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Erin O’Toole l’a bien compris et c’est pour cette raison qu’il a expulsé sa sénatrice Denise Batters à la veille d’une réunion de caucus qui s’annonçait houleuse. Le message est on ne peut plus clair: il entend faire ce qu’il faut pour rester chef du Parti conservateur. Reste maintenant à savoir s’il est prêt à faire aussi ce qu’il faut pour devenir premier ministre.

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Dans une vidéo léchée trahissant une bonne organisation, Mme Batters a annoncé le lancement d’une pétition réclamant la tenue d’un vote sur le leadership de M. O’Toole d’ici six mois plutôt qu’en 2023 comme prévu. La sénatrice plaide que le chef a trahi les membres du parti en militant pour une chose pendant la course à la chefferie, puis en faisant campagne sur une autre pendant l’élection générale.

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En coulisses, on disait que cette sortie était la première étape d’une campagne devant s’échelonner sur trois à six mois pour rendre la vie du chef insupportable. Erin O’Toole a voulu couper court à ce supplice de la goutte. Il a bien fait. En politique, il faut parfois aller droit à la jugulaire pour — ironiquement — stopper une hémorragie. Rappelez-vous comment, pendant l’affaire SNC-Lavalin, Justin Trudeau avait désespérément tenté d’apaiser ses ministres Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott pour ne pas avoir l’air sanguinaire. Il a eu l’air faible, encaissant les coups de ses «amies» qu’il a fini par expulser quand même.

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Au fond, Denise Batters a fait une fleur à Erin O’Toole en lui permettant d’asseoir son leadership à peu de frais. Il a eu une bonne excuse pour sévir puis servir un avertissement aux autres insatisfaits. «Quiconque n’est pas sur la même page que nous, ne place pas l’équipe et le pays au sommet de ses priorités, ne fait pas partie de l’équipe», a-t-il dit mercredi. En prime, comme il s’agit seulement d’une sénatrice, il n’a pas à craindre une démission en bloc de militants de circonscription furieux de perdre leur représentant.

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Si la position du chef est encore délicate, elle n’a quand même rien à voir avec celle d’Andrew Scheer à pareille date, il y a deux ans. Le sénateur Claude Carignan et une poignée de candidats québécois défaits demandaient ouvertement sa tête, plaidant que jamais le PCC ne ferait de percée au Québec avec lui. Jeff Ballingall, grand manitou du groupe Canada Proud produisant du contenu conservateur sur les réseaux sociaux, organisait une fronde.

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Cette fois, le caucus québécois est résolument derrière M. O’Toole. Jeff Ballingall est aussi de son côté. Et quelques députés influents sont venus à sa défense, qu’ils soient pro-vie (Garnett Genuis), pro-pétrole albertain (Michelle Rempel, instigatrice d’un manifeste réclamant le respect de l’Ouest) ou progressiste (Melissa Lantsman, ex-conseillère lesbienne qui a servi sous M. Harper et Doug Ford). Même les instances du Parti conservateur, en jugeant irrecevable la pétition de Mme Batters sur des bases discutables, ont démontré qu’elles sont prêtes à protéger le chef.

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Malgré tout, il faut admettre que Denise Batters a raison. M. O’Toole a enfariné les militants du Parti conservateur. Aspirant chef centriste lors de la course de 2017, il s’est réincarné en «vrai bleu» à la course de 2020 puis a mis bon nombre de ses positions aux poubelles à l’élection de 2021. Il a cessé de s’opposer à la tarification du carbone et à un contrôle accru des armes d’assaut et il n’a plus défendu le droit des médecins pro-vie, au nom de leur conscience, de ne pas référer à des collègues leurs patients en quête d’un avortement ou d’aide à mourir. On peut comprendre que les militants qui l’avaient choisi au détriment de Peter MacKay, le centriste affiché de la course, se sentent floués.

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Stratégiquement, toutefois, M. O’Toole a fait ce qu’il fallait pour essayer de gagner. Et il est là tout le problème du Parti conservateur: il est noyauté par des militants qui ne sont pas au diapason de la population ni même de la frange de l’électorat susceptible de voter conservateur. Ceux qui se donnent encore la peine d’acheter une carte de membre et de militer dans les instances sont les éléments les plus radicaux. Pensons aux armes à feu, à la défense desquelles se porte constamment le Parti conservateur. En mars, un sondage de Léger a démontré qu’il y a beaucoup plus d’électeurs conservateurs réclamant un resserrement du contrôle (47 %) qu’un relâchement (18 %) ou le statu quo (29 %).

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Début 2020, Jean Charest avait renoncé à se porter candidat à la succession d’Andrew Scheer, plaidant que le parti n’était plus celui qu’il avait connu. Il disait manquer de temps pour vendre assez de cartes de membre, c’est-à-dire élargir suffisamment le bassin de militants pour «noyer» les plus intransigeants.

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Voilà un effet de la désaffection citoyenne des partis politiques. Ceux-ci sont pris en otage par des éléments moins représentatifs de la société, ce qui contribue à la polarisation du débat public. Parlez-en au Parti vert du Canada! Le centre mou paye cher son silence et son apathie. C’est un peu le même phénomène qui explique pourquoi la CAQ n’est qu’un véhicule pour réaliser l’ambition d’un seul homme. Comme son électorat cible est ce centre peu impliqué, elle ne pouvait pas naître d’un mouvement citoyen. Cette absence de base militante solide ne l’empêche pas, dix ans plus tard, de jouir d’intentions de vote frôlant les 50%.

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La période glorieuse du militantisme au sein des partis politiques est révolue. François Legault en a pris acte. Erin O’Toole a pris un autre chemin… S’il veut espérer prendre le pouvoir, il devra continuer le recentrage qu’il a timidement amorcé, malgré ce qu’en pense sa base. C’est sa seule chance de conquérir l’Ontario, le Québec et l’Atlantique. Toutefois, il devra peut-être jouer encore un peu du glaive pour faire taire les autres Denise Batters.

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