{"accessibility":"METERED","authors":[{"description":{},"imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F8d60181c-9eb9-48e6-be3f-1ccc287f1f8d.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Fabrice de Pierrebourg","source":"Collaboration spéciale"}],"channel":"Fabrice de Pierrebourg en Ukraine","chapters":[{"position":0,"text":"

Derrière le volant de son minibus Mercedes jaune vif, une image religieuse fixée sur le tableau de bord, Sergei prête à peine attention aux chars d’assaut qu’il croise et sur lesquels sont juchés des soldats aux uniformes poussiéreux et collés les uns contre les autres. Tout juste jette-t-il un œil vers les multiples panaches de fumée d’explosions qui s’élèvent dans le ciel bleu de la campagne vallonnée à notre droite.

«Je tourne mon volant, je passe les check-point, je me concentre sur ma mission et pendant ce temps-là, je ne pense pas à la guerre.»

La mission que ce jeune commercial âgé de 33 ans mène presque tous les jours depuis presque quatre mois avec son gilet pare-balles : évacuer bénévolement des civils, en général des femmes et des enfants, des zones les plus exposées aux combats vers des secteurs pour l’instant épargnés.

Un travail périlleux pour le compte de l’association ukrainienne Help People. «Lorsque la guerre a débuté, explique-t-il, j’ai conduit ma femme et mes deux jeunes garçons en sécurité à Dnipro (270 km plus à l’ouest). Puis, pendant plusieurs jours, je me suis demandé comment me rendre utile. J’ai appris par hasard en fouillant sur Internet l’existence de cette association. Je les ai contactés et ils m’ont confié ce bus!»

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Aujourd’hui, il a rendez-vous d’abord dans la petite ville de Soledar, connue, en temps de paix, pour ses mines de sel souterraines. Les Russes sont désormais qu’à deux kilomètres à l’est.

Les bombardements se succèdent jour et nuit dans cette poche du centre du Donbass, qui s’étend de Bahkmut à Severodonesk, prise en tenaille par les troupes russes ainsi les séparatistes du Donesk fidèles au régime de Moscou.

Difficile de dire qui tire sur qui tant ce front qui s’étire sur des centaines de kilomètres, de Kharkiv à Mikolaiv, est mouvant et ondule localement au gré des percées et contre-offensives de chaque belligérant.

Chose certaine, les villes et villages que l’on traverse ce jour-là dans le bus de Sergei, toujours tenus par les Forces armées de l’Ukraine, reçoivent régulièrement roquettes, obus et missiles russes. Immeubles d’habitation ou officiels, usines, supermarchés ou écoles, rien n’est épargné.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Le bus de Sergei croise des char d'assaut en route vers le front.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":3,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F5590e9dd-a811-4739-a889-d05ffd9d16cb.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":4,"text":"

Après avoir été repoussés de Kyiv puis de Kharkiv, plus au nord, les Russes y concentrent désormais une grande partie de leurs forces pour s’emparer de ce secteur clé du Donbass.

«Ils se foutent de la vie et des biens des autres. Ils veulent juste conquérir du territoire», déplore un jeune soldat rencontré, épuisé, le matin même devant l’hôpital de Bakhmut. Alors le risque est bien réel pour tous ceux qui, comme Sergei, s’aventurent dans cette zone. Une semaine plus tôt, un obus était tombé près d’un bus transportant des évacués de Lysychanks vers Bahkmut, tuant un journaliste français qui filmait cette opération.

Sergei raconte avoir déjà roulé sur l’autoroute qui file justement vers Lysychansk tandis que les obus pleuvaient autour. «Peut-être qu’avec l’aide de Dieu, tu y arriveras», venait de lui lancer, sur un ton résigné, un militaire à un\ncheck-point proche. Puis il a appuyé à fond sur l’accélérateur. Et prié.

Parce que ce jour-là, des gens désemparés comptaient forcément sur lui pour fuir. Et il se souvient encore avoir été pétrifié par la «vision d’horreur» d’une famille qui, un autre jour, accourait désespérément vers son bus près de la gare de Lyman (prise depuis par les Russes et les milices séparatistes alliées) alors que plusieurs missiles Grad s’abattaient à proximité. Par chance, ils s’en sont sortis indemnes.

«Nous allons partout où il est possible d’aller dans le Donbass. De jour comme de nuit. Quiconque a connu la guerre de 2014 n’a plus peur de rien», poursuit le volontaire, en souriant. Sergei poursuit sa route vers Soledar dans ce décor cauchemardesque.

Les yeux d’enfant de Bogdan

C’est alors qu’un petit garçon aux cheveux blonds coupés courts et chaussures de sport d’un rouge immaculé bondit presque au milieu du chemin en faisant de grands signes des deux mains. Sergei freine et lui ouvre la porte. Il s’appelle Bogdan, a 9 ans, habite Soledar et vient de marcher une heure trente pour, dit-il, aller porter de la nourriture à des amis. Les seuls véhicules qui passent sur cette petite route sont des véhicules militaires. Inutile de dire que ce jeune Ukrainien plutôt brave ne boude pas son plaisir de finir le trajet dans le bus de Sergei.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Le jeune Bogdan intrigué par l’élément de missile russe Tochka-U tombé dans un champ près de Soledar.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":5,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fff400d1d-380a-447a-bfad-4f7535b4285c.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":6,"text":"

La bataille intense qui se déroule sous ses yeux d’enfant semble presque un jeu pour lui. Lorsque Sergei s’arrête pour observer de plus près l’élément propulseur d’un missile russe à courte portée Tochka-U qui git dans un champ de blé, Bogdan énumère l’inventaire des projectiles tirés pendant la nuit dans les parages de son village. «Je n’ai pas peur des missiles ou des roquettes, dit-il. Dès qu’un tombe pas loin, j’aime aller voir de plus près.»

Après trente minutes de route, Sergei arrive au cœur du village de Soledar presque vidé de ses habitants. Comme partout ailleurs dans les zones touchées par les combats, seuls restent ceux qui ne savent pas où aller. Ou sont trop âgés.

Une dizaine de personnes, dont Natalia et Lilia, attendent déjà impatiemment à l’ombre, devant une petite épicerie, avec valises, sacs de plastique et cartons ficelés à leurs pieds. Ces deux femmes seulement sont du voyage. Le moment est émouvant. Les embrassades et les accolades se succèdent. Même Yuca, le chien de Natalia, embarque dans le minibus puis refuse obstinément d’en sortir.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Natalia et Lilia dans le bus.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":7,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fcbfd0c06-9788-41f5-9188-054a90c9956c.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":8,"text":"

À regret, elles se sont résolues à laisser derrière elles proches et amies pour se réfugier dans des zones moins risquées. Parce que la situation se dégrade à une vitesse vertigineuse.

Natalia dit s’être décidée à abandonner Soledar au dernier moment. Après des bombardements, autour de chez elle, et sur la pharmacie où elle travaillait, elle est allée à l’église qui trône encore intacte avec ses ornements de toiture dorés au bout d’une rue jonchée de gravats, et a remercié Dieu d’être toujours en vie.

«Mais c’était un signe que l’on ne peut pas provoquer sans cesse le destin», dit-elle. Son fils, lui, a choisi de rester là pour s’occuper de sa tante âgée de 84 ans et qui n’est pas en état de voyager.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"La rue principale de Soledar avec son église. On y voit la fumée d'un bombardement.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":9,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F31047771-7dd1-49a4-9936-c9c5f03ac159.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":10,"text":"

Il faut partir. Sergei ferme la porte. D’autres habitants du Donesk encore ukrainien ont aussi rendez-vous cet après-midi avec le bus jaune. De leur siège, Natalia et Lilia font des petits signes à celles et ceux qui restent. Dehors, plusieurs essuient leurs larmes du revers de la main.

«Au début, j’étais ému, mais je me suis habitué, raconte Sergei. J’essaye juste d’aider tout ce monde, de les faire rire parfois en leur disant : “Allez, on s’en va juste une semaine, on se repose puis on revient!”»

À travers les fenêtres, Natalia et Lilia observent les ravages de la guerre. «Ça, c’était ma pharmacie», dit Natalia, en pointant un édifice commercial à moitié effondré sur le bord d’un gigantesque cratère creusé par un missile à lourde charge. «C’était notre école, ça», soupire Lilia, devant un autre bâtiment lui aussi détruit.

Sergei s’immobilise à l’un des multiples points de contrôle fortifiés avec blocs de béton et sacs de sable qui parsèment les routes, en particulier aux entrées et sorties de la moindre ville, petite ou grande. Un des militaires en faction s’avance pour vérifier l’identité des passagers et leur demander leur destination. La routine. Le jeune volontaire ouvre la porte. Le militaire ukrainien, qui manifestement connaît le bus jaune de l’association, pose un pied sur la première marche, passe la tête et échange quelques plaisanteries avec les passagères.

«Et toi, que Dieu te protège. Fais attention à toi», lance-t-il alors à Sergei, avant de redescendre.

Avec la collaboration de Maksym Stryzhevskyi.

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