L’étang Bull est un ancien réservoir d’eau potable créé en 1910, à Brigham, pour desservir alors le Canton de Sweetsburg. Il n’est plus utilisé à cette fin depuis le milieu des années 1960, moment où le lac Davignon est devenu la principale source d’eau potable de Cowansville.
Ce faisant, en mai 2019, la municipalité avait résolu de céder l’étang Bull et les trois digues qui retiennent ses eaux aux quelques riverains du plan d’eau, qui se sont regroupés sous l’Association des propriétaires riverains de l’étang Bull (APREB) en vue de cette transaction. Parmi ses membres, notons le fondateur de Cavalia, Normand Latourelle, ainsi que l’homme d’affaires Gaétan Frigon.
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Or, peu de temps après la signature de cette entente, la Ville aurait réalisé que celle-ci ne lui était d'aucune utilité puisque l’étang Bull ne lui servait plus du tout de prise d’eau depuis près d’une quarantaine d’années. Ce faisant, elle se voyait mal investir une somme aussi importante en deniers publics « au seul profit de propriétaires privés situés à l’extérieur de son territoire, sur un étang auquel il n’y a aucun accès public et qui est enclavé par les propriétés privées des membres de l’APREB ».
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De plus, le type d’utilisation des trois barrages sur l’étang Bull serait considéré comme « récréatif et de villégiature » par le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MELCC), ce qui ne justifie pas à ses yeux un investissement d’une telle ampleur, argue Cowansville.
Ping-pong juridique
Voilà donc quelques mois que la Ville et l’APREB communiquent par l’entremise de leurs avocats afin d’en arriver à une entente, en vain.
En juillet dernier, l’APREB avait mis la municipalité en demeure afin de l’enjoindre à mettre aux normes les barrages et de les lui céder par la suite, comme le prévoyait l’entente de 2019.
Le 2 août suivant, Cowansville avait répondu que rien ne lui permettait légalement de dépenser des fonds publics « au bénéfice de propriétés privées situées à l’extérieur de son territoire », mais offrait malgré tout de céder gratuitement les ouvrages à l’APREB, qui, dans ce cas-là, devrait défrayer le coût des travaux. Les rapports, analyses professionnelles et toute la documentation en lien avec ceux-ci ont d’ailleurs été transmis à l’organisme dans les semaines suivantes.
Or, en janvier dernier, l’APREB a refusé l’offre de la municipalité. Plutôt que de se voir céder les barrages, l’association a fait part de sa préférence à obtenir un droit d’usage gratuit, exclusif et irrévocable à l’étang Bull et ses ouvrages.
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Considérant cette contre-offre encore moins avantageuse que l’entente initiale, la forçant à demeurer propriétaire des barrages « pour une période indéfinie et qu’elle doit en plus en assumer tous les coûts actuels de mises aux normes ainsi que tous les coûts futurs », il a finalement été résolu par le conseil municipal, le 21 février dernier, de démanteler les trois barrages, « comme ceci aurait dû être fait au moment où l’étang Bull a cessé de servir de source d’eau potable pour la Ville de Cowansville ».
Le plan d’eau a une superficie de 115 000 mètres carrés et un volume de 481 700 mètres cubes d’eau.
Malgré ces correspondances juridiques, le conseil municipal avait unanimement résolu, en septembre dernier, de déposer une demande au Programme d’aide financière à la mise aux normes de barrages municipaux (PAFMAN) pour des travaux de mise aux normes du barrage Bull. Rappelons que la Loi sur la sécurité des barrages oblige les municipalités à se conformer à certaines normes concernant ces ouvrages.
La Ville de Cowansville a décliné nos deux demandes d’entrevue. La mairesse Sylvie Beauregard a toutefois fait parvenir à La Voix de l’Est une déclaration écrite.
«Dans le cas présent, il n’est pas possible pour la Ville de dépenser l’argent des contribuables à l’extérieur du territoire de la municipalité au bénéfice exclusif de seulement 4 propriétaires domiciliés sur le territoire de Brigham. Une municipalité est fiduciaire des fonds publics, soit l’argent de ses citoyens. À ce titre, elle a des contraintes sur la façon de dépenser cet argent et elle n’a aucun droit de le faire en dehors de ses compétences. Évidemment, nous ne sommes pas sans savoir qu’il pourrait y avoir des impacts environnementaux et, dans cette optique, les travaux seront effectués dans le plus grand respect des exigences et recommandations du ministère de l’Environnement. Celui-ci sera d’ailleurs présent pour encadrer le tout afin de s’assurer de minimiser le plus possible les impacts.»
«Ça n’a aucun sens»
L’Association des propriétaires riverains de l’étang Bull (APREB) est stupéfaite par la volte-face de Cowansville, qui avait convenu en 2019 de mettre à niveau les trois barrages du plan d’eau avant de les lui céder. Le regroupement citoyen ne s’explique pas la décision de démanteler les ouvrages, d’autant plus que l’opération s’avère plus coûteuse que les travaux prévus initialement.
Une copie de la décision du conseil devait être acheminée à chacun des membres de l’APREB. Or, le président de l’Association, Normand Latourelle, n’était pas encore au courant des intentions de Cowansville lorsque rejoint par La Voix de l’Est, plus d’une semaine après l’adoption de la résolution.
Après avoir pris connaissance de la résolution adoptée le 21 février, l’APREB s’est réunie dimanche dernier. Des discussions avec la direction générale de Cowansville ont aussi eu lieu vendredi afin de reprendre les pourparlers et de chercher de nouvelles solutions. « On a réussi à faire reconnaître à la Ville que de démanteler les barrages était plus coûteux que de les mettre à niveau, des travaux qui auraient dû être faits en 2018 à la demande du ministère [de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques] », a indiqué Normand Latourelle, qui rappelle que ses voisins et lui-même avaient été approchés par Cowansville, à l’époque, pour prendre possession des infrastructures étant donné qu’elle ne voulait plus les avoir à sa charge.
« Ça n'a aucun sens, on ne comprend pas la logique derrière cette décision, a confié le Brighamois lors d’un entretien téléphonique. Pourquoi, après avoir signé une entente en bonne et due forme, en présence de la mairesse, du directeur général et de la greffière, ça ne fonctionne plus maintenant? Il n’y a pas de logique à dépenser davantage pour démolir. »
« On était prêts, à leur demande, à prendre la charge de l’entretien futur des barrages et même les assurances, renchérit l’homme d’affaires. On comprend qu’ils ne veulent plus s’en occuper, c’est pour ça qu’on a mis l’association en place. »
«Tollé environnemental»
Pour les membres de l’APREB, le démantèlement des barrages de l’étang Bull est impensable. « Personne ne connaît l’état d’origine de l’étang puisque les barrages ont plus de cent ans, rappelle M. Latourelle. La nature a eu le temps d’y faire son chemin. Il y a tout un écosystème là-bas, il y a des loutres, des animaux, des plantes. »
« C’est une réserve d’eau extraordinaire, poursuit le président de l’APREB. Le démanteler va créer un tollé au point de vue environnemental, un trou sans végétation, sans compter qu’on a déjà du mal à avoir accès à des sources d’eau potable... »