Les faits
L’article de La Presse (qui était plus une «brève» qu’un article, en fait) résumait une étude parue dans les PNAS qui comparait l’effet de différentes diètes, dont la méditerranéenne, et de la réduction du gaspillage alimentaire sur la biodiversité. Elle calculait les superficies terrestres qu’il fallait occuper pour produire la nourriture dans chaque diète, tenait compte de la provenance des aliments (certaines régions du monde abritent plus d’espèces menacées), et elle concluait effectivement que si tous les Américains se convertissaient au fameux régime méditerranéen, leur impact sur la biodiversité empirerait de 36,5 % comparé à leur consommation réelle (telle que mesurée en 2012).
Les auteurs expliquaient ces résultats par le fait que cette diète, bien qu’elle diminuerait pas mal la consommation de viande, augmenterait par ailleurs la consommation de fruits, dont une bonne partie provient de pays tropicaux où la biodiversité est très grande. Cela accroîtrait également la consommation de produits laitiers, dont la production occupe beaucoup d’espace, et cela ferait exploser celle des poissons et crustacés. Les auteurs présument aussi que tous ces produits de la mer additionnels proviendraient de l’aquaculture et qu’il faudrait donc produire plus de moulée sur terre pour les nourrir — ce qui, encore une fois, prendrait pas mal de place.
La Presse avait donc raison de dire qu’une étude a conclu que la diète méditerranéenne nuit à la biodiversité. Sauf qu’il y a plusieurs nuances importantes à ajouter à tout cela.
La première, c’est que cette diète peut venir en plusieurs «versions» différentes, notamment sur la quantité de produits laitiers consommés. Sur des sites comme celui de l’école de santé publique de l’Université Harvard ou de la Cleveland Clinic, on lit que le régime méditerranéen comporte «peu de produits laitiers», de l’ordre de «quelques portions par semaine». Or l’étude des PNAS a choisi la version du ministère américain de l’Agriculture (USDA), qui comporte autour de 2,5 tasses de lait (ou équivalent) par jour parce que le USDA considère que le régime «original» est trop pauvre en produits laitiers. Prendre une autre version aurait pu changer les résultats.
Ensuite, cette étude n’a tenu compte que des effets des régimes sur l’occupation des territoires terrestres. Or, si l’aquaculture peut clairement avoir des conséquences négatives sur la qualité locale de l’eau, il existe plusieurs travaux montrant qu’elle peut être bénéfique pour la biodiversité marine en allégeant les pressions de pêche, surtout si elle est pratiquée de la «bonne façon» — par exemple, en étant associée à des fermes d’huîtres ou de moules, qui filtrent l’eau polluée par l’aquaculture, en élevant des poissons non domestiqués afin d’éviter la «pollution» génétique des populations sauvages, etc. Ces bienfaits potentiels n’ont pas été pris en compte par l’article des PNAS.
Enfin, il faut noter que la biodiversité, bien qu’importante, n’est qu’un indicateur de durabilité parmi d’autres, et que d’autres travaux ont obtenu des résultats différents. Ainsi, une étude préliminaire parue l’an dernier dans Nutrients a conclu que la diète méditerranéenne était… bénéfique pour la biodiversité, comparé à l’alimentation moyenne en Europe et en Amérique du Nord. D’autres études suggèrent que ce régime pourrait réduire les émissions de CO2 et préserver les ressources naturelles. D’autres encore ont montré qu’elle était, certes, «améliorable» d’un point de vue environnemental, mais tout cela montre qu’il y a plusieurs facettes à ce problème et que l’article des PNAS n’en examine qu’une seule.
Verdict
Incomplet. Il y a bel et bien une étude qui a conclu que la diète méditerranéenne est plus néfaste pour la biodiversité que l’alimentation américaine moyenne, mais elle concernait une version particulière de ce régime et n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents. En outre, d’autres travaux portant sur d’autres aspects de la durabilité ont obtenu des résultats différents.
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