L'écoanxiété, un mal oublié [VIDÉO]

Quand l’alarme climatique crie à tue-tête, pas étonnant que notre santé mentale en fasse les frais. Les écoanxieux, de plus en plus nombreux, illustrent ce mal du siècle. Cependant, l’écoanxiété et les autres « écoémotions » sont également porteuses d’espoir.


En marge de la Marche mondiale pour le climat, qui a eu lieu notamment à Granby vendredi, nous nous sommes questionnés sur le degré d’anxiété vécu par la population à cause des changements climatiques. Parmi les étudiants du Cégep, entre autres, ainsi qu’auprès de spécialistes des écoémotions.

Devant l’entrée principale du Cégep de Granby, jeudi midi, le mercure affichait un 30 degrés pas vraiment de saison. Mais bon, rien de neuf sous le soleil à ce chapitre. Les jeunes femmes et jeunes hommes interpellés par La Voix de l’Est indiquaient pour la plupart réussir à gérer le stress occasionné par les mauvaises nouvelles sur l’environnement, mais ce vox-pop a rapidement permis de rencontrer des jeunes écoanxieux.



Marianne Pâquet, 18 ans, est étudiante en gestion de commerces au Cégep. « Je m’inquiète par rapport à mon avenir à cause de la mauvaise qualité de l’air », avoue-t-elle, disant avoir déjà fait le choix de ne pas avoir d’enfant, car « ils vont peut-être vivre la fin du monde à cause des changements climatiques ». Marianne travaille sur son écoanxiété notamment avec un psychothérapeute, une maladie cardiaque rendant également sa santé fragile.

Marianne Pâquet est étudiante au Cégep et vit de l’écoanxiété.

Thomas Beauregard, assis à table en face de Marianne, éprouve lui aussi de l’angoisse vis-à-vis du futur. « Les nouvelles sont alarmantes, dit-il. Ça n’a pas de bon sens ! Comment a-t-on pu détruire l’environnement en si peu de temps, en à peine deux siècles, par rapport aux milliers d’années auparavant ? C’est anxiogène quand on y pense. »

Thomas Beauregard, étudiant au Cégep, ressent également par moment de l’écoanxiété.

Marianne et Thomas ne sont pas des bibittes rares. Les autres étudiants rencontrés sont conscients que notre planète est « très malade », comme le dit par exemple Maxyme Bouchard.

1 jeune sur 2 considère que « l’humanité est condamnée »

Selon la première grande étude sur l’écoanxiété de la jeunesse mondiale parue il y a une semaine dans la revue scientifique Lancet Planetary Health, qu’évoque notamment Le Nouvel Obs, 45 % des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans dix pays, occidentaux (France, États-Unis, Australie, Portugal, Royaume-Uni, Finlande) et non occidentaux (Inde, Nigéria, Brésil, Philippines), déclarent être concernés par l’anxiété climatique dans leur fonctionnement et leur vie quotidienne. Nous pouvons imaginer que les jeunes Québécois ne sont pas loin de ces statistiques.



Maxyme Bouchard croit que notre planète est « très malade ».

Le périodique français ajoute : « Sans aller jusqu’à parler d’anxiété, trois quarts des sondés considèrent ainsi que “l’avenir est effrayant”, tandis que plus de la moitié (56 %) juge que “l’humanité est condamnée”. Constats tout de même passablement anxiogènes, qui conduisent 39 % des jeunes du panel à affirmer “hésiter à avoir des enfants”. »

Transformer ses émotions en actions

L’organisme estrien Éco-motion a fait de l’écoanxiété et des écomotions sa raison d’être. « L’anxiété nous prépare à une menace quelconque, elle est une émotion que le corps mobilise pour assurer notre survie, explique Isabelle Béliveau, fondatrice et coordonnatrice générale d’Éco-motion. Quand on est conscient de ça, on peut alors canaliser cette énergie et la transformer en actions allant dans le sens de notre adaptation aux changements climatiques. »

Isabelle Béliveau, fondatrice et coordonnatrice générale d’Éco-motion, la mission de cet organisme étant d’« aborder les changements climatiques par l’entremise des émotions pour une adaptation collective à la crise socioécologique ».

En étant capable de reconnaître — le mot est important — son émotion, son anxiété, celle-ci va alors diminuer, assure Mme Béliveau.

L’organisme propose des ateliers en nature et des rencontres de groupes afin de soulager les écoanxieux et de les guider ensuite vers des actions « porteuses de justice sociale et environnementale ».

Du repos !

Pour soigner l'écoanxiété et apaiser les autres écoémotions, le repos est primordial, selon la coordonnatrice d'Éco-motion. «Le fait qu'on arrête jamais ne nous aide pas à comprendre nos besoins ni à mettre en place des actions qui favorisent ces besoins.»

Les ateliers en nature proposés sont justement l'occasion pour les participants de prendre le temps de se reposer et de réguler leur système nerveux. «C'est justement la base de nos ateliers, dit Mme Béliveau. Placer les gens dans un milieu sécuritaire en nature, cela permet au système nerveux de se calmer et nous aide ensuite à reconnaître les émotions que l'on vit au quotidien. Ensuite, nous sommes prêts à poser des actions.»

Mme Béliveau souligne que notre mode de vie nous empêche d'être en phase avec notre ressenti. «Si on ne reconnaît pas ses émotions, on ne sera pas capable de comprendre ce qu'elles nous poussent à faire, et on se sentira de plus en plus impuissants, dit-elle. La nature a des bénéfices innombrables sur la santé mentale, il faut être le plus possible en milieu naturel pour faire ce travail sur soi.» 

Marie-Kim Piché, 23 ans, stagiaire à la Fondation SETHY, à Granby, a été soulagée d’un grand poids quand elle a « su qu’il y avait des termes pour décrire ce que je vivais. J’ai toujours ressenti un “mal-être” quand je voyais l’environnement être détruit et saccagé et quand j’ai appris ce qu’était l’écoanxiété et la solastalgie [forme aiguë de nostalgie provoquée par la perte de milieux aimés. Lire également le lexique des écoémotions à la fin de l'article NDLR], c’était comme une révélation. Ce que j’avais vécu à plusieurs moments dans ma vie pouvait être décrit en des mots plus précis ».



Marie-Kim Piché, stagiaire à la Fondation SETHY et bénévole chez Éco-motion

Marie-Kim n’a encore jamais consulté ou eu recours à de la médication, mais « avec le dernier rapport du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ], je pense éventuellement consulter » pour trouver des façons permettant de mieux gérer ses écoémotions.

Les jeunes sont sous les feux des projecteurs, mais « on se rend compte que de plus en plus de parents et de grands-parents vivent cette écoanxiété, car ils sont inquiets pour leurs petits-enfants », précise Mme Béliveau. Si les jeunes « développent plus de symptômes anxieux et dépressifs par rapport à la crise climatique, dit-elle, les générations sont bel et bien connectées entre elles. »

Une collègue de La Tribune écrivait récemment à ce sujet que « la coordonnatrice d’Éco-motion estime que l’on a trop tendance à parler des changements climatiques de façon statistique. Cette façon de faire, estime-t-elle, a tendance à paralyser l’action. “On n’est pas capables de composer avec ces émotions, qui sont souvent très difficiles à porter, alors on se met plus en mode évitement, en mode déni. C’est ce qui paralyse l’action.” »

La coordonnatrice d'Éco-motion ajoute que les émotions ont une fonction de cohésion sociale. «Elles nous poussent à aller vers l'autre et aussi nous pousser naturellement à passer à l'action.» 

Interventions adaptées

Justin Sirois-Marcil est travailleur social et éco-intervenant. Selon lui, les préoccupations environnementales ne sont pas suffisamment accueillies par les intervenants plus traditionnels. M. Sirois-Marcil précise que l’écoanxiété n’est pas aujourd’hui considérée par les thérapeutes traditionnels comme un trouble de santé mentale.

Justin Sirois-Marcil, travailleur social spécialisé en éco-intervention

Les termes que l’on retrouve dans le dernier rapport du GIEC donnent froid dans le dos, rappelle-t-il : il est « irrévocable », selon le GIEC, que les comportements humains des dernières décennies sont responsables de la quasi-totalité des changements climatiques actuels.

Dans sa pratique, cet éco-intervenant rencontre différents profils de personnes, qui sont principalement des 20-35 ans. Des gens conscients du futur sombre qui s’en vient et hésitants face aux gestes qu’ils devraient poser (les « ambivalents »), d’autres, épuisés des écogestes qu’ils posent, sans être soutenus par leurs proches, ou d’autres cherchant la sécurité d’une microsociété à leur image — exemple de l’écovillage à la campagne —, comme étant la solution en dehors du système, où ils bâtiraient par exemple une autonomie alimentaire.

Que les gouvernements agissent 

« Le défi des changements climatiques est tellement colossal, que l’on ne comprend pas que le problème ne soit pas adressé de façon plus urgente, tranche Alexandre Ouellet, vice-président des affaires externes de l’Assocation des étudiantes et étudiants du Cégep de Granby. Ce qu’on fait pour la Covid, on ne le fait pas pour l’environnement, alors que c’est pourtant la plus grande crise que l’humanité a à vivre. »

Les États ont démontré qu’ils ont pris la crise de la covid au sérieux, dit à son tour M. Sirois-Marcil. « Avec la covid, il y a quelque chose d’apaisant pour la société de voir que nos gouvernements sont prêts à tout mettre en œuvre pour aider les gens. »

En revanche, la réponse gouvernementale à la crise climatique est tout autre. « Les États ne font rien, dit l’éco-intervenant. S’ils ne prennent pas ça au sérieux, plusieurs se disent que cela ne doit pas être si grave que ça, puisque c’est au gouvernement, censé organiser la société, de poser des actions... C’est une claque dans la face pour tout le monde. »

La crise climatique, à la différence de celle de la covid, est tout sauf temporaire. Elle implique « un autre système économique », assure M. Sirois-Marcil, car celui que l’on connaît est « incompatible avec la sauvegarde du climat ».

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PETIT LEXIQUE DES ÉCOÉMOTIONS

Écoanxiété : forme de détresse existentielle causée par les changements environnementaux

Solastalgie : forme aiguë de nostalgie provoquée par la perte de milieux aimés

Écoparalysie : incapacité à répondre de manière significative aux défis climatiques et écologiques auxquels nous sommes confrontés

Topoaversion : ne pas vouloir retourner dans un endroit que l'on aimait auparavant, celui-ci ayant trop changé

Global dread : condition psychologique qui anticipe un futur état du monde extrêmement négatif

Trouble déficitaire de la nature : perte de contact avec le monde réel, à l'extérieur de la technologie

(Source : Éco-motion)