Un «virage majeur» pour contrer une «tempête parfaite»

La Semaine des travailleurs sociaux vise à rappeler le rôle essentiel de ce corps de métier à une époque où leurs services sont de plus en plus nécessaires, mais à la fois de moins en moins accessibles. 123RF

Se déroulant depuis dimanche et jusqu’à samedi sous le thème «Les TS expriment leurs couleurs», la Semaine des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux vise à rappeler le rôle essentiel de ce corps de métier à une époque où leurs services sont de plus en plus nécessaires, mais difficilement accessibles. Et comme cette semaine coïncide avec le dépôt du dernier budget provincial du gouvernement Legault avant les élections, le président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ), Pierre-Paul Malenfant, a de grandes attentes.


Il espère que le gouvernement Legault fera le nécessaire pour soutenir un système en perpétuelle crise, mais aussi pour ramener des services de proximité et de première ligne dont les besoins sont plus criants que jamais.

Selon lui, la pandémie a donné lieu à une «tempête parfaite». «Tous les ingrédients sont réunis, note M. Malenfant. On voit déjà de nombreux impacts de la pandémie, dont certains vont perdurer au-delà de la crise; d’autres vont se manifester à retardement. Partout dans le réseau on fait face à des listes d’attente, que ce soit des personnes âgées qui veulent des soins à domicile ou un lit dans un CHSLD, des familles qui ont besoin de services à la jeunesse, des thérapeutes, des places en garderie.»



Ajoutons à cela une inflation qui pèse lourd sur le portefeuille des Québécois, et particulièrement des plus démunis, une crise du logement, faute d’appartements abordables en quantité suffisante, les répercussions des changements climatiques sur notre quotidien et notre avenir, de même que la crise humanitaire en Ukraine qui aura des échos chez nous avec l’arrivée des réfugiés.

«Ça prend des ressources pour soutenir ces nouveaux arrivants-là, rappelle M. Malenfant. Mais déjà, il y a des listes d’attente partout. Nous faisons face à des besoins sans précédent en santé et en services sociaux et le réseau est dans un état lamentable.»

Et pour cause: devant les obstacles auxquels ils font face au quotidien, dont une surcharge de travail et un sous-financement récurent, des professionnels en santé et en services sociaux quittent massivement le réseau. «Par centaines, précise le président de l’OTSTCFQ. Ils ne se sentent plus capables d’offrir des services adéquats, de respecter les exigences de leur métier. Ils sont épuisés.»

«Des sondages que nous avions menés entre 2018 et 2020 nous laissaient déjà deviner, avant la pandémie, qu’un exode était en cours. La crise sanitaire en a ajouté une couche», mentionne-t-il.



Un «virage majeur» est donc plus que nécessaire pour renverser la vapeur, estime Pierre-Paul Malenfant. «Il faut revoir la dynamique qui fait tourner le système de santé et des services sociaux. La prévention a été trop longtemps négligée en raison de coupures majeures. Ce faisant, les gens attendent trop longtemps avant d’aller chercher de l’aide», dit-il.

«Maintenant, pour avoir accès aux services, il faut être malade, il faut être en crise. Pourquoi ne pas investir pour que les gens aient accès à des services avant que ça ne dégénère et qu’ils doivent se rendre dans le bureau du médecin?» poursuit celui qui plaide pour des investissements massifs dans les services de proximité, dans la prévention et dans l’accessibilité des services.

«La population n’a plus accès à des services de proximité; les CLSC, autrefois un modèle qui avait inspiré d’autres sociétés que la nôtre, sont parfois fermés. Ils n’offrent plus autant de services, pas même un accueil et un accompagnement parfois nécessaires à des gens qui ne savent pas à quelle porte cogner», déplore le principal intéressé.

Ce dernier offre l’entière collaboration de son ordre auprès du gouvernement pour refonder le réseau de la santé et des services sociaux, dont une grande erreur est d’avoir relayé ces derniers à un second rôle. «Avant, entre 1970 et 1985, on avait le ministère des Affaires sociales, relate le président. Aujourd’hui, même si on parle plutôt du ministère de la Santé et des Services sociaux, on entend beaucoup plus parler du volet santé. Les services sociaux sont relayés du côté des services multidisciplinaires; ils sont noyés avec une pléthore d’autres professions et au Québec, il n’y a plus de leadership pour mettre le travail social de l’avant à sa juste valeur.»

À la veille du dépôt du dernier budget provincial du gouvernement Legault avant les élections, le président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ), Pierre-Paul Malenfant, a de grandes attentes.

D’où la nécessité de ce virage majeur, de cet électrochoc réclamé par l’OTSTCFQ. «Ce n’est pas en faisant la même chose qu’avant qu’on va arriver à un nouveau résultat, clame M. Malenfant. Ce gouvernement a été élu il y a près de quatre ans. On peut encore pointer la réforme Barrette du doigt pour expliquer certains problèmes dans le réseau, mais en quatre ans, je n’ai pas vu grand chose de fait par ceux qui nous gouvernent actuellement pour tenter de réparer les pots cassés.»

Pour éviter un autre drame



Plus précisément, M. Malenfant et l’OTSTCFQ s’attendent à voir de l’argent neuf dans le système de la protection de la jeunesse. «Le rapport de la Commission Laurent [ndlr: la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse] a été déposé il y a un an, et peu de suivis ont été faits, constate le président. Il y a eu la loi 15, mais il faudrait que l’ensemble des recommandations de la commission soit mis en oeuvre et pour y parvenir, ça prend des investissements majeurs.»

Ces investissements devront cibler la formation des intervenants, mais aussi permettre l’embauche de personnel pour bonifier suffisamment les effectifs afin de leur offrir du temps de supervision et les libérer de toute la paperasse qui embourbe leur tâche actuellement.

«En fait, tout est dans le rapport. Le mode d’emploi est là, ne manque que la volonté politique, souligne M. Malenfant. C’est important d’agir, et vite, de donner suite à ce rapport. Actuellement, avec le peu d’avancées, on ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas un autre enfant qui subira le même sort que la fillette de Granby.»

« La pandémie est le plus gros sinistre que le Québec ait connu », croit M. Malenfant, en termes de victimes directes et collatérales. Ses impacts ont fait en sorte de mettre en lumière les nombreux « trous » du filet social québécois, déjà durement mis à l’épreuve par de nombreuses compressions et réformes infligées au système de santé et par un désinvestissement dans le milieu communautaire.

« On constate qu’il y a des problèmes un peu partout et que les enjeux se sont multipliés en raison de la pandémie, ajoute-t-il. Comme travailleurs sociaux, on est à même de voir tous les impacts que la situation actuelle a sur la population, et ce, dans tous les milieux : à la maison, à la garderie, à l’école, dans les centres de réadaptation, dans les CLSC et même dans les résidences pour aînés et les CHSLD. Et ce sont toujours les plus vulnérables qui écopent en premier et qui écopent le plus. »

Ces problématiques observées sur le terrain ne se résorberont pas par magie une fois que tout le monde aura été vacciné, bien au contraire, prévient M. Malenfant. C’est pourquoi l’OTSTCFQ réclame du gouvernement qu’il mette en place un plan de rétablissement collectif pour éviter que ces impacts ne perdurent à long terme. « Quand on pense à un certain retour à la normale, on n’entend parler que de relance économique, de soutien aux entreprises, déplore M. Malenfant. Mais la pandémie a déjà et va continuer d’avoir des impacts psychosociaux à long terme chez les Québécois. On en parle moins, mais c’est autant, sinon plus, d’intérêt public de s’assurer qu’on a les ressources pour prendre soin de nous. C’est faux de penser que tout va redevenir exactement comme avant une fois la pandémie derrière nous. »

Concertation

Ce vaste plan de travail, qu’il souhaite élaboré en concertation par des acteurs de plusieurs milieux — santé et services sociaux, loisirs, économie, politique, communautaire, entre autres — devra mesurer l’ampleur de la situation et y répondre adéquatement. « Si on ne prend pas dès maintenant des mesures pour s’assurer d’une relance sociale, on va traîner des problèmes sur des années et ça va coûter très cher à la société, avertit le président. Plus on investit intensément et rapidement dans nos programmes sociaux, plus on va diminuer les impacts à long terme. »

M. Malenfant espère que ce plan de match souhaité s’accompagne d’investissements massifs, mais surtout permanents, dans le réseau des services sociaux, non seulement pour rattraper le retard accumulé des dernières années, mais pour arriver à répondre à une demande toujours croissante. La crise sanitaire a permis de mettre en lumière une autre crise, celle-là qui sévissait déjà dans les CHSLD et qui a été exacerbée par la pandémie. « Quand ces histoires d’horreur ont été rapportées, le gouvernement a agi. Il a constaté un manque de préposés aux bénéficiaires, alors il a mis sur pied un programme pour en former et en envoyer rapidement sur le marché du travail. Ça a donné ses résultats, relate M. Malenfant. Rien ne l’empêcherait de faire la même chose pour qu’on ait enfin plus de travailleurs sociaux. »



Le président souligne les investissements annoncés par le gouvernement dans diverses mesures pour soutenir la santé mentale des Québécois. « C’est un bon départ, mais il faudrait que ces investissements soient renouvelés, dit-il. Le gouvernement fait de bonnes choses présentement ; ce n’est pas simple de gérer une pandémie. Mais il faut aussi penser à long terme, et pas seulement en termes économiques. »

« Si on ne soutient pas les gens qui sont déjà vulnérables, ils ne seront pas nécessairement rétablis quand surviendra un autre événement et l’accumulation des blessures de ces événements sera décuplée », lâche-t-il.