La hausse des taux hypothécaires dégonfle des rêves

Avec la hausse des taux hypothécaires, la courtière immobilière Christina Coulombe, de Via Capitale, doit parfois réaliser toute une gymnastique pour dénicher des acheteurs munis d’un prêt bancaire approuvé en vue de l’achat d’une propriété neuve, comme dans ce secteur domiciliaire développé par Terrain Dev, à Saint-Émile, dans la couronne nord de Québec.

SÉRIE 3e de 5 / La hausse de l’inflation nous affecte tous et de toutes parts. Le Soleil et SOM ont mené un grand sondage pour mesurer l’état d’esprit des Québécois sur l’augmentation des prix à la consommation qui sévit depuis plusieurs mois. Aujourd’hui : les taux hypothécaires.


«Avec les délais de livraison, ils ont peur de perdre leur taux, dont la période de préautorisation dans les institutions financières est de plus en plus courte. Et de ne plus être capables d’acheter», constate Nathalie Fournier, directrice des ventes de Terrain Dev.

L’entreprise de Québec construit des maisons neuves et développe en ce moment de nouveaux secteurs résidentiels à Saint-Émile, Charlesbourg, Sainte-Brigitte-de-Laval, Saint-Étienne-de-Lauzon et bientôt Neufchâtel. Au rythme de 125 nouvelles portes par année. 

À la hausse des taux hypothécaires comme principale préoccupation, surtout chez ceux qui font l’acquisition d’une première maison, l’augmentation du coût des matériaux en rajoute une couche.

Malgré des annulations, Mme Fournier réussit à les remplacer. Mais au prix du double ou même du triple du travail pour son secteur des ventes, tout comme pour le personnel bancaire attitré aux prêts hypothécaires.

Le sondage réalisé pour Le Soleil par SOM révèle que 56 % des Québécois se disent assez ou très inquiets de la hausse des taux hypothécaires. Anxiété encore plus présente chez les gens âgés de 35 à 54 ans, à 66 %, et presque autant chez les moins de 35 ans, 64 %. Les 55 ans et plus, qui ont souvent fini de payer leur maison, ne sont inquiets qu’à 44 %.

Selon le vice-président et chef de la stratégie d’affaire de SOM, la proportion d’environ 60 % de propriétaires et de 40 % de locataires dans l’ensemble du Québec se reflètent dans les résultats.

«Évidemment, les taux hypothécaires n’affectent pas les locataires ou très peu. À moins d’une bâtisse de moins de cinq ans, la possibilité par le propriétaire d’augmenter le prix du loyer est très limitée et fixée par la Régie [du logement]. Même si le propriétaire d’un immeuble va voir son hypothèque à lui augmenter, si son immeuble a plus que cinq ans, il ne peut pas refiler ces coûts-là à ses locataires», explique Éric Lacroix.

Selon le sondeur, le groupe des inquiets réunit les propriétaires ayant une grosse hypothèque sur les bras et les locataires qui planifient l’achat prochain d’une demeure.

Moins de constructions neuves



Développement résidentiel réalisé par Terrain Dev, à Saint-Émile, dans la couronne nord de Québec.

Après une année «exceptionnelle», la meilleure depuis 1987, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) prévoyait déjà que les mises en chantier seraient moins nombreuses cette année (55 000) que l’année dernière (presque 68 000), à raison de 19 %. Avec pour causes les problèmes d’approvisionnement sur les chantiers, la pénurie de main-d’oeuvre et le prix des matériaux, notamment.

Voilà que s’ajoute comme nouvel «écueil» la hausse des taux hypothécaires. 

«C’est une préoccupation pour ce qui est des habitations neuves pour propriétaires habitants et les copropriétés. Ça vient un peu miner la demande. Pour les immeubles locatifs aussi ça change la donne, parce que les coûts d’emprunt sont plus élevés pour les constructeurs», résume Paul Cardinal, directeur du service économique de l’APCHQ. 

Ses prévisions de mises en chantier restent les mêmes, puisque l’impact se fera davantage sentir sur les projets à venir. La deuxième partie d’année risque de s’avérer «moins robuste» qu’anticipée. 

«La construction neuve devient encore moins abordable avec la hausse des taux d’intérêt», qui s’ajoute aux taxes à payer par les acheteurs sur les nouveaux projets, précise M. Cardinal.

Face à l’abordabilité qui atteint des niveaux parmi les pires depuis le début des années 1990, les acheteurs font désormais face à tout un «défi». «Il y a un impact sur le budget des gens, ceux qui ont acheté une maison et doivent renouveler leur hypothèque et ceux qui prévoyaient acheter à des prix déjà élevés. Si les taux d’intérêt augmentent en plus, ça fait moins d’argent dans les poches à la fin», explique Patrick Perrier, économiste en chef adjoint à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). 

Le marché se retrouvera en ralentissement et pourrait entraîner une possible baisse des prix de l’habitation au Canada.

Taux en hausse, prix en baisse

Développement résidentiel réalisé par Terrain Dev, à Saint-Émile, dans la couronne nord de Québec.

Au Québec, «le ralentissement du marché immobilier est bien enclenché», confirme une économiste principale chez Desjardins, Hélène Bégin.

Le prix moyen d’une propriété pour l’ensemble du Québec se dégonfle lentement, mais sûrement, depuis la fin du printemps. Diminution de 2 % pour mai et juin combinés. Desjardins prévoit une chute moyenne de 15 % des prix des propriétés au Québec d’ici la fin de 2023.

La montée des taux hypothécaires s’avère l’une des principales causes du «retour à l’équilibre» actuel, indique Mme Bégin.

Finie, sauf exception, la surenchère sur le prix affiché d’une maison à vendre. Les régions où ce phénomène a été plus marqué ces derniers mois devraient assister à des baisses de prix, comme Gatineau, Montréal, Trois-Rivières et Sherbrooke. Une baisse pas encore généralisée et dont la région de Québec, pour l’instant, est épargnée.

La hausse des taux touche davantage les premiers acheteurs, qui ne peuvent plus emprunter autant, ainsi que les acheteurs expérimentés qui refinancent leur prochaine propriété. «Il n’y a pas de gens qui ne sont plus capables de payer leur maison, pour l’instant. Même ceux qui sont à taux variable peuvent parfois garder le même montant de paiement, mais payer plus d’intérêts et moins de capital. Pour l’instant, ça va. C’est quand arrive le renouvellement, le problème. L’impact est sur ceux qui renouvellent leur taux», résume Mme Bégin, de Desjardins.

MERCREDI: Le prix de l’essence inquiète plus en région

MARDI: L’inflation préoccupe les Québécois

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