Un propriétaire incite ses locataires à quitter

Une entreprise montréalaise a récemment fait l’acquisition de plusieurs immeubles à Granby et à Cowansville.

Une mystérieuse entreprise montréalaise a récemment fait l’acquisition de plusieurs immeubles à Granby et à Cowansville. Depuis, les gestionnaires s’affairent à donner un bon montant d’argent pour que les locataires quittent leur logement, une situation décriée par l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de la Montérégie-Est.


«(Nous) souhaitons mettre en garde les gens, car cette bonne somme d’argent est vraiment tentante, mais celle-ci sera vite dépensée si les locataires paient 300 $ ou 400 $ de plus pour se loger par la suite», soulève Julie Coderre, conseillère budgétaire de l’organisme.

L’entreprise montréalaise oeuvre sous plusieurs noms. En fait, Mme Coderre a trouvé 52 dénominations différentes opérant sous la même adresse à Montréal, soit au 1396 Saint-Catherine Ouest, bureau 404.



À Cowansville, c’est sous le groupe Hazout que l’entreprise s’est présentée, après avoir fait l’acquisition de dix immeubles de 12 logements, le 25 octobre 2021. Cependant, c’est au nom d’Investissement Kedo Inc., que les nouveaux propriétaires ont demandé aux locataires de faire leur chèque.

Du côté de Granby, l’achat est plus récent. Le 29 avril dernier, Gestion Zagora a pris possession de cinq bâtiments de 24 portes chacun. Pour s’acquitter du loyer, il faut écrire à Commandité Immeuble Granby Inc.

Toutes ces nomenclatures sont basées au même endroit. Au registraire des entreprises du Québec, un nom revient très souvent comme gestionnaire des entreprises : Kevin Moise Hazout. Des recherches sur Internet permettent de découvrir que ce dernier est courtier immobilier.

M. Hazout n’a pas répondu à la demande d’entrevue de La Voix de l’Est.



Ces entreprises ont été enregistrées à partir de 2016, mais les activités se sont multipliées dans les derniers mois. Depuis 2022, 11 nouvelles compagnies ont été inscrites au bureau 404 du 1396 Saint-Catherine Ouest, à Montréal.

«(Nous) souhaitons mettre en garde les gens car cette bonne somme d’argent est vraiment tentante, mais celle-ci sera vite dépensée si les locataires paient 300 $ ou 400 $ de plus pour se loger par la suite», mentionne Julie Coderre, conseillère budgétaire de l’organisme.

Julie Coderre affirme qu’il pourrait y en avoir plus. «C’est tout ce que j’ai réussi à trouver. C’est peut-être juste une fraction de ce qu’ils possèdent», explique-t-elle.

Pression

À leur arrivée à Cowansville et à Granby, les gestionnaires s’affairent à offrir de bons montants d’argent aux locataires pour pouvoir résilier leur bail plus rapidement. La somme est généralement au minimum de 3000 $.

Les immeubles achetés comportent des logements à prix modique, qui se font de plus en plus rares. Comme le rappelle Julie Coderre, l’argent offert peut être alléchant, mais il est très difficile par les temps qui courent de trouver un endroit au même prix et le montant peut rapidement être absorbé par une hausse des loyers.

Une mésaventure de la sorte est arrivée à une famille de trois enfants de Cowansville. Cette dernière n’a pas été en mesure de trouver un autre logement après la date limite et est aujourd’hui contrainte de vivre dans le sous-sol chez des amis.

En outre, certains locataires ont affirmé avoir subi de la pression pour signer les documents. Un jugement du tribunal administratif du logement a même fait invalider une signature d’une entente de résiliation.



Des recherches sur Internet permettent de découvrir que Kevin Moise Hazout est courtier immobilier.

Dans le document, on indique que le locataire «a signé sous pression. Il était en télétravail, on a cogné à sa porte et on lui a mentionné qu’il devait signer tout de suite. Le mandataire de la locatrice n’a pas voulu lui laisser le document pour lecture».

La confusion entre deux noms d’entreprise a également été prise en compte lors de la décision, puisque l’entente était au nom d’Investissement Ksar inc., mais que l’entreprise propriétaire est le groupe Hazout.

«(...) même si le groupe Hazout est un des actionnaires d’Investissement Ksar inc., chacune de ces entreprises a une personnalité distincte. Ainsi, l’entente est signée avec une partie étrangère au bail.»

Plusieurs mésaventures

Depuis l’acquisition des immeubles à Cowansville par la compagnie, l’ACEF Montérégie-Est a recensé plusieurs mauvaises expériences des locataires avec les nouveaux gestionnaires.

«Ce que les gens nous disent, c’est qu’il est difficile de parler à quelqu’un et qu’ils n’ont pas de retour d’appel. Notre organisme a aidé une locataire dont la toilette était brisée depuis plus d’une semaine», affirme Julie Coderre.

Des mises en demeure de la part des locataires ont finalement permis la tenue des travaux. Or, une plainte à la police a été faite puisque les rénovations en question ont eu lieu le dimanche, alors qu’un règlement l’interdit à Cowansville. De plus, les travaux ont eu lieu sans permis. Depuis, l’entreprise a payé une contravention et s’est conformée aux normes.

«La situation nous inquiète»

Les municipalités disposent de bien peu de moyens pour éviter que des situations comme celle-ci se produisent. «On n’a aucun pouvoir. Il s’agit du domaine privé», déplore Julie Bourdon, mairesse de Granby.

Selon les dernières données dont Mme Bourdon dispose, le taux d’inoccupation à Granby est de 0,1%. Il est alors quasiment impossible pour quelqu’un qui quitte un logement d’en trouver un autre dans la même ville.



Sans pouvoir régir les activités du groupe Hazout et autres entreprises du genre, l’administration municipale s’affaire à trouver des solutions et des alternatives pour encadrer les citoyens qui se trouvent dans de telles situations.

«On met des ressources en place, dont un service d’aide à la relocalisation. Le gouvernement du Québec nous donne une somme d’argent, mais c’est très temporaire. Nous sommes également en attente d’une enveloppe du Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ) pour construire entre 110 et 120 logements à Granby dans les prochains mois», souligne Julie Bourdon.

À Cowansville, où le taux d’inoccupation est de 1,4%, on est également en mode «solution». «On a su ce qui se passait et tout était fait. C’est sûr que la situation nous inquiète. Il n’y a malheureusement pas de réglementation pour interdire ce type d’activité», indique Sylvie Beauregard, mairesse de la Ville.

Un règlement municipal pour interdire la conversion de logement locatif en condo a été mis en place à Cowansville. Quelques semaines avant la date habituelle des déménagements, la Ville se prépare au pire.

«On a des ressources pour relocaliser temporairement les personnes qui pourraient se trouver sans logement. Après le premier juillet, on a une période d’arrimage, où on peut voir quels sont les logements vacants et faire le lien entre les potentiels locataires et les propriétaires», explique Mme Beauregard.

Les deux mairesses convient la population à la prudence. «Dans le contexte actuel, j’invite les citoyens à faire preuve de vigilance. On doit être en mesure de démontrer les droits des locataires et un organisme comme l’ACEF est une bonne ressource pour ça», souligne Mme Bourdon.