Les faits
Il m’est évidemment impossible de diagnostiquer ce qui afflige M. Chételat. D'abord parce que je ne suis pas médecin, et ensuite parce que la fatigue est un symptôme très peu spécifique qui peut avoir été causé par un très grand nombre de choses — il n'y a donc pas forcément de lien avec le vaccin. Mais la question qui m'est posée ici est : est-il possible que les vaccins anti-COVID aient ce genre d’effet ? Et la réponse est qu’il se pourrait que oui, même si c’est rarissime et que, d’un point de vue global, tout indique jusqu’à maintenant que les vaccins anti-COVID réduisent grandement le risque d’avoir de tels symptômes à long terme.
Ce que M. Chételat décrit ressemble en effet à ce qu’on appelle la «COVID longue», dont un des symptômes possibles est une perte d’énergie et une fatigue qui perdurent pendant des semaines, voire des mois après l’infection. Le ou les mécanismes derrière le phénomène n’ont pas encore été bien élucidés mais pourraient, par exemple, être des virus ou des morceaux de virus qui persisteraient dans certains tissus et provoqueraient une inflammation chronique, ou encore la production d’«auto-anticorps», soit des anticorps aberrants qui, en plus de s’attaquer au virus, s’en prendraient aussi à nos cellules, lisait-on plus tôt ce mois-ci dans Science.
«Une réponse immunitaire incontrôlée peut faire ça aussi, et ce n’est pas tout le monde qui répond de la même manière à un même antigène [ndlr : une substance qui déclenche une réaction immunitaire]. (…) Il ne faut pas évidemment douter de ce que les gens qui déclarent ces symptômes-là nous disent, il faut plutôt l’étudier», ajoute pour sa part Andrés Finzi, chercheur en vaccinologie à l’Université de Montréal.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas impossible que les vaccins puissent à l’occasion avoir des effets similaires. Un commentaire paru en janvier dernier dans le New England Journal of Medicine évoquait cette possibilité, disant que le système immunitaire produit toujours plusieurs anticorps différents lorsque confronté à un corps étranger (y compris un vaccin) et que l’on doit envisager cette possibilité. Cela n’a toutefois jamais été prouvé, rappelle M. Finzi.
Dans tous les cas, et il est important de le souligner, il est clair que les vaccinés qui développent des symptômes semblables à la COVID longue sont très, très rares. «Ce qui ressort de tout cela, c’est que les avantages de la vaccination dépassent largement les effets indésirables, dit M. Finzi. Il y a quelques cas qui ont des effets secondaires qui ressemblent à la COVID longue, et il faut essayer de les comprendre, mais d’un point de vue populationnel, ils sont peu nombreux. Le risque est beaucoup moins grand de faire une COVID longue après le vaccin qu’après une infection.»
C’est une conclusion que partageaient d’ailleurs plusieurs autres chercheurs dans un article paru en janvier dans Science : au total, les vaccins réduisent le risque de développer ce genre de symptômes à long terme. Et c’est sans compter d’autres travaux, notamment anglais et israéliens, qui ont montré que les vaccinés qui attrapent le SRAS-CoV-2 ont moins de chance de faire une COVID longue que les non-vaccinés.
Il peut sembler contre-intuitif, voire contradictoire de dire que des vaccins peuvent provoquer (parfois) un effet indésirable X et en même temps en réduire le risque, mais ça ne l’est pas. Si la maladie contre laquelle on vaccine augmente le risque davantage que le vaccin lui-même, alors l’opération peut devenir «rentable», pour ainsi dire : la vaccination prévient plus de complications qu’elle n’en génère. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé avec les fameuses myocardites, ces inflammations du muscle cardiaque qui surviennent (rarement, mais quand même) après la vaccination anti-COVID — surtout après la deuxième dose de vaccins à ARNm. Ceux-ci augmentent bel et bien le risque, ajoutant 2,7 myocardites par 100 000 personnes d’après une étude parue en septembre dernier dans le New England Journal of Medicine, mais attraper la COVID-19 accroit ce risque encore bien davantage, au rythme de 11 par 100 000, si bien qu’à l’échelle sociétale, la vaccination réduit le nombre de myocardites. (Notons toutefois que certaines études ont trouvé que les avantages étaient moins clairs à cet égard pour les jeunes adultes.)
Il n’y a par ailleurs rien de nouveau ou d’exceptionnel à tout cela. On sait par exemple que les vaccins contre la grippe peuvent déclencher des épisodes du syndrome de Guillain-Barré, où le système immunitaire se met à attaquer le système nerveux, ce qui peut provoquer une paralysie temporaire à différents degrés. Or l’influenza elle-même est elle aussi une cause de Guillain-Barré, mais à une fréquence bien supérieure aux vaccins, si bien qu’au bout du compte, les vaccinés font moins de Guillain-Barré que les non-vaccinés — 6,6 par million contre 9,2, selon une étude parue en 2014 dans l’American Journal of Public Health.
Verdict
Pas impossible. L’idée que les vaccins anti-COVID puissent à l’occasion déclencher des symptômes comparables à ceux de la COVID longue est envisagée en science, bien qu’elle n’ait pas été prouvée. Dans tous les cas, cependant, il semble clair que le risque est bien moindre que si l’on attrape la COVID, si bien qu’en bout de ligne, les vaccins réduisent ce risque.
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Précision (19 mars, 7h50) : une version antérieure de ce texte a été modifiée pour clarifier que la fatigue est un symptôme très générique et que le lien avec le vaccin ne va pas forcément de soi.