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«C’était une attaque massive. Un cauchemar. Pendant cinq jours, les Russes nous ont bombardés et tiré dessus avec tout ce qu’ils pouvaient : artillerie, missiles Tornado, roquettes, mitrailleuse lourde, depuis la terre et les airs», se souvient cet officier, commandant adjoint au sein de la 92^e brigade mécanisée.

Le militaire âgée d’à peine 38 ans, qui a demande d’être identifié par Fizruk, son nom de guerre, est considéré par plusieurs comme l’un des héros qui a sauvé Kharkiv et contribué à repousser les Russes.

Jour après jour, nuit après nuit, ses hommes et lui ont tenu bon sur leur position située sur l’un des axes principaux donnant accès à la seconde ville d’Ukraine, aujourd’hui ville quasi-fantôme désertée par près des deux tiers de ses 1,4 millions d'habitants. C’était la première étape. Par la suite, une fois les Russes contenus, la contre-offensive ukrainienne a pu être lancée.

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«Si nous avions échoué, Kharkiv serait tombée, dit-il. Mais nous avons des soldats courageux et des commandants compétents qui ont mis au point des tactiques efficaces.» Comme, explique-t-il, envoyer des petits groupes d’artillerie mobiles attaquer des unités russes sur la ligne de front puis se replier immédiatement.

«L’armée russe est supérieure en nombre de soldats mais ils servent de chair à canon. Leur vie n’a aucune importance [pour leurs chefs]. Nous en avons tués encore et encore des Orcs [surnoms donnés aux soldats russes en référence au Seigneur des anneaux]. De toute façon, ce sont des barbares qui n’ont jamais connu de vie civilisée et des pilleurs. Et quand ils ne peuvent pas voler quelque chose, ils le détruisent.»

Les Russes n’ont pas dit leur dernier mot

Aujourd’hui, après des semaines de combats, les troupes russes ont été repoussées presque jusqu’à leur frontière. Mais la quiétude n’est pas revenue pour autant. «Leur seule option pour le moment est de nous bombarder avec de l’artillerie à longue distance ou des missiles, depuis leur territoire ou le Bélarus par exemple.»

Fizruk tient alors à nous montrer les vestiges d’une des roquettes reçues au cours de la nuit. Elle s’est plantée dans l’asphalte à quelques mètres des tranchées et d’un point de contrôle, avant de rebondir. Plus de peur que de mal cette fois-ci. Kharkiv aussi avait été bombardée au début de la nuit, plongeant une partie de la ville dans le noir. Les Russes n’ont pas dit leur dernier mot.

Et au moment même où nous nous apprêtions à quitter les lieux, un bruit semblable à celui d’un avion de chasse déchirait le ciel. Fizruk et les hommes qui l’accompagnaient tournèrent la tête, surpris. S’ensuivit une explosion sourde et un épais panache de fumée marron visible à l’horizon dans cette plaine peu boisée. «Il vaut mieux que vous partiez maintenant», insista l’officier.

Trois hélicoptères de combat MI-8 ukrainiens, ayant survolé notre secteur quelques minutes avant à très basse altitude, venaient de tirer des projectiles non identifiés sur un objectif russe détecté à quelques kilomètres de l’entrée de la ville. «Peut-être des saboteurs ou un peloton de reconnaissance qui avaient réussi à se faufiler jusque là», estima le major Fizruk.

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La population civile de la région a payé le prix fort de l’avancée russe sur Kharkiv et de la contre-offensive qui s’en est suivie. Des barres d’immeubles bétonnés de style soviétique d’une quinzaine d’étages à l’extrémité nord-est de la ville sont dans un piteux état et presque tous inhabitables.

Des pans entiers de façade sont noircis, éventrés ou même parfois pulvérisés sur plusieurs étages. Ici et là, des autos sont écrasées sous de lourdes plaques de béton soufflées par les explosions. Des jouets d’enfants, des vêtements, des chaussures, des livres, etc., sont éparpillés au pied de ces bâtiments.

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Au centre-ville, plusieurs édifices, dont l’imposant siège de l’administration régionale, ont aussi été les cibles de frappes puissantes dont le souffle a brisé toutes les vitres des immeubles des alentours.

Dans les villages à l’extérieur de la ville, le tableau est tout aussi sombre.

L’école de Vil’Khivka, transformée un temps en camp retranché russe puis ukrainien, est méconnaissable. Tous les murs sont noircis, les fenêtres et les portes sont brisées. Des caisses de munition sont éparpillés dans le gymnase. Toutes les maisons d’une rue du village sont réduites en tas de gravats. L’asphalte est marqué par de multiples empreintes des chenilles des blindés. «Qui va payer pour ça, s’indigne une vieille Ukrainienne rencontrée à proximité, un sac et un bidon dans les mains. Les Russes? Ils ne nous donneront pas un Hryvnia [monnaie ukrainienne]. Ils sont juste capables de commettre des atrocités.»

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«Il y a des civils qui habitent ici»

À l’entrée de Mala Rohan, la petite maison bleue de Vassily, 71 ans, semble avoir subi un tremblement de terre. Le toit et le second étage sont à moitié effondrés. Sa femme et lui campent désormais au rez-de-chaussée, sans eau ni électricité. Il raconte que lorsque le premier char d’une colonne de blindés russes a surgi dans le potager en arrière de sa maison, et s’est positionné le canon contre sa dépendance, il est sorti pour les invectiver : «Je leur ai crié : “Que faites-vous sur mon terrain? Il y a des civils qui habitent ici”. Et bien figurez-vous qu’ils sont allés un peu plus loin sans rien dire.»

Vassily veut désormais reconstruire cette maison qu’il avait lui-même bâtie en 1990. Parce qu’il n'a nulle part où aller. «Tout le monde souffre de cette guerre. On se bat pour la victoire, mais quel prix aura cette victoire?» Selon lui, la paix n’est pas pour tout de suite. «Tant que les canons parlent, la diplomatie est muette», lâche t-il avant de retourner dans son potager.

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À moins d’un kilomètre de là, trois hommes creusent à coup de pelle dans le jardin en arrière d’une maison détruite. Un peu en retrait, des membres de la police scientifique ukrainienne prennent des notes et filment la scène. Quelques minutes plus tard, ils exhument un cercueil couvert d’un tissu rouge. Puis ils soulèvent le couvercle, dévoilant une frêle silhouette les mains jointes sur une petite croix et des chaussons aux pieds.

Inna, 73 ans, est morte mi-mars d’une hémorragie après avoir reçu un éclat d’obus à la tête, nous raconte son mari Vadim, une photo en noir et blanc de sa femme dans la main. «Nous allions fêter bientôt nos 35 ans de mariage», dit-il.

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Inna sera autopsiée afin de prouver éventuellement qu’il s’agit d’un crime de guerre, explique l’un des policiers dépêchés dans le secteur pour enquêter sur plusieurs décès de civils survenus lors des affrontements.

Au bord de l’une de ses tranchées, le major Fizruk croit possible une nouvelle tentative russe de s’emparer de Kharkiv. Notamment pour des motifs économiques, dit-il, en raison de ses nombreuses industries.

«Mais, assure t-il, nous sommes motivés et prêts à nous battre jusqu’au dernier d'entre nous pour empêcher les Orcs de revenir.»

Avec la collaboration de Maksym Stryzhevskyi

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