Chronique|

Lieu inconnu et pansement

Explorez un lieu où vous n’êtes jamais allés, posez-vous, puis écrivez ce qui vient. <em>Nighthawks</em>, Edward Hopper, 1942.

CHRONIQUE / J’ai lu quelque part, cette semaine : découvrir un lieu inconnu aide à la santé mentale.


Voici donc l’exercice que je propose : explorez un lieu où vous n’êtes jamais allés, posez-vous, puis écrivez ce qui vient.

Comme une façon d’appeler le mystère, de nous l’approprier, de le laisser nous remplir et panser nos plaies.



Une écriture-pansement.

Choisissez un lieu qui vous fascine, vous effraie, vous indiffère, vous déstabilise. Rendez-vous là où votre intuition vous dit d’aller. Ville, village, parc, rue, magasin, restaurant, bar, marché public. Un nouveau monde.

Sous forme d’écriture automatique, notez les émotions, les dialogues, les histoires, un jour passé ici et là, ou encore des peurs, l'étouffement et l’anxiété.

Observez les feuilles des arbres, les déchets, les meubles, les bruits. Écoutez tout; écrivez tout. Un défouloir, un exutoire, un crachoir, un coffre aux trésors.



Je vous invite à faire l’expérience du monde, traversés. Le filtrer par la plume, par vous, créant la vie.

Mariez le « je », le « tu », le « il » au lieu. Faites passer l’endroit à travers vos veines, vos connaissances, votre peau, vos cinq sens, votre inconscient.

N’importe pas le lien entre les environs et les mots. N’importe pas le « bon » et le « mauvais ». Lettre, poème, récit, monologue, théâtre, liste : tout est accepté. L’infini devant vous, dans ce lieu-pansement.

Laissez les autres où ils sont : ailleurs. Plongez dans l’ici et maintenant, crayon à la main. Et œil ouvert.

Présence, regard

Dans son livre L’œil américain, Pierre Morency fait l’expérience des lieux, de la nature, des animaux. Il est l’écosystème. Tantôt intellectuel, tantôt ressenti, tantôt historien, il se promène et note, tel un chercheur de l’être, du vivant et de l’invisible, ce qu’il voit, ce qui l'imprègne.

«Avoir l’œil américain, n’est-ce pas jouir de l’habileté qui nous fait entendre ce que nous écoutons, qui nous fait voir ce qui est derrière quand on regarde devant? […] L’acquisition de l’œil américain n’avait de sens pour moi que si elle permettait de sortir hors de soi, d’aller à la rencontre des choses, même menues, de voir soudainement le monde s’élargir et déployer des richesses souvent invisibles au promeneur distrait.» (L’œil américain, Pierre Morency, 1989)



Ceci est une invitation à prendre soin de vous, à ne faire qu’un avec l’environnement. Ouvrez vos œillères et oubliez les dogmes. Ceci est votre moment.

Si l’envie de partager vos écrits avec moi vous gonfle le cœur, je serais ravie d’en être le réceptacle. Mais c’est tout aussi bien, et noble, de les garder, de les déchirer, de les enterrer, de les brûler, ou de les coller sur une toile.

Quant à moi, je me prêterai au jeu cette semaine, et vous le partagerai dans une prochaine chronique.

Aventuriers, à vos crayons.

«À chaque personne de découvrir sa propre piste vers l’enchantement. Faute de forêts, de déserts, de grandes plaines ou de côtes filant vers l’infini de la mer, le fond d’une cour ou le parc municipal fera très bien l’affaire.» (L’œil américain, Pierre Morency)