Y a-t-il vraiment 80 % des gens qui manquent de vitamine D?

La clé, pour s’y retrouver, est de connaître les différents seuils qui sont utilisés pour mesurer différents niveaux de «manque» de vitamine D.

L’affirmation: «Sur son site Web, le gouvernement dit qu’il n’y a aucune prophylaxie utile pour la COVID : “aucun aliment, supplément, vitamine ou produit de santé naturel ne peut vous protéger de la COVID-19 ou vous soigner de cette maladie. Il n’est pas possible de renforcer votre système immunitaire par l’alimentation.” Il est pourtant connu depuis de décennies que des suppléments comme la vitamine D sont essentiels au bon fonctionnement du système immunitaire. Il est aussi connu que, climat aidant, 80 % des Canadiens sont déficients en vitamine D. Alors pourquoi ne pas recommander la vitamine D pour tous?» demande André Bourassa, de Gatineau.


J’ai reçu de nombreuses questions sur ce thème, notamment l’idée qu’une majorité de gens manqueraient de vitamine D et que ce serait ça, le «vrai» problème, plutôt que la COVID. Alors voyons voir...

LES FAITS

À première vue, la littérature scientifique au sujet des carences en vitamine D peut paraître très confuse : d’une étude à l’autre, les chercheurs mesurent des pourcentages extrêmement variables de gens qui en manquent, allant d’aussi peu que 6 % à la quasi-­totalité de la population! La clé, pour s’y retrouver, est de connaître les différents seuils qui sont utilisés pour mesurer différents niveaux de «manque».

Comme me l’a expliqué Richard Kremer, chercheur en médecine à l’Université McGill qui mène des travaux sur la vitamine D depuis longtemps, «en général, on considère qu’il y a une carence [deficiency] en vitamine D quand les concentrations sanguines passent sous la barre des 12 nanogrammes par millilitre (ng/ml), mais des fois le seuil retenu est plutôt de 10 ng/ml. Ce sont des niveaux qui sont associés au rachitisme chez les enfants et à l’ostéomalacie [maladie des os] chez les adultes. On a ensuite une autre catégorie pour les gens qui sont au-dessus de 12 ng/ml, mais en dessous de 30 ng/ml. On parle alors d’insuffisance au lieu de carence, et c’est associé à des risques accrus d’ostéoporose et de fracture.»

Selon la «hauteur» où la barre est placée, le pourcentage de gens qui manquent de vitamine D va varier pour la peine. Ainsi, une revue de littérature parue en 2020 dans l’European Journal of Clinical Nutrition a trouvé que, dans les études qui retiennent le seuil de 12 ng/ml (la «carence»), le problème ne touche qu’environ 8-10 % de la population. D’autres études qui ont défini la «carence» comme étant moins de 20 ng/ml arrivent pour leur part à des prévalences d’environ 35 %, et il existe également d’autres travaux qui, s’intéressant pour leur part à l’«insuffisance» (moins de 30 ng/ml), concluent qu’un bon 85 % des gens manquent de vitamine D. Le chiffre de 80 % que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux vient manifestement d’une étude sur l’insuffisance.

Maintenant, est-ce que l’insuffisance en vitamine D nuit à nos «défenses» contre les virus? Beaucoup d’études publiées au cours des 15 à 20 dernières années ont trouvé toutes sortes de liens entre la vitamine D et le système immunitaire, résumait récemment l’École de santé publique T.H. Chan de l’Université Harvard. Les résultats ne sont pas toujours très cohérents — certains articles trouvent un effet, d’autres non —, mais il semble bien y avoir «quelque chose là», comme on dit.

En général, cependant, ce sont surtout les déficits sévères qui dépriment vraiment l’immunité. Par exemple, une méta-analyse (soit une étude qui regroupe les résultats de plusieurs études différentes afin de mettre leurs données en commun) parue en 2017 dans le British Medical Journal a trouvé que les gens à qui on donnait des suppléments de vitamine D entre une fois par jour et une fois par semaine avaient moins de chance d’attraper une infection pulmonaire, mais que l’effet était concentré chez ceux qui avaient moins de 10 ng/ml de vitamine D au départ : -75 % d’infections, alors que c’était seulement -25 % chez les autres.

En ce qui concerne la COVID-19 en particulier, les bienfaits de la vitamine D ne sont pas très clairs pour l’instant. D’une part, plusieurs études ont certes observé une association statistique entre les deux. Dans le JAMA – Network Open, par exemple, sur près de 500 patients dont on avait mesuré les taux sanguins de vitamine D avant la pandémie, ceux qui en avaient moins de 10 ng/ml avaient 1,8 fois plus de chance d’avoir attrapé le SRAS-CoV-2, et d’autres travaux ont rapporté que la COVID est en général plus grave chez les patients dont la vitamine D est vraiment très basse. Cela ne concerne donc qu’une petite partie de la population — de l’ordre de 8 à 10 %, et non 80 % comme on l’entend parfois.

D’autre part, ce ne sont pas toutes les études qui ont observé cette association : plusieurs parues récemment se sont avérées négatives, notamment dans PLoS – Medicine et dans le Nutrition Journal. Il faut en outre se méfier de ces «associations statistiques», car il se peut que le lien de causalité soit l’inverse de celui auquel on s’attend : au lieu d’être la vitamine D qui aurait des vertus préventives, ce pourrait être l’état des patients très mal en point qui provoque une chute de la vitamine D dans le sang, avertissaient l’an dernier deux chercheurs dans la revue médicale britannique The Lancet. Et puis, on sait aussi que certains facteurs aggravants de la COVID-19, notamment l’obésité, nuisent eux-mêmes à la production de vitamine D, ce qui vient embrouiller le portrait encore davantage.

Bref, ce n’est pas pour rien que la plupart des agences sanitaires, notamment au Québec et en Ontario qui se sont penchées sur la question n’ont pas trouvé de lien clair entre la vitamine D et la sévérité de la COVID. Peut-être que les essais cliniques qui sont en cours — et il y en a pas mal — viendront éventuellement démontrer l’efficacité de la vitamine D mais, pour l’instant, ce lien semble encore bien incertain.

VERDICT

Pas vraiment. Si on compte tous les cas d’«insuffisance» en vitamine D, on peut effectivement atteindre 80 % de prévalence dans la population, mais c’est surtout avec les carences graves, et pas juste des «insuffisances», que des études ont établi des liens avec le système immunitaire, ce qui concerne beaucoup, beaucoup moins de monde. En outre, il n’est pas encore bien établi que la vitamine D est un facteur important dans la COVID-19.

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