Chronique|

Jerry, ma voix intérieure

<em>Portrait de Monsieur Bertin</em>, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1832

CHRONIQUE / J’ai une voix dans ma tête qui me souffle des bêtises. Presque imperceptible – un murmure de vent. Cette voix, je l’ai appelée Jerry.


Jerry a de grosses bottes sales, et entre dans mon salon mental sans demander. Il s’installe sur le divan, et reste là, avachi, non invité.

Il dit parfois : « Tu n’es pas capable ». Ou très vite : « Tu n’es pas bonne les autres ne t’aiment pas tu as pris la mauvaise décision ».



Il grogne de sa voix de vent glauque, profondément. Très bas, au centre. Un petit point effrayant, au fond de l’inconscient.

Cet indésirable, ce parasite, je l’ai découvert en méditation. Ou plutôt : je l’ai isolé. J’ai pu regarder Jerry en face pour la première fois. Lui qui se terre, se cache tellement loin qu’il est presque impossible à saisir.

La méditation m’a aidée à le trouver, à le capturer. Comme une vermine. La méditation permet le ménage des voix. Jerry n’est vraiment distinct que dans le silence complet, extérieur et intérieur. Tout taire, pour mieux écouter.

J’ai dit à Jerry : tu n’es pas le bienvenu.



Jerry et les lieux

Mais cet insidieux est un serpent, qui se faufile ici et là, lors d’un déjeuner, d’une tâche à accomplir, d’un travail d’école, d’un projet, d’une promenade. Il est avec moi partout où je vais.

Alors que je suis à écrire dans un endroit public, pour donner suite à mon exercice Lieu inconnu et pansement, Jerry est là. Dans un coin. Je fais l’expérience de l’écouter, de lui donner toute la place.

— Les gens te jugent d’écrire, seule. Ils trouvent ça bizarre, ne veulent pas que tu écrives sur eux. Tu n’as pas le droit d’être là, d’exister.

Je lui réponds :

— Tu n’existes pas, toi.

Lorsque Jerry s’acharne, qu’il me crie intérieurement des absurdités, mais que je n’arrive pas à le faire disparaître, je l’affuble d’une autre voix.



Celle de Donald Duck. Alors là, ce qu’il dit n’a vraiment plus de sens, et est même risible. Je ricane intérieurement, m’amuse avec ce personnage, qui n’est pas moi.

Jerry n’est pas moi. Ni vous.

Votre Jerry est un farceur. Une peste. Il est méchant, mesquin, machiavélique. Ne l’écoutez pas, ou, si c’est difficile, changez sa voix pour celle de Bart Simpson. De Dingo. De Gollum. Donnez-lui un nom, regardez-le. C’est en le rendant concret qu’il peut partir.

Jerry tente encore d’entrer avec ses bottes sales dans mon esprit. J’en prends conscience, puis lui demande de les essuyer.