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Les mois passaient et David s’emballait pour un tas de nouvelles idées dans son champ d’expertise économique. Mais sa thèse, elle, piétinait. Il n’arrivait pas à l’écrire, même s’il désirait ardemment devenir prof.

Témoin de la procrastination de son jeune collègue, un vieux prof nommé Richard lui proposa un pari.

David signerait une série de chèques de 100 $, datés du premier jour de chaque nouveau mois. Si David ne parvenait pas à glisser un chapitre de sa thèse sous la porte du bureau du vieux prof avant minuit le jour de la date butoir, Richard encaisserait le chèque sans scrupule. Et avec le gain, il organiserait un party auquel David ne serait pas invité.

David ne rata aucune échéance, même si, plusieurs fois, les chapitres étaient glissés sous la porte du vieux prof quelques minutes avant minuit. Et quatre mois plus tard, il remit sa thèse.

Cette anecdote, si vous en doutiez, est bel et bien vraie. Elle est racontée par Richard H. Thaler, professeur à l’Université de Chicago et lauréat du prix Nobel d’économie en 2017 pour sa contribution à l’économie comportementale.

Je l’ai lue dans la toute nouvelle édition anglophone du livre à succès Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, coécrit avec Cass R. Sunstein, un spécialiste du droit comportemental.

À première vue, il m’a semblé fascinant qu’un Prix Nobel d’économie ait recours à une stratégie si rudimentaire pour encourager un collègue à vaincre la procrastination. Mais derrière les chèques de 100 $ se trouve, semble-t-il, un mécanisme élémentaire de la psychologie humaine : plus la motivation est saillante, plus on est prompt à agir.

Les humains réagissent plus fortement à ce qui est concret qu’à ce qui est abstrait. Ce n’est pas un hasard, illustrent Thaler et Sunstein, si la mobilisation de la société a été beaucoup plus forte face à la pandémie que devant la crise climatique. Alors que la COVID-19 peut nous envoyer aux soins intensifs, le réchauffement de la planète apparaît encore, pour beaucoup de gens, comme une menace lointaine. On est prêt à rester confiné pour aplatir la courbe, mais pas à se priver de la voiture pour aller au dépanneur.

Quand David pariait chaque mois qu’il allait remettre un chapitre de sa thèse, la possibilité de perdre 100 $ — et de ne pas être invité au party — lui semblait beaucoup plus saillante que la possibilité plus éloignée de garder son poste de prof et d’avoir droit au fonds de pension.

Oui, c’est irrationnel. Perdre 100 $ par mois devrait peser beaucoup moins dans la balance que perdre une job. Mais devant son ordinateur, David était plus stimulé par le chèque que le fonds de pension.

Quand j’étais au secondaire, le père d’un de mes amis avait promis à sa femme qu’il déposerait 25 cents dans un bocal chaque fois qu’il sacrait. Je me souviens de l’avoir vu déposer les sous dans le récipient transparent quand il échappait des «ah, s’ti». On riait beaucoup. Mais au fil des semaines, il y avait de moins en moins de sous dans le bocal…

Les paris semblent fonctionner contre la tentation. Une étude a par exemple montré que 30 % des fumeurs qui voulaient écraser pour de bon ont réussi à le faire en étant prêt à sacrifier une partie de leur salaire s’ils échouaient à un test de dépistage de nicotine au bout de six mois.

La même stratégie a aidé des gens à s’entraîner plus souvent au gym, à perdre du poids et à faire des épiceries plus nutritives, note l’économiste comportementale Katy Milkman dans son récent livre How to Change.

Pourtant, les paris sont souvent boudés comme stratégie de changement. Même si c’est efficace de mettre de l’argent en jeu, les gens restent craintifs, explique Katy Milkman. Ils ont peur de perdre leurs paris pour des raisons hors de leur contrôle, une problématique familiale, par exemple.

C’est une crainte légitime. Mais peut-être qu’on devrait oser plus souvent les paris quand les autres solutions font patate.

Si un pari peut fonctionner pour un prof d’université qui veut arrêter de procrastiner, il peut sans doute marcher pour le grand ménage que vous promettez de faire depuis des lustres dan s votre maison ou les CV que vous vous êtes juré d’envoyer pour dénicher l’emploi de vos rêves.

Le succès n’est pas garanti. Mais si vous remportez votre pari, vous gagnerez peut-être bien plus que de l’argent.

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