Une première télésérie coup de poing pour Dolan

À mi-chemin du film noir et du thriller, <em>La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé</em> est une plongée en apnée au cœur de la famille Larouche, un clan sans histoire devenu dysfonctionnel en raison de l’agression sexuelle subie à l’adolescence par sa seule fille.

On connaissait Xavier Dolan le cinéaste prodige, celui dont le talent juvénile a été applaudi dans les plus grands festivals de cinéma de la planète. Restait à découvrir, 13 ans après J’ai tué ma mère, Xavier Dolan le réalisateur télé. Sa première et ambitieuse offrande, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, prend l’affiche jeudi sur Club Illico. Verdict? Une réussite sur toute la ligne. Dolan vient de placer la barre très haut en matière de télésérie québécoise.


Lors de son allocution pré-visionnement de presse, mercredi matin, au studio MELS de Montréal, le principal intéressé a indiqué que le tournage de la libre adaptation de la pièce éponyme de Michel Marc Bouchard, qui se décline en cinq épisodes, avait été «la plus belle expérience» de sa déjà longue carrière. «On voulait quelque chose de gros, de beau, de bon. On s’est offert du temps et les moyens de nos ambitions», a-t-il précisé, flanqué de la coproductrice Nancy Grant.

À mi-chemin du film noir et du suspense, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est une plongée en apnée au cœur de la famille Larouche, un clan sans histoire devenu dysfonctionnel en raison de l’agression sexuelle subie à l’adolescence par sa seule fille.

Évanouie dans la nature depuis une vingtaine d’années et toujours hantée par ce traumatisme, Mireille Larouche (Julie Le Breton), une thanatologue accro aux aventures sadomasochistes d’un soir, reviendra dans son patelin pour embaumer le corps de sa mère (Anne Dorval), tel que stipulé par la défunte dans son testament.

Profondes blessures

Julie Le Breton interprête Mireille Larouche, une thanatologue accro aux aventures sadomasochistes d’un soir.

Ce retour sur les lieux du crime ravivera de douloureux souvenirs pour les trois frères de la tribu, Julien (Patrick Hivon), mari infidèle de Chantal (Magalie Lépine-Blondeau) et détenteur d’un lourd secret qui l’a fait plonger autrefois dans l’alcool, Denis (Éric Bruneau), père divorcé complètement désorganisé qui habite un logement à la limite de l’insalubrité, et Elliot (Dolan), le fragile cadet qui vient d’obtenir son congé d’une clinique de désintoxication. 

Les trois frangins doivent composer avec de profondes blessures et appréhendent le moment où ils devront affronter les dommages collatéraux découlant de cette fameuse nuit où un certain Laurier Gaudreault, le jeune voisin, est sorti de son sommeil...

«Ces cris, toute cette violence, cette tension, ça ne vient pas forcément de la nature profonde des personnages, mais des bouleversements qu’ils ont vécus. […] Cette histoire de mort et de passation, ça les propulse dans toutes sortes de questionnements. 

«Ça les éloigne, ça les divise, mais ils auront l'occasion de se rapprocher et pouvoir corriger leurs erreurs», a expliqué Dolan lors d’une table ronde avec quelques journalistes, à l’issue de la projection.

Après Tom à la ferme, il s’agit de la seconde fois que Dolan adapte une pièce de Michel Marc Bouchard. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé renvoie à cette œuvre sortie en 2014 par son approche nimbée de non-dits et de mystères, mais aussi à un autre de ses longs métrages, Juste la fin du monde. Dans ce drame, couronné du Grand prix au Festival de Cannes en 2016, le regretté Gaspard Ulliel revenait dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine.

Magnifique enrobage visuel

Après <em>Tom à la ferme</em>, il s’agit de la seconde fois que Xavier Dolan adapte une pièce de Michel Marc Bouchard.

Entre les rancœurs et la quête de vérité de ses personnages, entre passé et présent, la minisérie se déploie dans un climat anxiogène, magnifié par la mise en scène de Dolan, la photographie admirable d’André Turpin, la fabuleuse direction artistique d’Élise De Blois et la musique inspirée des compositeurs américains Hans Zimmer (Le Roi lion, Dune) et Dave Fleming.

Le jeune réalisateur s’est aussi fait plaisir en insérant une kyrielle de chansons d’ici et d’ailleurs, de Céline Dion à The Jezabels, en passant par Robert Charlebois, Marie Carmen, France D’Amour, The Cure, Rymz et autres Joy Division. Sans oublier une chanson de Noël de Ginette Reno. Éclectique vous dites?

La télésérie compte aussi dans sa distribution une galerie de rôles secondaires tout aussi criants de justesse que les personnages principaux, à commencer par Jasmine Lemée (Mireille Larouche adolescente), Pier-Gabriel Lajoie (Laurier Gaudreault) et Julianne Côté (Stéfanie).

Les dirigeants de Club Illico n’ont pas voulu divulguer le coût de la télésérie, se limitant à parler d’«un bon budget». Ça se voit et s’entend à l’écran. Jamais Dolan n’a paru aussi en maîtrise de son art. 

De son propre aveu, il a eu pour une rare fois le luxe du temps (82 jours de tournage) afin de fignoler les moindres détails de cette série d’exception qui vise un marché international.

À n’en pas douter, elle a tout pour aller loin.