Mach 27, et alors?

Un missile balistique intercontinental d’élève d’une rampe de lancement installée sur un camion, en Russie.

L’affirmation: «J’ai lu récemment que la Russie aurait utilisé des missiles hypersoniques en Ukraine. Moscou prétend que son missile “Avangard” peut atteindre Mach 27, soit 27 fois la vitesse du son, le rendant invisible pour les radars, et donc invincible. Je ne suis pas physicien, mais, à cette vitesse, le frottement de l’air ne ferait-il pas fondre le missile avant qu’il n’atteigne sa cible? Comment se fait-il qu’il soit indétectable par des ondes radars, qui voyagent à 300 000 km par seconde? Est-il seulement possible pour un missile de voler à cette vitesse, ou est-ce un autre exemple d’enflure verbale typiquement poutinesque?» demande Michel Renaud, de Québec.


LES FAITS

On dit qu’un missile est «hypersonique» quand il parvient à dépasser Mach 5, ou cinq fois la vitesse du son. Cette vitesse n’est pas toujours la même — elle change avec la densité de l’air et la température, notamment —, mais disons que cela donne une vitesse de l’ordre de 5000 km/h. À pareille allure, la friction de l’air à l’avant du missile devient si intense, et les chaleurs créées sont si fortes, que cela crée un «nuage de plasma» : non seulement la chaleur brise les molécules, mais elle défait carrément les atomes eux-mêmes, transformant les gaz devant le missile en une sorte de «soupe» d’électrons et de noyaux atomiques. Or justement, on sait que les ondes radar sont incapables de traverser le plasma. Cela rend donc le missile «invisible» pour les radars.

En outre, même si un radar parvient à «voir» un missile hypersonique, cela ne donne pas grand-chose : les défenses antimissiles conventionnelles ne sont tout simplement pas capables de suivre.

L’intérêt d’atteindre Mach 5, il est là. Mais rien n’empêche par ailleurs une armée de mettre au point des missiles encore plus rapides. Il ne date d’ailleurs pas d’hier que le Kremlin se vante d’avoir des missiles volant à «plus de 20 fois la vitesse du son» — donc plus de 20 000 km/h. La BBC le rapportait déjà en 2019, quand la Russie a annoncé la mise en service de ses missiles Avangard.

Maintenant, est-ce que ces prétentions ont été vérifiées? Pas vraiment, dit Billy Allan, professeur de génie aéronautique au Collège militaire royal de Kingston. «Je ne sais pas d’où vient ce chiffre de Mach 27, mais les missiles hypersoniques que la Russie a annoncés il y a deux ou trois ans allaient à Mach 10 ou 12. C’est ça qui a été démontré», dit-il.

Il est quand même tout à fait possible que l’Avangard puisse atteindre Mach 27 malgré tout si on le lance en très haute atmosphère, ou même hors de l’atmosphère, poursuit M. Allan. À cet endroit, les gaz de l’atmosphère sont si rares qu’ils offriraient beaucoup moins de résistance, permettant de voler encore plus vite. Notons à cet égard que la Station spatiale internationale orbite à environ 28 000 km/h en moyenne (à une altitude d’environ 400 km). On parle donc ici d’une vitesse qui est certainement atteignable par un missile qui volerait suffisamment haut.

Sauf que d’un autre côté, sans atmosphère, le «nuage de plasma» ne pourrait pas se former et le missile deviendrait détectable par les radars, ce qui lui enlèverait une partie de son intérêt. Le fait de pouvoir voler à Mach 27 là-haut n’est donc pas vraiment pertinent : «c’est vraiment la vitesse atteinte en basse altitude, à moins de 10 km, qui compte», insiste M. Allan.

Pour tout dire, même le fait d’atteindre Mach 10 ou 12 ne change pas grand-chose, poursuit-il. Les principaux avantages de la vitesse, soit le fait d’être impossible à détecter ou à intercepter, sont déjà bien présents à Mach 5 et ne sont pas vraiment augmentés si le missile va encore plus vite. «C’est fait pour cibler des navires de guerre par exemple, ou d’autres cibles militaires qui sont protégés par des systèmes antimissiles. Pour atteindre des cibles comme ça, il faut aller très, très vite», explique M. Allan. Mais Mach 5 suffit déjà.

Et c’est peut-être là que l’«enflure verbale poutinesque» se trouve, s’il y en a. Je ne suis pas dans la tête de Vladimir Poutine, mais il est possible qu’en annonçant que la Russie possédait les missiles les plus rapides du monde — même s’ils sont «inutilement rapides» —, le Kremlin ait voulu obtenir un certain prestige ou impressionner ses adversaires. Ce serait un peu le même principe que la Guerre froide, quand les États-Unis et l’URSS ajoutaient des ogives nucléaires supplémentaires à leur arsenal : c’était absurde parce qu’ils en avaient déjà plus qu’il n’en faut pour raser la planète, mais le but visé était surtout d’en avoir plus que l’autre pour paraître plus fort. Ce n’est qu’une hypothèse, il faut le souligner, mais il se peut qu’il y ait un peu de ça dans cette histoire de «plus de Mach 20».

VERDICT

Tout à fait possible, mais pas vraiment pertinent. En très haute atmosphère, il est tout à fait envisageable qu’un missile hypersonique comme l’Avangard puisse dépasser les 25 000 km/h. Mais cela ne donnerait pas grand-chose, puisque les principaux avantages des missiles hypersoniques, soit l’indétectabilité et l’impossibilité à intercepter, sont déjà présents à Mach 5 (environ 5000 km/h) et n’augmentent pas si l’appareil vole plus vite.

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