Assis dans une salle du palais de justice de Longueuil aux côtés de son avocate, l’homme de 49 ans témoigne par visioconférence. Sourcils froncés, mâchoire un peu crispée, doigts qui pianotent par moment sur le bureau; la colère du témoin est retenue, mais visible.
«C’est un sentiment d’avoir été violé dans son intimité, piétiné, un sentiment d’avoir Big Brother au-dessus de toi, la crainte que les informations ont été revendues, se demander à quel moment tout ça peut sortir et nous péter dans la face, énumère l’homme, sans reprendre son souffle. C’est quelque chose de troublant, choquant.»
Comme pour chacune des 28 personnes qui ont porté plainte à la police de Longueuil, l’identité du plaignant et tous les éléments permettant de l’identifier sont couverts par une ordonnance de non-publication.
L’artiste explique avoir eu d’énormes problèmes de connexion à son compte iCloud pendant au moins deux ans, autour de 2013 et 2014.
Un ami l’aidera à comprendre qu’un intrus a pénétré dans ses comptes.
Le choc sera total lorsque les policiers lui montrent l’ampleur des données volées.
«Du moment qu’on a accès à mon cloud, on a accès à ma vie!», résume le témoin.
Parmi la preuve déposée figurent des contrats confidentiels, des pièces d’identité, des projets en cours et passés, 3000 conversations privées par message-texte et 29 000 courriels de l’artiste, dont les plus anciens remontent à 2010.
Nudité
Les policiers ont aussi trouvé énormément de photos de cet artiste et de sa famille, des images qui n’avaient jamais été partagées publiquement.
Au milieu des photos bénignes de souper de Noël ou d’enfants qui rentrent à l’école, se retrouvent des photos de couple dans l’intimité. Ces images délicates n’ont pas été montrées au tribunal, mais elles existent, insiste l’artiste. «Ce sont des photos qui nous empêchaient de dormir», dit-il. On a un métier public, il est basé sur la perception des gens. Ça coupe le sommeil de penser que quelqu’un peut venir porter atteinte à ça.»
En contre-interrogatoire, Pascal Desgagnés, qui se défend seul, a demandé à l’artiste si certains éléments de son iCloud s’étaient retrouvés dans la sphère publique sans son consentement. Non, a répondu le plaignant.
Quatre jeunes femmes à la barre
Quatre plaignantes qui ne font pas partie de la colonie artistique ont aussi témoigné devant la cour. Les jeunes femmes, âgées de 25 et 26 ans, travaillent dans le domaine de la santé, dans des institutions financières et dans les ressources humaines.
Leur histoire se ressemble. En 2018, trois d’entre elles ont eu des problèmes pour se connecter à leurs comptes iCloud. À la fin septembre 2018, elles reçoivent un appel de la police de Longueuil leur annonçant qu’elles sont victimes de vol d’identité. «Au début, je pensais que c’était un fraudeur qui m’appelait et j’ai raccroché!», raconte l’une d’elles.
Lors d’une rencontre en personne, les victimes voient entre les mains des policiers des captures d’écran de plusieurs de leurs informations personnelles. Les policiers leur affirment que les données ont été trouvées dans le matériel informatique d’un homme de Québec. Pascal Desgagnés sera accusé un an plus tard.
La liste des données personnelles retrouvées dans l’ordinateur de Desgagnés est longue : numéro de téléphone, adresse civique, identifiants et mots de passe de leurs comptes iCloud et de plusieurs comptes de réseaux sociaux, date de naissance, questions de sécurité avec la réponse, contact du téléphone cellulaire.
Trois jeunes femmes gardaient dans leur téléphone une image de leur passeport. L’une avait son numéro d’assurance-sociale et son mot de passe pour son compte AccèsD de Desjardins.
Des photos personnelles, qu’elles n’avaient jamais publiées sur les réseaux sociaux, étaient aussi entre les mains du présumé pirate informatique. Sur certaines, une victime apparaît en maillot de bain. Une vidéo montre la carte de crédit du conjoint d’une plaignante.
Le contenu des photos et des vidéos n’est pas projeté pour le public.
Craintives pour l’avenir
Une victime ne cache pas avoir été très nerveuse après le vol. «De savoir que quelqu’un d’inconnu avait autant d’informations personnelles sur moi, j’étais craintive, surtout qu’il avait mon adresse alors que je vivais seule en appartement, témoigne la jeune femme. Je me suis dit qu’il pouvait m’arriver quelque chose.»
L’autre témoin se disait aussi mal à l’aise avec la situation. «On fait confiance, on met des choses sur le cellulaire pour ne pas les laisser traîner sur des feuilles, mais des gens peuvent nous pirater, se désole-t-elle. C’est rentrer dans la vie de quelqu’un...»
Une troisième victime s’inquiète des répercussions du vol de données dans sa vie future. «C’est beaucoup d’anxiété par rapport à mon emploi avec ce qu’on a pu voir dans mon téléphone au niveau privé», dit-elle.
L’accusé n’a posé aucune question aux jeunes plaignantes. Il a voulu montrer ses notes à l’une d’elles pour lui assurer qu’il n’avait pas consigné les informations personnelles lues en salle de cour. La juge Rachel Gagnon de la Cour du Québec ne lui a pas permis.