Chronique|

Payer la facture de l’autre

La Ville doit-elle combler ce que le gouvernement québécois refuse de financer?

CHRONIQUE / La Ville de Sherbrooke doit-elle, oui ou non, augmenter son financement dans la Société de transport de Sherbrooke (STS)? La Ville doit-elle combler ce que le gouvernement québécois refuse de financer?


La question a fait son chemin pendant les études budgétaires de la Ville de Sherbrooke, lundi dernier. Un exercice parfois un peu drabe, mais aux enjeux souvent importants.

La STS plaide pour que la Ville augmente son financement, afin qu’il passe de 18,5 M$ à 24,7 M$. Ce qui correspond à une augmentation de 6,2 M$. Ce n’est pas une petite majoration. 

Vite de même, ça ressemble à la vertu, difficile de dire non. On n’a, collectivement, pas encore atteint un financement suffisant en transport en commun. Il faudrait même faire encore plus. Beaucoup plus.

Mais là, je parle en absolu et dans un monde idéal. Évidemment, un budget municipal n’est pas sans fond et il y a des choix à faire. Difficile de financer autant qu’il le faudrait le transport en commun. 

La mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, a déploré la part grandissante que doit assumer la Ville dans le financement du transport en commun. Elle a fait référence à un principe souvent évoqué, celui qui sous-entend que le financement serait normalement composé d’un tiers du gouvernement provincial, d’un tiers du gouvernement municipal et d’un tiers des usagers. 

Mais ce principe est beaucoup plus théorique que réaliste. 

Par exemple, si la Ville accepte l’augmentation souhaitée, elle financerait donc un peu plus de 50 % des activités de la STS, alors que la contribution du gouvernement québécois représenterait que 24 % du budget. Le reste étant en bonne partie financé par les usagers avec l’achat des billets et laissez-passer. 

Si Évelyne Beaudin déplore la part municipale dans le financement de la STS, la situation de Sherbrooke se compare à celles d’autres villes. 

Du côté du Réseau de transport de la Capitale (RTC), la contribution de la Ville de Québec, en 2020, représentait 52 % du budget, tandis que celle du gouvernement du Québec à peine 12 %. 

À Saguenay, la Ville finance 47 % du budget de la Société de transports de Saguenay (STS – un homonyme!), et le gouvernement provincial en finance 21 %, selon le rapport annuel 2020. 

À Trois-Rivières, selon le rapport annuel de 2020, la contribution municipale représente 40 % du budget de la Société de transports de Trois-Rivières, alors que celui du gouvernement québécois, 32 %. 

À Gatineau, la municipalité assurait, en 2021, 46 % du financement de la Société de transports de l’Outaouais. Leur façon de ventiler leurs revenus est toutefois différente des autres sociétés, mais la part du gouvernement semble être entre 22 % et 25 %. 

Tendance à renverser

La situation n’est pas propre à Sherbrooke, les mairesses et les maires ont raison de s’inquiéter de la tendance. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) estime que dès 2024, le déficit de financement des opérations du transport collectif pourrait s’élever à 460 M$ par année. Un déficit que les villes ne peuvent pas assumer – du moins, pas sans impact sur d’autres services municipaux. 

En entrevue à Radio-Canada, le président de la STS, le conseiller municipal Marc Denault, l’a rappelé : le gouvernement finance peut-être l’achat de nouveaux autobus, mais le financement pour payer des chauffeurs ou des chauffeuses, lui, ne suit pas. 

C’est le fun avoir de beaux autobus neufs moins polluants, mais sans le personnel – 60 % du budget –, les autobus ne serviront à rien.

Si le gouvernement de François Legault dit vouloir rapidement trouver une solution avec les grandes villes du Québec, le dossier demeure repoussé depuis le printemps dernier. 

Lorsqu’on parle de transport en commun, il y a évidemment tout l’enjeu des changements climatiques. C’est incontournable, c’est une des solutions pour diminuer les GES. Mais le transport en commun, c’est plus que ça.

C’est aussi un outil de développement économique. On oublie souvent qu’une grande part de la clientèle, que ce soit au Carrefour de l’Estrie ou sur Wellington, se déplace en autobus. Selon la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, les retombées des dépenses du transport en commun sont supérieures à celles faites dans le secteur automobile. 

C’est aussi un outil de justice sociale. Tout le monde n’a pas les moyens d’acheter une voiture ou les capacités d’utiliser une voiture. Sans transport en commun, ces citoyens et citoyennes vivraient isolées chez elles, ne pourraient pas visiter leurs proches, étudier, travailler, fréquenter les commerces. 

Les automobilistes aussi y gagnent. S’il n’y avait pas de transport en commun, plusieurs usagers seraient donc sur les boulevards ou les rues avec leur voiture. Donc plus de trafic. Plus de bouchons de circulation. Moins de places dans les stationnements. 

Je comprends la frustration de la mairesse de Sherbrooke devant le manque de financement du gouvernement québécois dans le transport en commun. 

Le pire, c’est que le gouvernement du Québec le reconnait, le transport en commun est sa responsabilité. Sauf que c’est une responsabilité qu’il assume qu’à 25 %. 

Mais a-t-on vraiment le luxe de diminuer les services? De nuire à la STS? Non. 

Il faut certainement que les villes continuent à mettre de la pression sur le gouvernement pour qu’il assume ses responsabilités, mais ça ne peut pas se faire sur le dos des usagers qui en ont besoin.

Le transport en commun, c’est un service essentiel. Il faut le financer, même si on a l’impression de payer la facture de l’autre.

Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.