PÉNURIE DE MAIN-D’OEUVRE | Les employés municipaux en fuite

L'année 2021 a atteint des sommets en matière de départs volontaires dans les villes du Québec.

«Les villes, c’est un peu comme les hôpitaux: on ne peut pas les fermer par manque de personnel. Nous offrons des services essentiels et il faut trouver des solutions, mais nous n’avons pas de baguette magique.»


Si la pénurie de main-d’œuvre touche toutes les sphères d’activités, au municipal, ce sont des services essentiels comme l’assainissement des eaux et le déneigement qui sont en péril, prévient Daniel Côté, maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec, qui refuse toutefois de tirer la sonnette d’alarme.

«Si on agit maintenant, on pourra éviter les ruptures de services. Je n’appuie pas sur le bouton panique, mais l’heure est à la préparation. En matière de déneigement et de collecte des ordures, par exemple, la moyenne d’âge des chauffeurs est autour de 55 ans. Ça nous laisse entre cinq et dix ans pour nous préparer», illustre-t-il.

Tant Québec, Saguenay, Sherbrooke, Gatineau que Granby ont connu une vague de départs volontaires sans précédent en 2021. Les projections pour 2022 laissent croire à une fuite d'employés municipaux encore plus importante, incluant à Trois-Rivières.

Selon les données obtenues par les Coops de l’information, 83 employés ont remis leur démission à Saguenay en 2021, soit deux fois plus que l’année précédente, et ce, même si la taille de l’administration publique avait diminué. À Québec, le nombre de départs volontaires est passé à 283 en 2021, contre 192 l'année précédente. À Gatineau, le nombre de démissions est passé de 185 en 2020 à 231 en 2021. Ces données n’incluent pas les départs à la retraite.

Les chauffeur de déneigeuse et de camions à ordures ont en moyenne 55 ans, selon le président de l'UMQ, Daniel Côté.

Si les villes ne craignent pas une rupture de services à court terme, elles réduisent parfois leur offre, dans les camps de jour et les centres aquatiques, par exemple, et voient leurs factures augmenter pour le recrutement.

«Il faut devenir plus sexy auprès de la population, observe Caroline Tremblay, directrice des ressources humaines à Saguenay. Le travail à la Ville est plus abstrait pour les jeunes. Il faut travailler là-dessus. Pour le moment, nous n’envisageons pas de rupture de services, mais le pire que nous pourrions faire serait de nous asseoir sur cette perception.»

Sur le site Québec Municipal, 520 offres d’emplois étaient affichées dans les municipalités de la province, en date du 13 octobre.

Directeur des ressources humaines à la Ville de Trois-Rivières, Claude Bélisle dresse le même constat que plusieurs de ses homologues du Québec: la pénurie de main-d’œuvre frappe les municipalités de plein fouet. «Il y a 20 ans, la Ville était très attrayante comme employeur. En 2022, elle devient un employeur comme les autres.»

S’il n’est pas encore inquiet, M. Bélisle reconnaît les difficultés de recrutement. «Nous ne sommes pas dupes. Nous voyons que tout le monde revoit ses façons de faire et les conditions de travail. Quand Hydro-Québec vient recruter chez nous, nous ne sommes pas en mesure d’offrir la même chose.»

Jusqu’à maintenant en 2022, au moins une soixantaine d’employés ont démissionné à Trois-Rivières, un nombre qui égale déjà les années précédentes.

«Il faut humaniser l’appareil municipal. Les fonctionnaires ne travaillent pas que dans les bureaux. Nous cherchons des gens en TI pour des emplois semblables à ceux offerts au privé. C’est une belle occasion pour se redéfinir comme organisation, pour redessiner le portrait des conditions de travail et uniformiser avec les autres villes », ajoute-t-il.

Statut de temporaire

Un problème est montré du doigt partout: le statut de temporaire, qui pousse les employés à chercher une stabilité ailleurs. À Trois-Rivières, le phénomène est particulièrement présent chez les pompiers, où le taux de roulement atteignait 13,4 % en 2021.

À Trois-Rivières, le départ d'employés temporaires touche surtout les pompiers.

Dans plusieurs villes, dont Trois-Rivières et Québec, le roulement est immense chez les brigadiers pour les mêmes raisons.

«Quand beaucoup d’employeurs offrent de bonnes conditions, ces employés font le choix de la stabilité, admet Caroline Tremblay à Saguenay. Le marché est plus agressif. Maintenant, il faut un plan de communication pour arriver à embaucher, donc on y passe plus de temps et les coûts sont plus importants. Les candidats veulent être accrochés tout de suite. Si on les laisse dormir, souvent, ils ne sont plus disponibles. »

Et parfois, les candidats retenus, faute d’autres candidatures, doivent être remerciés après une période d’essai non concluante.

À Gatineau, c’est l’attrait d’Ottawa, de l’autre côté de la rivière des Outaouais, qui amène une fuite constante des employés. Un nouveau directeur général, Simon Rousseau, a le mandat de proposer une structure organisationnelle pour mieux encadrer la gestion du personnel. À court terme, ce sont 150 emplois qui doivent être comblés au sein de l’appareil municipal, pour des emplois manuels, des brigadiers, du personnel de bureau et des cadres.

Lors de la campagne électorale provinciale, la mairesse France Bélisle a invité le premier ministre François Legault à rencontrer son directeur des ressources pour comprendre l’enjeu de main-d’œuvre dans les municipalités du Québec.

À Granby, la plus petite des villes scrutées par les Coops de l’information, on juge que la situation n’est pas alarmante. Directrice des ressources humaines par intérim, Karine Beaudin note toutefois des départs plus réguliers chez les policiers ayant des statuts temporaires. «Souvent, les grands centres vont offrir des postes permanents.»

Daniel Côté est maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec.

Le privé prend le dessus

Autrefois reconnues pour offrir des conditions exemplaires, les villes n’ont pas la même marge de manœuvre que les entreprises privées pour ajuster les salaires ou offrir des extras à leurs employés. Il faut donc adapter la stratégie de recrutement et revoir l’image des villes.

«Le privé offre des conditions qui dépassent celles des villes. Nous ne pouvons pas offrir des extras ou des bonus et nous sommes souvent dans un carcan juridique qui nous empêche de nous démarquer», mentionne Daniel Côté.

De 100 à 20 candidatures

Au service des communications de la Ville de Sherbrooke, on confirme devoir parfois embaucher des firmes spécialisées, des chasseurs de têtes, et devoir faire de la prospection à l’international. On peine surtout à combler des postes spécialisés comme ceux de mécanicien, de comptable ou d’opérateur en traitement des eaux.

«Ça fait quelques années qu’on voit les effets de la pénurie de main-d’œuvre. Là où nous recevions auparavant 100 CV, nous en recevons maintenant 20. Nous avons aussi maintenant la possibilité de rappeler des retraités», précise Noémie Mercier, chef de division partenariat et gestion des ressources humaines.

Le retour des retraités sauve aussi la mise à Trois-Rivières, chez les cols blancs entre autres. Une quinzaine d’anciens employés sont de retour au travail.

À Québec, les Coops de l’information ont été invitées à déposer une demande d’accès à l’information pour savoir combien de retraités avaient été rappelés au travail pour donner un coup de main à l’administration municipale.

D’autres solutions mises de l’avant par les villes, qu'il s'agisse de maillage avec les institutions d’enseignement, d'une présence accrue dans les salons de l’emploi, de l’immigration et des aînés, ou encore la mise sur pied de programmes de formation pour permettre les mouvements à l’intérieur de l’organisation.

Enfin, la sous-traitance, bien qu’alléchante, n’est pas une solution universelle. À Gaspé, la collecte des ordures, offerte en sous-traitance, a parfois été retardée, faute de personnel. Les services météo de l’aéroport sont fermés la nuit pour les mêmes raisons.