Personne n’est contre la vertu, dit-on, et c’est un peu ça, la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire déposée lundi par les ministres Andrée Laforest et Nathalie Roy. Sur les 33 pages de la politique, il faut attendre la 15e page avant de tomber dans la politique en soi, les pages précédentes servant à introduire et à mettre en contexte.
On sent que la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation n’a pas voulu brusquer personne, quitte à prendre par la main avant de présenter certains constats qui sont ressortis des longues consultations.
La politique demeure un peu mince à mon goût, mais il faut reconnaitre que ce qu’on y lit contredit certains discours prononcés par des ministres caquistes. Ceux qui disent que la densification est une mode, par exemple. La politique dit clairement que l’étalement urbain est un problème et qu’il faut revoir notre façon de concevoir nos quartiers. On déplore même que les rues soient « trop souvent réduites à [leur] seule fonction d’axe de circulation automobile », au détriment d’une utilisation partagée et multifonctionnelle.
Ce n’est pas dit comme ça dans la politique, mais quand on mentionne qu’il faut des quartiers à échelle humaine, avec une mixité de services, d’options de mobilité et d’espaces publics favorisant une cohésion sociale, concrètement, c’est un rejet du modèle banlieue qu’on retrouve partout, autant dans les petites que les grandes villes.
Comme le soulignait mon collègue François Bourque lundi, on semble devant une stratégie politique. Il fallait déposer cette politique, il fallait énoncer ces principes, et ce, avant la campagne électorale, mais le gros morceau, celui des politiques concrètes, des lois ou des règlements qui imposeront ces principes, on les garde après les élections. Parce que c’est là que ça va diviser.
Est-ce que la législation sera à la hauteur de ces principes quand il faudra dire à une ville de ne plus s’étendre? Lorsqu’il faudra dire à un promoteur qu’il faut protéger un espace vert? Lorsqu’il faudra augmenter l’offre de mobilité et briser la monopolisation de l’automobile?
Et pas seulement envers les industries, le milieu immobilier ou les municipalités, envers le gouvernement lui-même aussi. Une enquête du Journal de Montréal révélait cette semaine que le gouvernement Legault n’exigera plus de réduire les GES sur les grands chantiers routiers parce ceci freinerait, selon lui, la relance économique. On ne peut accepter ce genre de rengaine avec cette politique. Comment le troisième lien, par exemple, pourra respecter la politique de l’aménagement du territoire?
Si la politique propose une vision tournée dans la bonne direction, elle est écrite avec beaucoup de largesse. Elle laisse place à des interprétations qui pourraient aller dans une autre direction. En fait, la politique n’a absolument aucun mordant en ce moment. Aucune balise. Ce ne sont que des principes.
Sans s’avancer sur des balises ou des contraintes, elle aurait quand même pu être plus consistante. Il y a très peu de données, très peu d’exemples, très peu d’études pour appuyer ces principes.
Étoffer les principes avec des références aurait permis de mieux asseoir cette vision, de limiter les changements de cap, de ne pas donner un autre sens aux mots.
Aux États-Unis, par exemple, un organisme travaille avec plusieurs municipalités pour les aider à dynamiser leur économie. Cet organisme, Urban3, analyse combien génèrent chaque rue, chaque lot, mais aussi combien la ville doit dépenser pour entretenir et soutenir chaque rue, chaque lot.
Que leur analyse porte sur une grande ville comme Minneapolis (3,6 millions de personnes) ou une ville moyenne comme Manchester (107 000 habitants) ou Lafayette (125 000 personnes), il y a un constat plutôt général qui ressort. Les périphéries de type banlieue ou power centre sont déficitaires alors que les quartiers centraux, denses ou mixtes sont profitables. Et pas qu’un peu! Même les quartiers centraux défavorisés génèrent plus de profits que les quartiers résidentiels riches.
Tout ça est dû au modèle de développement. L’étalement urbain, c’est comme avoir un prêt usurier. Au début, le prêt donne un coup de main financier, mais le taux d’intérêt élevé fait mal longtemps après. Sans parler qu’il y a toujours de nouveaux frais qui finissent par s’ajouter, comme l’élargissement d’un boulevard dû à une circulation qui augmente. Si les comptes de taxes variaient selon le coût réel d’une rue de maisons unifamiliales en périphérie, beaucoup de gens s’installeraient ailleurs - ou accepteraient que des multilogements se bâtissent à côté.
Investir dans les quartiers mixtes et dans le patrimoine rapporte plus que bâtir un magasin grande surface dans un champ.
Avec l’étalement urbain, c’est comme si les villes empruntaient à nouveau, chaque fois, avec encore un gros taux d’intérêt. C’est un cercle vicieux. Ce n’est pas un modèle viable. En plus des nombreux problèmes environnementaux.
Dans une lettre, plusieurs maires et mairesses du Québec dénoncent d’ailleurs l’impact de ce type de développement sur les finances publiques. Les changements urgent.
C’est un exemple parmi d’autres. La politique aurait pu bonifier ses principes en les liant à plusieurs études sur l’aménagement du territoire, sur la protection de l’environnement et sur la préservation du patrimoine.
Cette petite attention supplémentaire aurait permis de donner du tonus à ces belles vertus qui peuvent sembler seulement morales, les transformant en principes réfléchis sur des données, sur des recherches, sur la science. Donner du poids aux arguments et une crédibilité à la vision proposée.
Parce que pour réussir cette politique, il faudra changer des réflexes, les façons de faire actuelles. Et ça va déranger du monde. Parce que le modèle profite à certaines personnes – mais rarement les villes ou les citoyens et citoyennes. Pour casser des habitudes, il faut expliquer et mobiliser, pas juste s’asseoir sur des vertus.
Si la politique était attendue, les mécanismes pour la mettre en place le seront encore plus après les élections.