Les syndicats dénoncent la situation depuis des années. Mais pour la première fois, les inquiétudes viennent de la direction du corps policier, révèle un document interne de la SQ obtenu par les Coops de l’information.
«La difficulté d’attraction et de rétention du personnel met de plus en plus la Sûreté à risque d’une rupture de service», peut-on lire dans la fiche confidentielle approuvée par le directeur des ressources humaines de la SQ, Luc Belzile, au printemps 2022, et réalisée au bénéfice du ministère de la Sécurité publique et du Secrétariat du Conseil du trésor.
Le document indiquait en mars que le taux de roulement annuel s’élevait à environ 25 % dans les 11 Centres de gestion des appels de la SQ dans la province. Depuis, la situation s'est aggravée.
Entre 1er septembre 2021 et le 31 août 2022, le taux de roulement a grimpé à 33,3 %, indique maintenant la SQ. C’est donc dire qu’un répartiteur sur trois a quitté le navire en un an. En date du 20 septembre, près de 20% des 466 postes n'étaient pas pourvus.
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En période de pointe, la Sûreté du Québec «risque au quotidien de ne pas être en mesure d’offrir un service de première ligne rapide, optimal, inspirant confiance et contribuant à assurer la sécurité des membres et des citoyens», souligne le document interne.
Les impacts sur les citoyens commencent à se faire sentir. Le temps moyen d’appel, qui comprend le temps de conversation et le temps en attente des appels entrants et sortants, a augmenté de près de 5 % entre janvier et septembre, selon la SQ.
Invité à réagir au document interne, le Syndicat de la fonction publique et parapublic du Québec (SFPQ) n'est pas surpris des inquiétudes de la SQ.
«Par exemple, ce week-end, Saguenay fonctionnait avec 50% des effectifs», déplore Nathalie Garvin, vice-présidente à l'exécutif national du SFPQ, également ancienne répartitrice à la SQ. «Depuis que je suis dans le milieu, ça n'a jamais été si pire.»
La Sûreté du Québec souligne qu’un Centre de gestion qui manquerait de personnel pourrait transférer des appels vers d’autres centrales. «À ce jour, nous n’avons eu aucune rupture de service», assure la lieutenante Mathieu.
En effet, réplique le syndicat, l’appel de détresse d'un Saguenéen pourrait être transféré dans un autre centre, qui se trouve parfois à des milliers de kilomètres des lieux de l'incident.
Des salaires «peu compétitifs»
Les salaires des répartiteurs de la SQ sont pointés du doigt pour le roulement de personnel. Dans son document, la Direction des ressources humaines de la SQ les considère «peu compétitifs en comparaison des emplois similaires».
Une répartitrice de la SQ dans la région de Québec a vu de nombreux collègues partir vers des centrales 911 municipales où les salaires sont plus attrayants. «Les conditions de travail à la SQ, c’est un gros point négatif, dit-elle. C’est pour ça qu’ils ne sont pas capables de garder leurs répartiteurs.»
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En 2018, le salaire des préposés à la SQ variait entre 35 000$ et 45 000$. À la même période, les employés des autres centres d'urgence de la province, qu’ils soient opérés par les municipalités, les centres de santé ou même les services incendies, pouvaient gagner jusqu'à 20 000 $ de plus par année.
À titre d'exemple, au centre d'appels d’urgence du Service de police de Saguenay, le salaire au dernier échelon était de 68 000$, en 2018. Il s'agit de l’une des villes qui paient le mieux leurs employés du 911, avec Laval et Blainville, apprend-on dans le document d'analyse. La moyenne des centres d'appels était toutefois de 58 000$, à pareille date, en 2018.
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Pourquoi un si grand fossé entre les salaires de la SQ et ceux des centrales 911 des services de police municipaux? Parce que le Secrétariat du Conseil du trésor considère les répartiteurs de la SQ comme des employés de bureau. Les notions d'urgence et d'analyse d'une situation ne sont pas prises en compte dans la description de la tâche, note le document interne de la SQ.
«C’est quand même la vie d’une personne qu’on a au bout de la ligne!», dit la répartitrice de Québec, dont on taira l’identité, puisqu’elle n’est pas autorisée à parler publiquement.
Selon les informations fournies par le syndicat, le gouvernement du Québec a accordé une hausse salariale de 2% par année aux préposés aux télécommunications de la SQ, en septembre dernier, assortie d’une prime ponctuelle de 10%. Au moment d’écrire ces lignes, les sommes n’ont pas encore été versées pour cette nouvelle convention qui couvre les années 2020 à 2023. Les deux parties seront de retour à la table de négociation au printemps.
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QUI RÉPOND AU 911?
Quand un citoyen compose le 911, il joint d’abord la centrale téléphonique d’urgence située le plus près du lieu où il a appelé. Plusieurs de ces centrales «primaires» sont sous la responsabilité de municipalités.
S’il y a matière à intervention policière et que l’événement est survenu sur le territoire desservi par la Sûreté du Québec, l’appel du 911 est acheminé à un des 11 Centres de gestion des appels (CGA) de la SQ, des centrales dites «secondaires». Le titre officiel des répartiteurs qui travaillent dans les CGA est «préposé aux télécommunications d’urgence.»
En plus de recueillir des renseignements par téléphone et de fournir des informations aux policiers sur les ondes, les répartiteurs de la SQ naviguent à travers des bases de données spécialisées pour effectuer des vérifications «et contribuer, dans certains cas, à sauver des vies», note la SQ sur son site.