Durant les décennies qui ont suivi, le logo bleu et blanc utilisé pour indiquer les espaces réservés ainsi que les installations accessibles n’a pas changé. Ce n’est qu’autour de 2011 qu’une proposition plus dynamique du symbole est adoptée par plusieurs. C’est un peu le même dessin avec les mêmes couleurs, mais la personne en fauteuil roulant se propulse elle-même, donnant une image plus positive du handicap. Aujourd’hui, un concours est de nouveau lancé: on veut inclure tous les handicaps et pas nécessairement ceux qui nécessitent un fauteuil roulant.
J’en ai discuté avec Christelle Montreuil, consultante en design inclusif et accessibilité universelle et j’ai bien aimé son angle de vue sur le sujet.
«Dans un monde idéal, le logo pour personnes handicapées n’existerait même plus, parce que tout serait inclusif. N’importe qui pourrait utiliser les installations, peu importe ces capacités. L’objectif, ce n’est pas de repenser un logo, c’est de repenser l’environnement, les services.»
C’est exactement ce qu’elle propose par le biais de son métier, disons-le, encore trop peu connu. À son compte depuis peu, Christelle est appelée à concevoir des environnements et des services qui sont accessibles et utilisables pour tous. Sa clientèle est très variée, elle travaille entre autres avec les municipalités, les centres de services scolaires, les architectes, les designers et toutes personnes qui s’intéressent au design inclusif ou à l’accessibilité universelle.
Mais quelle est la différence entre design inclusif et accessibilité universelle? Curieuse de connaître la distinction entre les deux services, j’ai posé la question à Christelle.
«L’accessibilité universelle c’est de rendre accès à tous, tandis que le design inclusif, c’est de rendre accès ET utilisable à tous.»
En d’autres mots, lorsqu’un restaurant affiche le logo d’accessibilité universelle, ça annonce seulement que l’accès au bâtiment a été conçu pour que les clients en situation de handicap puissent entrer. Il n’y a donc aucune garantie qu’une fois à l’intérieur, les personnes vivant avec des limitations ne rencontreront pas d’obstacles. Il est en effet possible que la salle de bain ne soit pas adaptée, que l’espace disponible entre les tables ne permette pas à un fauteuil roulant de circuler, qu’une personne de petite taille puisse être assise à la bonne hauteur pour manger ou qu’un menu approprié aux malvoyants ou aux non-voyants est disponible. Si le restaurateur se soucie de servir convenablement tous les clients sans exception, il doit d’abord avoir réfléchi au design inclusif.
Lorsque Christelle Montreuil entame un projet, elle ne cherche pas nécessairement à cibler un handicap en particulier. C’est plutôt l’ensemble d’une possible clientèle qui l’intéresse.
«C’est super rare que je parle de diagnostics. Moi je parle plus en terme de pour tous et pour toutes les capacités. Je veux considérer mon environnement selon toutes les capacités possibles. Est-ce que la vue, l’ouïe, le goûter, le toucher (marcher)… dans le fond, est-ce que tous les sens sont répondus dans cet environnement-là.»
Cela fait plus de 15 ans que Christelle est passionnée par l’inclusion. Le déclic s’est d’ailleurs produit lorsqu’un de ses meilleurs amis a eu un accident de voiture. Atteint d’un TCC (traumatisme crânio-cérébral), le jeune homme s’est retrouvé confronté à plusieurs obstacles dans sa propre maison. Étudiante en design industriel au Cégep de Sainte-Foy, les difficultés de son ami lui ont alors révélé sa mission de vie. Dans la tête de la designer, la situation n’était tout simplement pas acceptable.
«Ça ne marche pas que ta maison, du jour au lendemain, ne réponde plus à tes besoins qui peuvent changer au courant de ta vie.»
Avec sa nouvelle sensibilité, la jeune femme s’était sentie un peu «extraterrestre» dans le domaine du design. Elle a dû créer sa propre formation pour aller chercher tous les outils nécessaires afin d’offrir de judicieux conseils à ses clients. Un baccalauréat en design de l’environnement à l’UQAM suivi d’une maîtrise en sciences de l’architecture ainsi qu’un doctorat sur mesure en design et accessibilité universelle à la faculté de médecine de l’Université Laval sont venus compléter ses études.
Comblée par son travail, il arrive néanmoins qu’elle doive faire face à quelques réticences et préjugés. Certains architectes brandissent le code du bâtiment pour justifier le peu d’adaptation à intégrer dans leurs plans. Bien que ce soit un bon départ, la consultante en design inclusif m’explique que l’on ne peut se fier uniquement aux normes de conception sans obstacle pour rendre les lieux accessibles et utilisables à tous.
«C’est principalement basé pour les personnes en fauteuil roulant, mais c’est souvent une minorité des personnes en situation de handicap. Il faut penser plus loin que ça.»
Elle entend aussi de la part des bâtisseurs que les éléments à intégrer gâcheront le design, alors qu’un bon architecte va réussir à les inclure de façon harmonieuse, sans qu’on les remarque.
Mais ce qui revient le plus souvent dans la pratique de son métier est l’ignorance des besoins. On lui affirme régulièrement qu’il n’y a pas de personnes handicapées sur le territoire d’une municipalité ou parmi une clientèle desservie. À cela, elle répond ceci: «Ça ne se peut pas! Si tu penses qu’il n’y en a pas, c’est justement parce que ton environnement n’est vraiment pas accessible, ces gens-là sont simplement pris chez eux!»
En fait, 100 % des citoyens seront confrontés au moins une fois dans leur vie à un handicap, qu’il soit temporaire ou permanent. Tout le monde gagne à concevoir d’emblée des installations adaptées. On a juste à penser à la population vieillissante, aux parents avec leur poussette, les livreurs et les déménageurs… ainsi que tous ceux et celles qui vivent avec une limitation, peu importe laquelle.
Christelle Montreuil n’est pas une personne en situation de handicap. C’est d’ailleurs un préjugé qu’elle a souvent rencontré. Au début de sa carrière, on l’a même déjà refusée à un poste en accessibilité pour cette raison. Au fil du temps, ses compétences ont supplanté son «handicap» de ne pas être elle-même handicapée et sa clientèle s’est fidélisée.
«Je crois en la force du réseau, ce n’est pas parce que je ne suis pas une personne malvoyante que je ne comprends pas leurs besoins. Puis si je ne les comprends pas bien, j’ai un réseau en dessous de moi… c’est eux mes experts du quotidien!»
Le réflexe de bâtir en amont pour inclure tout le monde n’est pas encore très répandu. Mais la bonne nouvelle est que Christelle a vu les demandes de consultation se multiplier au cours des derniers mois. Comme quoi on ne devrait pas avoir à attendre qu’un être humain pose le pied sur Mars pour que les installations sur Terre soient plus inclusives!
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Christelle Montreuil a son bureau à Nicolet, mais les consultations virtuelles lui permet d’élargir au Québec en entier ses services. Pour la contacter, rendez-vous sur son site internet : www.ideaux.ca
Toutes les informations concernant le concours international de conception de symbole d’accessibilité se retrouvent sur le site internet de l’organisme RI (Réhabilitation Internationale).