Greffe du rein: une course folle contre la montre

Si les étapes avant d’en arriver à la greffe peuvent paraître une éternité pour le patient en attente d’un rein, une fois la date de la chirurgie confirmée, tout déboule à vitesse grand V.

Avec la pandémie de COVID-19 qui tire lentement à sa fin, notamment grâce aux efforts massifs de vaccination, le délestage dans le système de santé est lui aussi en voie d’être derrière nous. Ainsi, les transplantations d’organes, dont les reins, reprennent graduellement leur rythme de croisière. N’empêche, même en temps normal, la route à parcourir avant d’obtenir une greffe de rein est longue et parfois ardue. Dissection d’un processus qui sauve et qui change des vies.


« On a vécu une période noire où toutes les greffes d’organes provenant de donneurs vivants ont été interrompues. Ça a été tout un choc, non seulement pour les receveurs en attente, mais pour nous aussi », commente Valérie Ross, infirmière clinicienne en transplantation rénale au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

« On travaille actuellement à rattraper le retard. Au CHG, il y a encore un peu de délestage en dialyse, ce n’est pas complètement réglé, mais déjà, on a une grosse amélioration en comparaison avec la situation d’il y a quelques mois », ajoute-t-elle.

Pandémie ou pas, le besoin en reins sains est toujours aussi criant, d’où l’importance de signer sa carte de don d’organes, recommande l’infirmière. Pour elle, la méconnaissance des étapes entourant la greffe de ce précieux organe entre aussi en ligne de compte, c’est pourquoi la Granbyenne a pris le temps de le détailler à La Voix de l’Est.



Le diagnostic

Le processus de la greffe de rein débute aussitôt qu’un médecin pose un diagnostic. « On est généralement confrontés à deux types de cas, explique Mme Ross. Le premier survient quand la personne est hospitalisée d’urgence et qu’on découvre que ses reins ne fonctionnent plus. Pour cette personne-là, c’est une claque dans la face. Tout va vite, il faut la mettre en hémodialyse et elle doit rapidement envisager une greffe. »

« Dans le deuxième cas, c’est un patient qui souffre d’une maladie qui affecte ses reins, dont les capacités diminuent graduellement, poursuit l’infirmière. On a l’opportunité de le préparer à la greffe. Il va aller en clinique de prédialyse pour être stabilisé le plus longtemps possible. »

Dans les deux cas, les patients seront rencontrés pour qu’on leur explique les tenants et aboutissants d’une greffe et l’impact que la procédure pourrait avoir sur leur espérance et leur qualité de vie.

Bilan de santé complet

Le patient en attente d’une greffe devra ensuite se soumettre à une batterie de tests — l’examen médical le plus complet et le plus approfondi qui soit, selon Mme Ross. « J’utilise l’analogie de la construction d’une maison : avant de bâtir, on veut s’assurer que le terrain est construisible, illustre l’infirmière clinicienne. Alors on examine tout, tout, du cœur à la peau, on passe partout. Je veux m’assurer plus que pas assez, pour être certaine. Parce que si j’installe un rein dans un corps qui n’est pas prêt, ça ne fonctionnera pas. » Le processus durera environ six mois, période durant laquelle le patient sera rencontré par de nombreux spécialistes, qui avec l’équipe en néphrologie formeront un comité qui déterminera si le patient est apte à recevoir une greffe. « C’est vraiment une décision de groupe qui se prend dans le meilleur intérêt du patient », précise Mme Ross.



À la recherche d’un donneur

La suite des choses dépendra de plusieurs facteurs. D’une part, si le patient n’a pas de donneur potentiel dans son entourage, il sera inscrit sur la liste d’attente de Transplant Québec pour recevoir un rein d’une personne qui décédera. Une attente moyenne de 15 mois, mais qui peut aussi prendre de 18 à 24 mois, selon les cas et divers facteurs.

S’il n’a pas encore commencé la dialyse, il n’y sera toutefois inscrit que si ses reins fonctionnent à 15 % de leur capacité ou moins. « Le but est de laisser les gens en dialyse le moins longtemps possible, car la qualité de vie diminue avec le temps », explique Valérie Ross.

Passé cette étape, il est inscrit dans le programme pancanadien de dons croisés de rein, qui n’a pas cessé ses activités durant la pandémie. Celui-ci permet à des receveurs n’ayant pas de donneur compatible dans leur entourage de recevoir le rein d’un parfait inconnu si un de leurs proches accepte de faire don d’un des siens à un autre receveur de la banque. « Les gens sont inscrits au registre en couple donneur-receveur, et quelques fois par année, le système démarre un cycle de jumelage qui vise à associer le plus de donneurs et de receveurs possible », explique Mme Ross.

Valérie Ross est infirmière clinicienne en transplantation rénale CIUSSS de l’​Estrie-CHUS depuis 11 ans.

Évidemment, comme ce ne sont pas tous les couples qui sont compatibles entre eux, le système, géré par la Société canadienne du sang, crée alors des chaînes de donneurs et de receveurs qui peuvent s’étendre d’un océan à l’autre. « Le minimum de personnes incluses dans un jumelage est de quatre, mais par la suite, sky is the limit, en autant qu’on réussisse à jumeler le plus grand nombre de personnes possible ! » poursuit celle qui a déjà été impliquée dans une chaîne de cinq jumelages.

Les associations peuvent être revues pour permettre d’y inclure davantage de personnes ; celles qui n’auraient pas eu de chance lors d’un cycle feront partie de la prochaine séquence.

Une fois les jumelages confirmés par un comité médical, les patients sélectionnés sont contactés. Les examens médicaux sont mis à jour et les dossiers sont suivis quotidiennement pour être à l’affût du moindre changement qui pourrait avoir un impact sur le processus.



D’autre part, si le patient a la chance d’avoir un donneur vivant près de lui, qu’il soit compatible ou non, le processus peut aller beaucoup plus vite. « Généralement, les gens se manifestent au début ou au milieu du parcours, raconte Mme Ross. On a toutes sortes de belles histoires de gens qui offrent un rein par amour ou par altruisme ; des fois, ils ne sont pas nécessairement proches de la personne, mais leur histoire les a assez touchés pour qu’ils se présentent chez nous. Pour moi, ces personnes sont mes superhéros. »

Ces donneurs potentiels subiront eux aussi plusieurs examens médicaux très méticuleux, répartis sur un an environ. « On parle de huit à 10 tests, peut-être même plus, précise l’infirmière. C’est comme pour le receveur.

Je veux avoir la certitude que si je prends un organe au donneur, je ne nuis pas à sa qualité de vie à long terme. »

Pour différentes raisons, qui n’ont pas toujours un lien avec la greffe, environ la moitié des personnes qui se manifestent pour être donneurs ne seront pas retenues pour la suite des procédures. Ceux qui poursuivront auront des suivis réguliers avec l’équipe clinique, aussi bien pour s’assurer que leur état de santé ne se détériore pas que pour s’enquérir de leur désir de continuité. « En tout temps, jusqu’à ce que le donneur soit endormi pour l’opération, il a le droit de changer d’idée et on doit respecter sa décision », souligne Mme Ross.

Le grand jour

Si les étapes avant d’en arriver à la greffe peuvent paraître une éternité pour le patient en attente d’un rein, une fois la date de la chirurgie confirmée, tout déboule à vitesse grand V.

Quand le receveur et son donneur vivant sont géographiquement près l’un de l’autre, le premier est hospitalisé une semaine à l’avance et préparé à la greffe, notamment à l’aide de petites doses de la médicamentation antirejet. « On prépare son corps à recevoir le cadeau », illustre Mme Ross.

Le jour de la transplantation, le donneur est amené très tôt au bloc opératoire. On s’assure une dernière fois de sa volonté à aller de l’avant ; si c’est le cas, la chirurgie pour lui retirer un rein, généralement par laparoscopie, se déroule au courant de l’avant-midi.

En raison de la pandémie, ce sont les organes qui voyagent. La clinique du rein réserve un transport aérien pour l’organe et Transplant Québec, via l’Association québécoise des donneurs d’organe, dépêche un policier bénévole chargé d’aller chercher le précieux chargement à l’aéroport et de l’apporter le plus rapidement possible au centre hospitalier.

D’ici à ce que l’organe soit greffé au receveur, le chirurgien prend soin de préparer celui-ci. Entre-temps, la salle d’opération est nettoyée de fond en comble avant d’accueillir le receveur, qui sera opéré l’après-midi même.



Le processus diffère quand le don provient du programme canadien de jumelage. Avant la pandémie, les donneurs devaient se rendre eux-mêmes et seuls à l’hôpital où aurait lieu la transplantation, peu importe où celui-ci se trouve au pays. « Maintenant, ce sont les organes qui voyagent », précise Mme Ross.

La clinique du rein réserve un transport aérien pour l’organe et Transplant Québec, via l’Association québécoise des donneurs d’organe, dépêche un policier bénévole chargé d’aller chercher le précieux chargement à l’aéroport et de l’apporter le plus rapidement possible au centre hospitalier. « Un rein prélevé peut demeurer jusqu’à 24 heures dans les glacières spéciales qui en permettent la conservation, mais au CIUSSS de l’Estrie, on essaie de ne pas dépasser 12 heures. Généralement, c’est même beaucoup moins que ça. Là, c’est vrai que c’est comme dans un film, parce qu’il faut aller vite ! lâche Mme Ross. Pour moi, de prendre la glacière et de la monter au bloc opératoire, en sachant que je m’en vais sauver une vie, je trouve ça extraordinaire. Même après 11 ans, j’en ai encore des frissons ! »

Dans le cas d’un donneur en situation de mort cérébrale, Transplant Québec appelle le néphrologue et c’est lui qui communique avec le patient au dernier moment.

Quelques examens complémentaires sont effectués pour valider la compatibilité du donneur et du receveur, qui devra déjà être hospitalisé au moment du prélèvement.

Renouer avec la vie

Une fois la greffe complétée, le receveur est transféré à l’unité de soins intensifs où il demeurera pendant quelques jours. « On veut qu’il s’habitue à son rein et à sa médication. On lui offre aussi du soutien, parce que ces moments s’accompagnent d’une cascade d’émotions et que plein de choses s’apprêtent à changer dans sa vie », indique Mme Ross.

C’est au cours des trois mois suivant la greffe que le patient est le plus fragile, précise-t-elle ensuite.

« Il doit apprendre une nouvelle routine de vie, composer avec certains effets secondaires», note-t-elle.

«Pour reprendre l’illustration de la maison, ces trois premiers mois cruciaux servent à couler le solage. On trouve la recette parfaite pour que le patient reprenne une vie normale, et normalement, sa vie recommence ensuite. »

Au bout d’un an, la maison est généralement bien bâtie. Et plus solide que jamais.

Un rein prélevé peut demeurer jusqu’à 24 heures dans les glacières spéciales qui en permettent la conservation, mais au CIUSSS de l’Estrie, on essaie de ne pas dépasser 12 heures.