«Il était temps», souffle le premier magistrat. Cela fera bientôt quatre mois que le bétail est au large, semant la dévastation dans les récoltes, s'aventurant la nuit venue sur la voie publique. «Le MAPAQ a pris le lead de presque toute la rencontre, en disant qu'ils allaient regarder ce qu'ils pouvaient faire, qu'ils allaient regarder peut-être avec des vétérinaires, puis des fléchettes, qu'ils ne laisseraient pas ça aller, qu'ils allaient agir rapidement, qu'ils nous redonneraient des nouvelles bientôt», se réjouit la directrice générale Marie-Andrée Cadorette. En matinée pourtant, l'impasse persistait.
C’est que pendant qu’on s’amuse du caractère insolite de la nouvelle – un canular, ont soupçonné certains –, l’hôtel de ville de Saint-Sévère est paralysé. Et rien ne laissait présager qu’une fois la curiosité des médias assouvie, les vaches n’allaient pas revenir compromettre à nouveau la paix publique – véritable épée de Damoclès tachée de noir et de blanc.
Pire, en début de journée le ministère de l’Agriculture (MAPAQ) a fini par donner signe de vie. Mais loin d’appeler avec une solution, un nouveau nœud semblait s’inviter dans l’histoire. «Ils n’avaient rien de concret à proposer, ils m’ont même dit que ça pouvait relever du fédéral», raconte Marie-Andrée Cadorette.
Une éclaircie s’est toutefois dessinée dans le ciel ouest-mauricien en début d’après-midi. En plus du coup de fil optimiste de la Sécurité civile, l’UPA restée discrète jusque-là aurait offert sa pleine collaboration. Les cowboys de Saint-Tite, qui avaient bien failli il y a quelques semaines mettre un terme à la cavale des vaches rebelles, insistent de leur côté pour fournir derechef des clôtures de rodéo. La saga pourrait toucher à sa fin.
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«Saint-Césaire, Saint-Sylvestre? Non, Saint-Sévère!»
Tout au plus 325 âmes, trois noms de famille et quelques exceptions, le ronron des machines agricoles, Saint-Sévère coulait des jours paisibles dans un anonymat assumé avant que quelques vaches délinquantes s’autorisent à troubler la quiétude du voisinage, catapultant la communauté sur la scène nationale.
«On ne peut plus rien faire!», soupire la sémillante Marie-Andrée Cadorette. La directrice générale en a pourtant vu d’autres. Main de fer et gant de velours à la fois, l’ambidextre femme-orchestre gère les affaires publiques du patelin les yeux presque fermés. «Je fais l’achat du papier de toilette et les rencontres avec le ministre», image-t-elle.
Mais depuis que l’affaire des vaches fugitives a été ébruitée, c’est une nation tout entière qui paraît pendue aux lèvres de la polyvalente et dynamique fonctionnaire. Mercredi, les demandes médiatiques déboulaient en vrac. Le maire Jean-Yves Saint-Arnaud a été dépêché pour raconter le rocambolesque dédale bureaucratique induit par l’invasion des bovidés. Après une dizaine d’entrevues, c’est la directrice Cadorette qu’on s’est toutefois mis à réclamer. «Heille! Hier, ils voulaient que je fasse un podcast de 15 minutes en anglais... Mettons que c’était pas encore l’heure.»
Tout le pays n’en a plus que pour les vaches en déroute et la directrice générale qu’on voulait envoyer à la chasse en talons hauts, semble-t-il.
Restée seule dans le bureau, l’adjointe administrative Gabrielle Lessard, autre moitié de l’équipe municipale, tentait pendant ce temps de mettre de l’ordre dans les demandes et suggestions qui sans cesse affluaient – «Bon, celui-là nous suggère la flûte à bec!»
Hormis les demandes en langue étrangère, la directrice générale a bravé caméras et micros, reprenant avec entrain le récit de la partie de ping-pong administratif dont le fin détail s’est taillé une place la veille jusque sur la tribune du Sénat.
«C’est pas l’hebdo régional ou la radio communautaire qui ont débarqué, c’est le monde de la ville qui veut en entendre parler», analyse la fonctionnaire. Comme si dans la mélancolie de novembre, le quotidien bousculé d’un hameau de campagne portait en lui une part de rêve et de liberté insaisissables. À moins que ce ne soit l’insouciance d’un groupe de bovidés vagabond qui a su insuffler un peu de magie dans des lendemains pandémiques meublés d’inflation et d’incertitudes.
Quoi qu’il en soit, à l’ombre des silos, on tournera volontiers la page sur l’improbable épisode sans trop se faire prier. Les fermiers chiffreront leurs pertes, la Municipalité pourra livrer son budget, le village se cloîtrera dans le silence feutré d’un hiver naissant... Dès que les vaches auront été capturées.