Regards de femmes sur leur engagement en politique

Cinq candidates ont participé à cette table ronde au sujet des femmes en politique, dont Annie-Pierre Bélanger (QS dans Montmorency); Jeanne Robin (PQ dans Taschereau); Christiane Gamache (CAQ dans Jean-Lesage) et Karine Laflamme (PCQ dans Lévis). La libérale Marwah Rizqy (PLQ dans Saint-Laurent) a été jointe par téléphone.

Elles plongent dans la campagne électorale qui mènera aux élections québécoises du 3 octobre. Des candidates des principaux partis discutent d’engagement politique, du sexisme quotidien et de parité.


— Moi, oui, je veux qu’il y ait des femmes en politique comme dans n’importe quel autre domaine plus masculin. Mais pas à n’importe quel prix.

— Quand on dit «pas à n’importe quel prix», je ne comprends pas ce commentaire-là. Voyons donc! Quand bien même qu’on passerait 20 ans avec une majorité de femmes, il n’y aurait pas de renversement historique!

Assises côte à côte à la table, les deux femmes ont des opinions opposées sur bien des sujets. Mais elles ont surtout beaucoup en commun, dont l’idée de se présenter aux prochaines élections québécoises à cause de l’arrivée... d’Éric Duhaime!

Karine Laflamme, candidate du Parti conservateur du Québec (PCQ) dans la circonscription de Lévis, se montre emballée par le succès de son chef. Annie-Pierre Bélanger, qui représentera Québec solidaire (QS) dans Montmorency, souhaite plutôt contrer la montée de la droite.

Le Soleil a invité dans ses locaux des candidates des cinq principaux partis politiques du Québec à venir discuter de l’engagement des femmes en politique.

Mmes Bélanger et Laflamme, Christiane Gamache, candidate de la Coalition avenir Québec (CAQ) dans Jean-Lesage, et Jeanne Robin, du Parti québécois (PQ) dans Taschereau, ont partagé leur expérience durant un peu plus d’une heure dans un échange enrichissant et non partisan.

Marwah Rizqy

Toujours sans candidature féminine dans la région, le Parti libéral du Québec (PLQ) a mandaté par entrevue téléphonique la députée Marwah Rizqy, candidate dans Saint-Laurent, à Montréal.

Suis-je assez bonne?

L’une n’a pas pris cinq minutes pour dire oui. L’autre a eu besoin de six mois de réflexion.

«Quand tu fais tout en même temps, tu ne te sens pas bonne nulle part et tu finis avec un énorme mal de tête. Parce que c’est trop prenant de se séparer comme ça», fait valoir la solidaire Annie-Pierre Bélanger, pour expliquer sa longue délibération, qui aura en réalité duré presque 10 ans.

Travailleuse communautaire dans les groupes de femmes et mère de quatre enfants, la résidente de Beauport savait qu’elle tenterait un jour sa chance pour un siège de députée. Cet hiver, elle s’était dit «dans quatre ans».

Mais en plus de l’arrivée du chef conservateur Éric Duhaime, dont elle craint le discours, le départ de la députée solidaire Catherine Dorion lui a donné «l’ultime coup de pied». «Je me suis dit : “Si une femme part, il faut qu’il y ait d’autres femmes qui arrivent”», explique-t-elle, comme une évidence.

«Moi aussi, le fait que Catherine Dorion ne se représente pas a ouvert une perspective dans Taschereau», intervient la candidate péquiste dans Taschereau, Jeanne Robin, issue du milieu environnemental.

«Tout d’un coup, la place était à prendre et ça m’a beaucoup fait réfléchir. Finalement, j’ai constaté que j’étais davantage angoissée à l’idée de ne pas y aller qu’à l’idée d’y aller. Oui, de l’angoisse, mais aussi beaucoup de plaisir et d’appétit pour ce rôle» d’élue de l’Assemblée nationale du Québec.

La conservatrice Karine Laflamme et la caquiste Christiane Gamache ont déjà du bagage politique. Leur décision a été presque immédiate.

«Pourquoi je n’y avais pas pensé [avant sa première candidature]? Pour moi, ça semblait être inaccessible», constate pourtant Mme Gamache. 

Ça existe, une approche féminine?

«Encore aujourd’hui, les femmes se posent davantage de questions et se demandent si elles sont assez bonnes. J’aimerais bien que les femmes doutent moins et que les hommes doutent davantage!» lance Jeanne Robin, candidate du PQ dans Taschereau.

Parmi nos candidates, pas de consensus sur ce qui est inné ou acquis. Retraitée du monde de l’éducation, la caquiste Christiane Gamache estime que «de se poser la question si on va être assez bonne, ça restera toujours», dit-elle, avançant une «dominance» différente entre le cerveau d’une femme et celui d’un homme.

Ce qui fait sursauter la solidaire Annie-Pierre Bélanger. «Pour moi, en 2022, qu’on se demande si quelque chose est typiquement féminin, juste ça, c’est choquant! lâche-t-elle. Ce n’est pas parce que c’est biologique, mais parce qu’on est remises en doute constamment dans notre parcours. Le coût pour une femme de prendre la parole est beaucoup plus élevé que pour un homme.»

La libérale Marwah Rizqy identifie «l’événement MarieChantal Chassé» comme un refroidisseur politique majeur. Dès le début du mandat de la CAQ, Mme Chassé avait été dégommée comme ministre de l’Environnement à cause d’une mêlée de presse catastrophique.

«C’est venu concrétiser qu’une femme ne peut pas faire d’erreur. Lionel Carmant, lui, a eu droit à une équipe de communication. Dr Arruda a eu droit à une équipe de comm, même une firme de comm! Mais pas elle. Je trouve ça inéquitable», fait valoir Mme Rizqy.

La péquiste Robin souligne qu’il ne faut pas souhaiter plus de députées pour adoucir la politique. «Ça m’énerve! Il faut des femmes en politique parce que les femmes font partie de l’humanité et si on veut avoir la meilleure équipe, il faut recruter partout.» Point. 

Pour ou contre une loi sur la parité?

À sa dissolution, l’Assemblée nationale comptera 55 femmes sur 125 élus, 44 %. Plus que les 30 % de la fin de mandat précédent. Chaque parti représenté au parlement de Québec navigue dans la zone paritaire de représentation avec au moins 40 % de femmes dans son caucus.

Mais des voix, pas juste féminines, continuent de s’élever pour voir une loi imposer la parité parmi les candidats électoraux. Lors de la campagne de 2018, 47 % des candidats des principaux partis étaient des candidates.

«Je sais que je vais me faire garrocher des roches, mais je ne vois pas pourquoi on forcerait la chose», répond d’emblée Karine Laflamme, du PCQ.

Haute gestionnaire du milieu très masculin de la radiocommunication, elle assure que son genre ne l’a jamais freinée en affaires. Pas plus qu’en politique, promet-elle. «Depuis que je suis petite, je travaille avec des hommes qui m’ont toujours laissé l’espace nécessaire. C’est une question de personnalité et d’éducation. Mon père a toujours été le premier à me dire : “Ça ne change rien, tu es compétente, vas-y ma fille, j’ai confiance en toi!”»

Annie-Pierre Bélanger, de QS, estime qu’une loi sur la parité s’avère incontournable pour combattre le sexisme systémique et les biais inconscients de tout un chacun et chacune.

«Oui à une loi paritaire pour les candidats, appuie Marwah Rizqy, du PLQ. Et il n’y a aucune raison aujourd’hui pour ne pas avoir un Conseil des ministres paritaires. Aucune! Il faut vraiment faire exprès pour ne pas trouver de femmes compétentes.»

Les partis doivent surtout présenter des femmes dans des circonscriptions gagnables, pas juste des candidates poteaux dont on peut déjà prédire la défaite, ajoute la péquiste Jeanne Robin.

Qu’est-ce que je vais mettre?

Conseil de la caquiste Christiane Gamache aux trois candidates devant elle : «Ne regarde pas les réseaux sociaux. Laisse ton équipe s’en occuper!»

À l’aube de sa deuxième campagne électorale comme candidate, Mme Gamache en fait un enjeu de tranquillité d’esprit.

Si l’image s’avère primordiale en politique, son importance semble décuplée pour les femmes politiciennes. Les critiques à leur endroit peuvent être acerbes, même violentes, surtout par le biais des Facebook, Twitter, Instagram et autres.

Elles conviennent que les vêtements, entre autres, peuvent devenir un souci qui pèse.

Si certains hommes publics portent souvent le même complet sans s’en inquiéter, reporter la même robe lors d’événements officiels condamne à des commentaires, selon la péquiste Jeanne Robin.

La conservatrice Karine Laflamme croit par contre que ces commentaires viennent davantage de femmes que d’hommes. Pour sa part, «ce n’est pas quelque chose à quoi je réfléchis!» lance la candidate de Lévis, sous le regard admirateur de 

Mme Robin, de l’autre côté de la table.

La solidaire Annie-Pierre Bélanger s’habille toujours dans les friperies. Pour sa campagne, elle a fait le compromis d’acheter trois ensembles neufs.

Les partis règlent l’habillement de leurs candidats pour les photos officielles qui orneront les affiches électorales. Pour le reste, seule la CAQ semble imposer un critère de sobriété pour les sorties officielles.

Élue depuis 2018, la libérale Marwah Rizqy reçoit plusieurs invitations à souper sur sa page Facebook professionnelle. Les employés du bureau de circonscription ont la mission de tout refuser, poliment.

Elle en a plus contre le personnel politique de certains ministres, qui ne se gêne pas pour la critiquer sans retenue sur Twitter, compte qu’elle gère à 100 %, comme son Instagram