{"accessibility":"METERED","authors":[{"description":{},"imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F8d60181c-9eb9-48e6-be3f-1ccc287f1f8d.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Fabrice de Pierrebourg","source":"Collaboration spéciale"}],"channel":"GUERRE EN UKRAINE","chapters":[{"position":0,"text":"

Dans les décombres de briques et de morceaux de charpente métallique enchevêtrés, on peut deviner en voyant une cuisinière, une baignoire et une laveuse au métal couleur rouille, car chauffés à l’extrême par l’intensité du brasier, l’emplacement de ce qui fut une cuisine et une salle de bain. À l’extérieur, le sol est jonché de balles de gros calibre, de caisses de munitions vides, et de paquets de rations militaires marqués «Armée russe». Une veste d’uniforme doublée trouée et tachée de sang git dans les hautes herbes.

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Le portail coloré percé par des rafales de mitrailleuse et la carcasse d’un char d’assaut russe gisant dans la rue témoignent de la violence des combats qui ont eu lieu devant la maison de Valentin, située à environ soixante-dix kilomètres au nord de Kyiv. Par chance l’octogénaire, ainsi que son fils Alexandr, et son épouse Ludmila avaient déjà été évacués vers Kyiv. Mais avant cela, ils avaient dû cohabiter pendant plusieurs jours avec des soldats russes retranchés dans le champ jouxtant leur maison.

Des soldats mal équipés, parfois affamés et se protégeant avec les moyens dérisoires comme en témoigne un trou bordé de trois frigos et congélateurs volés dans la maison de Valentin et remplis de terre en guise de fortification.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Alexandr, le fils de Valentin, a retrouvé les trois frigos et congélateur volés par les Russes à son père Valentin pour protéger une tranchée.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":3,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F1d44475c-d56c-4739-bcd2-351081ca7ed0.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":4,"text":"

«Certains étaient très jeunes et semblaient carrément démotivés, se souvient Ludmila. L’un d’eux nous a avoué ne pas savoir pourquoi il était en Ukraine. On leur avait juste dit qu’ils allaient combattre des Nazi. Un autre nous parlait de sa femme enceinte et dont il ne connaissait toujours pas le sexe de son futur enfant.»

Si certains soldats cherchaient à discuter, d’autres se montraient plus agressifs en interdisant aux rares habitants du secteur de se servir de leurs téléphones cellulaires, ou d’utiliser une lampe torche la nuit tombée sous peine d’être exécutés.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"count":9,"photos":[{"caption":"Scènes de destruction le long d’une route qui mène à Kyiv.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fb6649dfd-2269-4303-9729-302257da0037.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Assis sur une chaise chambranlante, un béret gris sur son crâne, le vieux Valentin observe immobile les ruines calcinées de sa maison.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fdc7218a1-11d6-4ca1-9139-23c49b17a52f.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Des blindés russes incendiés alignés dans une station essence détruite lors des combats.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F0cee48ab-45a3-43b9-84be-3f92a942181f.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Le journal de guerre de Tymofiy.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Ff5cb4824-7906-4f4b-a621-e9d00a2ceb83.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Vadim ouvre porte de la cave minuscule dans laquelle il s’était réfugie avec sa femme et leurs animaux. ","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg ","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F44ce0a2f-6fb2-4b62-ae02-7d54a7da7cd6.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Un paquet de repas de l’armée russe trouvé dans la maison de Valentin.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F0b17cf5a-cef0-4277-a97d-7afc57f676f2.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Un char d’assaut git calciné au bord de la rue devant la propriété de Valentin.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F5677a013-a7ac-4459-947f-3235b829b6f6.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Boris Ivanovich tente de récupérer des matériaux de sa maison dévastée.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fbbd9a1b3-2a49-486b-b811-c359f66e6116.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Une caisse de munitions russes dans les herbes autour maison de Valentin.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F237004b1-f55f-43c3-8a34-9a51f28d775c.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]}],"position":5,"title":{"fr":"Fabrice de Pierrebourg en Ukraine"},"type":"slideshow","contents":[]},{"position":6,"text":"

Plus au nord, à Shevchenkove, l’occupant russe a semé la mort. Les cadavres d’une demi-douzaine de civils ont été retrouvés dans un sous-sol glauque. Exécutés d’une balle dans la tête. Quant à Tymofiy, 12 ans, et Serafim, 5 ans, ils n’ont plus de parents. Ils été fauchés le 8 mars d’une rafale de mitrailleuse tirée sans sommation à travers la lunette arrière de leur voiture par une colonne de blindés russes qui pénétrait dans leur village alors qu’ils rentraient précipitamment du petit marché local.

Leurs dépouilles sont restés deux jours dans leur Opel grise métallisée aux vitres criblées de balles, avant que les Russes n’autorisent enfin leurs proches à récupérer les dépouilles et les enterrer sommairement sur le terrain jouxtant la maison familiale.

Une fin horrible que la famille a tenté de dissimuler le plus longtemps possible aux deux jeunes orphelins récupérés depuis le drame par leur oncle et tante dans leur modeste maison en bois toute proche. La version officielle était que leurs parents étaient coincés à Kyiv en raison des combats.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Tymofiy, 12 ans, et Serafim, 5 ans, n’ont plus de parent","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":7,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F582c8bf7-73e9-4fbd-a864-a13dbec1c4a4.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":8,"text":"

«J’ai découvert ce qui est arrivé à ma mère et à Sirohza. Ils ont été tués. Ma tante Léna nous a caché ça jusqu’au tout dernier moment», écrit sobrement Tymofiy en date du 18 mars dans son journal de guerre entamé dix jours plus tôt sur un petit cahier d’école quadrillé et désormais inachevé.

Un récit brut tantôt tragique, tantôt naïf, avec ses mots d’enfant, écrit au stylo à bille bleue, parsemé de dessins de chars tirant des obus et de maisons en flammes. Au fil des pages, Tymofiy raconte la guerre à travers ses yeux, les obus qui volent au dessus de la maison, les éclats de métal qui endommagent la toiture, la clôture, celle du voisin et tuent son chien, ainsi que les heures prostré dans la cave. Son dernier texte est daté du 5 mai. Une succession de lettres et de signes. «Un langage codé», dit sa tante en souriant.

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«Je ne veux plus l’ouvrir, ni le lire, me dit Tymofiy. Mais j’aimerai un jour écrire un roman dans lequel je raconterai ma vie avec des personnages fictifs, sans blâmer, ni accuser.» À ses côtés, son petit frère joue avec de la pâte à modeler sous l’œil attendri de leur oncle et tante.

«Pitié, ne tirez pas»

Les habitants rencontrés au hasard tout au long de notre périple dans ce paysage bucolique de champs verdoyants illuminés par un soleil printanier et parsemés de maison colorées, un décor trompeur, avaient presque tous une anecdote dramatique à conter sur ces semaines d’occupation russe. Comme cette femme dont le fils de sa voisine a été fauché par les tirs d’un blinde russe stationné dans leur rue.

Le jeune homme âgé de 23 ans, qui souffrait d’une déficience intellectuelle, s’était avancé d’un pas rapide vers le véhicule militaire. Par simple curiosité. Il en est mort.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Halyna survivante d’une explosion de roquette ou d’obus. On voit aussi sa mère adossée à la palissade.","contentType":"image","credits":"Collaboration spéciale, Fabrice de Pierrebourg","position":11,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F4ad1078f-7665-47f6-b689-a35664db67ac.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":12,"text":"

Dans un chemin isolé de Nova Basan, Halyna, 63 ans, s’estime chanceuse d’être encore en vie. Elle a été grièvement blessée par la chute d’une roquette lors d’une contre-offensive ukrainienne alors qu’elle venait de sortir de la maison qu’elle occupe avec son frère Sergeï, 57 ans et leur mère Ouliana, 86 ans.

L’explosion violente l’a projetée au sol, avec une commotion cérébrale, des éclats dans le dos qui la faisait atrocement souffrir, et une hémorragie importante à la jambe. «Pitié, ne tirez pas, de toute façon je vais mourir», a-t’elle supplié aux soldats russes, postés dans sa rue depuis le 28 février, qui accouraient vers elle.

Contre toute attente, ce sont les envahisseurs qui lui ont prodigué des soins d’urgence avant qu’elle soit conduite a l’hôpital. Les mêmes qui ont voulu agressivement fouiller dans son téléphone dès leur entrée dans le quartier, qui pillaient « tout ce qu’ils pouvaient» dans les maisons désertées, ou qui ont volé ses poules pour les manger. Et les mêmes qui ont failli tuer son frère le jour où il avait voulu s’enfuir vers les bois en arrière. Ou bien lorsqu’il insistait pour éteindre un incendie dans la maison de leurs voisins en face. «File chez toi et va faire une sieste» , lui a intimé un militaire furieux, mitrailleuse lourde pointée vers lui.

Bruit infernal

Plus loin dans la campagne, Vadim un maraîcher est demeuré presque trois semaines, au mois de mars, dans une cave humide minuscule avec sa femme et leurs cinq chiens bâtards, dont Bruce, «en honneur de Bruce Willis», et dix chats, sans électricité et peu de nourriture dont des pommes de terre. Les chars russes positionnés à proximité faisaient trembler le sol à chaque salve d’obus tirée. «Imaginez ce bruit infernal... », souffle t-il.

Une hache à la main, vêtu d’une salopette de travail, Boris Ivanovich, 62 ans, tente avec son ami Vasil, de trier et récupérer ce qu’il peut des décombres de sa maison qu’il avait construite en 1984 dans le village de Peremoha, à 30 km au nord est de la capitale. C’était un petit paradis se souvient-il, avec sa terrasse ombragée, ses fleurs, un barbecue en briques, son potager, sa ruche et son poulailler.

«C’est toute notre vie qui a été pulvérisée en un instant, mais Dieu a été miséricordieux avec nous, si l’on compare avec les massacres commis à Boucha et Irpin», croît Boris, en s’épongeant le front. «Mais des jeunes gens ont quand même été tués hélas pas loin d’ici.»

La reconstruction de sa propriété dévastée par un obus est un rêve prendra du temps. Il n’a pas l’argent nécessaire pour acheter du ciment dont les prix s’envolent, ni même pour remplir souvent le réservoir de son auto. Et il ne croit plus en les promesses d’aide du gouvernement et ses «phrases vides».

À la page 4 de son petit cahier, le jeune Timofiy, avait griffonné cette phrase en rouge : «Les rêves ne deviennent jamais réalité!»

Avec la collaboration de Maksym Stryzhevskyi

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