Rien n’est moins sûr, selon des experts interrogés par les Coops de l’information. La propagande, présente dans tous les conflits, s’ajoute à la désinformation et aux manipulations amplifiées par les réseaux sociaux. La quantité d’information partagée rend d’ailleurs parfois l’authentification difficile. En 2022, les utilisateurs de ces réseaux risquent de devenir des vecteurs de propagande, souvent malgré eux.
L’invasion en Ukraine est peut-être la première guerre où des citoyens peuvent être instrumentalisés à leur insu. En relayant sur nos réseaux sociaux des éléments de propagande, on devient des armes involontaires de la guerre de désinformation menée par la Russie.
« C’est arrivé dans le passé dans le contexte de l’élection présidentielle américaine et du Brexit au Royaume-Uni. Ce qui est nouveau, c’est que cela se fait maintenant dans le contexte d’une véritable guerre », poursuit-il.
Marie-Ève Carignan, professeure de communication à l’Université de Sherbrooke, pose elle aussi un constat troublant. « Les chercheurs le disent : les guerres sont de plus en plus hybrides. La guerre de l’opinion publique, à l’information, est aussi importante que celle sur le terrain. »
C’est Tik Tok qui inquiète davantage Nellie Brière, consultante en communications numériques et réseaux sociaux, même si tous les réseaux sont victimes d’un « grand brouillard » en raison des informations floues qui y circulent. On y trouve entre autres de l’hameçonnage pour recueillir des dons pour les Ukrainiens.
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« Il est possible d’envoyer des cadeaux numériques sur Tik Tok. Les utilisateurs donnent, en se basant sur des fausses images, et il y a plein de gens qui ne sont pas en Ukraine qui font de l’argent. En circonstance de guerre, il faut toujours douter, faire des recherches inversées avec les images et laisser faire les contacts avec les Ukrainiens obscurs. »
Selon elle, les Ukrainiens n’ont pas intérêt à partager des vidéos en direct, parce qu’ils exposeraient alors un tas de renseignements stratégiques.
Mme Brière estime par ailleurs que les Ukrainiens et les Russes sont très habiles en matière de propagande. « Les réseaux sociaux sont des outils fantastiques pour parler à tout le monde, même ceux qui ne veulent pas être informés », dit Nellie Brière.
À titre d’exemple, selon l’OTAN, Twitter a supprimé deux millions de comptes fictifs pouvant servir à la désinformation en 2018.
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L'attrait de l'image
Marie-Ève Carignan ajoute que le court format des vidéos Tik Tok est particulièrement attrayant. « Il est démontré que nous avons tendance à croire que le niveau de véracité est plus grand quand on voit des photos ou des vidéos. On ne pense pas qu’elles peuvent être décontextualisées. »
La vidéo de ce père faisant ses adieux à sa fille, à la porte d’un autobus, en est un bel exemple. Si on a cru à l’origine qu’elle était celle d’un Ukrainien pro-Kiev, il s’agirait plutôt d’un séparatiste du Donbass qui envoyait sa famille en Russie.
Jean-Hugues Roy n’hésite pas à affirmer que la Russie met ses usines à trolls à profit pour produire de la désinformation. Le pays de Vladimir Poutine a investi Tik Tok selon lui.
Selon Snopes, un site cherchant à authentifier les informations circulant en ligne, les Russes utilisent des vidéos qui paraissent inoffensives, et mettant en vedette des animaux, pour faire leur propagande. Il cite aussi une compagnie israélienne ayant répertorié une augmentation de 11 000 % des publications anti-ukrainiennes sur Twitter dans les jours précédant l’invasion.
Il y a plein de gens qui ont ouvert des comptes et ne s’en servent plus, sur Twitter. Ils deviennent des cibles pour des usurpateurs qui s’en serviront pour influencer les algorithmes.
Elle ajoute que les propagandistes savent pertinemment que les médias traditionnels sont limités dans le temps pour valider les informations qui circulent. Même Facebook travaille d’arrache-pied pour limiter le partage de fausses nouvelles, mettant notamment des avertissements en place. « Ça devient une arme de propagande de connaître les limites des médias »
Et il y a cette histoire de soldats russes qui auraient été repérés en raison de leur compte Tinder. « Ça soulève plein de questions, ajoute Nellie Brière. Pour l’instant, ce n’est basé que sur un témoignage. Si ça se confirme, c’est peut-être seulement un soldat qui n’a pas fermé sa géolocalisation. On n’a pas encore envisagé toutes les implications de ces technologies. »
La désinformation au Canada
La désinformation atteint-elle le Canada? « Depuis le début de la pandémie, nous avons cherché à savoir si les médias russes avaient atteint nos leaders, nos influenceurs. Nous avons noté qu’il y a une présence de différents médias russes partagés par ces leaders parce que les messages confortent leurs idéaux », rapporte Marie-Ève Carignan.
« Ce que la pandémie nous a montré, c’est qu’il y a une accélération des fausses nouvelles. C’est exponentiel. Dans les crises antérieures, elles prenaient plus de temps à s’installer. »
Jean-Hugues Roy mentionne justement que la désinformation gagne en crédibilité lorsqu’elle est partagée par des leaders influents, un phénomène moins présent au Canada qu’aux États-Unis.
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Il recommande néanmoins à chaque citoyen de se tourner les pouces sept fois avant de partager toute information concernant le conflit en Ukraine. Le conseil est repris pratiquement dans les mêmes mots par Nellie Brière.
« Il faut toujours double-vérifier, se méfier de ce qui est en direct sur les réseaux sociaux et attendre que l’information soit validée par des médias crédibles. Faites attention à toute demande de cadeaux ou d’argent et sécurisez les comptes que vous n’utilisez pas », dit Mme Brière.
Qu’est-ce qui pousse un citoyen à partager de la désinformation? Le coup de l’émotion, parce que ça conforte leurs croyances ou parce qu’il se déresponsabilise en disant ne pas avoir le temps de vérifier, énumère Marie-Ève Carignan.
« Si on n’est pas certain, on doit s’abstenir de partager, dit Jean-Hugues Roy. Même les meilleurs se font prendre. C’est correct de dire qu’on s’est trompé. Ça fait partie de la construction de la confiance. »
Selon lui, la vérité finit néanmoins toujours par sortir, même si ça peut être long. « Quand on écrira l’histoire de cette invasion, on risque d’avoir un portrait juste. » En attendant, mieux vaut être prudent.