accrochent entre 6 et 23 fois moins bien à omicron qu’à delta.

Mais il y a une autre raison qui est au moins aussi bonne, sinon meilleure que ces deux-là. Les vaccins semblent tout simplement avoir moins d’effet quand les doses sont rapprochées, ou quand ils suivent de trop près une infection au virus.

C’est vrai pour le délai entre les deux premières doses : une étude anglaise, par exemple, a mesuré des niveaux d’anticorps six fois plus élevés chez ceux qui ont reçu leur deuxième dose 65-84 jours après la première que chez ceux pour qui l’intervalle fut plus court (19-29 jours). (Même chose, grosso modo, pour une étude canadienne.)

C’est vrai pour les rappels : un article paru dans Nature Medicine au printemps a montré qu’une meilleure protection chez ceux qui attendaient plus longtemps avant de recevoir leur booster. L’effet était toutefois assez mince, et les taux d’efficacité du rappel étaient tous élevés.

Et c’est vrai pour les infections : une étude publiée dans Cell le mois dernier a trouvé des concentrations d’anticorps nettement plus fortes et une meilleure réponse des «cellules-mémoire B» (très importantes pour nos défenses antivirales) chez ceux qui ont reçu leur troisième dose au moins 180 jours après une infection à la COVID, comparé à ceux qui n’avaient pas attendu six mois. Une autre étude américaine a conclu essentiellement la même chose en comparant des travailleurs de la santé qui ont reçu leur deuxième dose avant ou passé 90 jours après une infection.

Verdict

Faux. Le délai de cinq mois ne s’applique qu’à la campagne de vaccination de cet automne. Il ne signifie pas que les autorités sanitaires recommandent de se refaire vacciner à tous les cinq mois.

+

DES INFOS À VÉRIFIER?

La déclaration d’un ministre vous paraît douteuse? Une information qui circule vous semble exagérée, non fondée? Écrivez à notre journaliste (jfcliche@lesoleil.com). La rubrique «Vérification faite» prendra le temps de fouiller les faits, en profondeur, afin de vous donner l’heure juste. Car nous non plus, on n’aime pas les fausses nouvelles.