Le privé vient à la rescousse du communautaire

Nicolas Luppens, directeur général de la Corporation de développement communautaire (CDC) Haute-Yamaska, et Nicolas Gauthier, de la CDC Brome-Missisquoi

Dans le communautaire, les équipes de travail ressemblent à des paniers percés. Acculés par la hausse du coût de la vie et attirés par des salaires plus alléchants ailleurs, les employés quittent le navire. Revirement de situation ? Ces dernières semaines, les CDC (corporations de développement communautaire) ont vu leurs budgets plus que doubler grâce à des appuis à la fois privé et public, et peuvent offrir enfin des conditions concurrentielles à leurs salariés.


Une publication Facebook publiée sur le compte de la CDC Haute-Yamaska à la mi-octobre a mis la puce à l’oreille de La Voix de l’Est. Une offre d’emploi pour un poste d’agent de concertation et développement, au salaire de 28$ de l’heure. Ce salaire est bien au-delà de ceux affichés auparavant pour des postes équivalents. Actuellement, des directrices d’organisme communautaire membres de la CDC n’ont même pas ce salaire.

Manne providentielle

La raison ? Une manne providentielle en provenance d’un bailleur de fonds privé, soit la Fondation Lucie et André Chagnon. Avec l’octroi de 100 000$ par année, pendant cinq ans, à chaque CDC du Québec — leur budget oscillait avant entre 75 000$ et 95 000$ —, la Fondation Chagnon fait plus que doubler le budget de ces regroupements d’organismes communautaires.

Si l’on ajoute à cela en 2022 une augmentation du financement gouvernemental de 65 000$ par année, via le Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales, le budget de la CDC Haute-Yamaska passe ainsi de 95 000$ en 2021 à 260 000$ en 2022.

De tels investissements n’avaient pas été vus depuis environ 15 ans. Et puisque ces deux financements ne sont pas assujettis à des projets particuliers, les CDC peuvent donc l’employer à leur discrétion, ce qui est très bien reçu. «On pourra ainsi assurer la rétention du personnel et mieux accompagner les groupes, souligne Nicolas Luppens, DG de la CDC Haute-Yamaska. Si on change le personnel tous les deux ans, on ne peut pas assurer pleinement notre mission de développement social.»

Il était plus que temps que de meilleures conditions salariales puissent être offertes, indique Marie-Line Audet, directrice générale de la Table nationale des CDC.

«Depuis quelques années, on peinait à garder notre personnel dans les CDC, car nos salaires n’étaient pas du tout compétitifs, dit-elle. Il y avait beaucoup de roulement de personnel, et une perte d’expertise. Jusqu’à récemment, pas une semaine ne passait sans qu’une CDC ne m’avise d’un départ. C’est pourquoi nous avons mené une offensive sur ces enjeux auprès du gouvernement.»

Se disant chanceuse que les CDC aient été entendus par le gouvernement, elle précise que les CDC ont des équipes réduites de deux ou trois personnes, un départ entraînant un grand trou en terme de connaissance local des enjeux.

Plus du tiers du personnel des 68 CDC du Québec a changé ces trois dernières années.

Consolider les postes existants avant de nouveaux projets

Si des projets de développement sont à prévoir à moyen terme, l’heure est avant tout à la consolidation des postes existants, disent les différents intervenants consultés dans le cadre de cet article. On veut faire mieux, pas nécessairement faire plus.

Nicolas Luppens

À la CDC Brome-Missisquoi, un nouveau poste d’agent a aussi pu être créé, et on souhaite effectivement «laisser le temps aux projets d’émerger», indique son DG Nicolas Gauthier.

«Ça n’a pas de sens avec nos valeurs que nos travailleurs gagnent un salaire les situant à peine au-dessus du seuil de pauvreté, revendique Mme Audet. Nos ressources principales sont nos intervenants, il faut en prendre soin.»

«On ne devrait pas accepter qu’un employé du communautaire soit rémunéré au même niveau que quelqu’un qui travaille dans la restauration rapide, alors que ça prend tout un bagage de connaissances et d’études pour bien comprendre les enjeux et travailler dans le communautaire», ajoute le DG de la CDC Haute-Yamaska.

Solidarité avec les autres organismes communautaires

La Fondation Chagnon, dont la mission est de prévenir la pauvreté, vient ici combler un manque de financement public, explique Mme Audet.

Si l’on embrasse le problème plus largement, le Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire (2022-2027) prévoit l’injection de plus de 234 millions de dollars étalés sur cinq ans, mais «cela ne suffit pas», tempère la DG de la Table nationale des CDC. On est loin de la demande actuelle de 460 M$ formulée auprès du gouvernement par les organismes en action communautaire.

Résultat, ailleurs dans le communautaire, beaucoup d’organismes peinent à retenir leur personnel et doivent penser à fermer des services s’ils souhaitent consolider les conditions de travail. «Quand on ouvre un poste quatre fois et que personne n’applique, tu n’as pas le choix de revoir tes façons de faire», donne-t-elle en exemple, insistant sur le fait que les CDC demeurent solidaires des autres acteurs de l’action communautaire qui n’ont pas vu leur financement public augmenté.

Ailleurs dans le communautaire, le dilemme reste entier.

Fermer des services ou offrir de meilleures conditions de travail sont «des choix déchirants» que les organismes doivent faire, reconnaît M. Luppens, qui invite cependant les organismes à améliorer les conditions de travail pour stopper l’hémorragie. Mme Audet reconnaît toutefois que ce plan d’action est bienvenu, car il donne une base sur laquelle travailler pour les cinq prochaines années.

Le financement de l’action communautaire devrait être plus global, soutient M.Luppens, alors «que le gouvernement préfère y aller à la pièce, finançant tel secteur du communautaire [comme les groupes intervenant auprès des femmes victimes de violence conjugale, par exemple NDLR] plutôt qu’un autre.»

À la CDC Haute-Yamaska, le nouvel emploi d’agent permettra à la CDC d’être davantage présente sur les tables de concertation.

Son directeur général s’engage avec les nouveaux moyens mis à sa disposition à faire reconnaître l’importance de l’équité de traitement pour l’ensemble des organismes.

Du côté de Brome-Missisquoi, Nicolas Gauthier avance que cet appui financier «renforce la capacité de transformation sociale liée à l’action communautaire».