Richard Bernardin: toutes les teintes de la beauté [VIDÉO]

Le photographe de mode et portraitiste Richard Bernardin.

Il n’est pas fréquent qu’on ait l’occasion de discuter avec un photographe de réputation internationale dont la carrière l’entraîne aussi bien à Montréal, New York que Paris, Hong Kong ou Los Angeles. Qu’en plus, il soit Trifluvien pour y avoir vécu toute sa jeunesse, relève de l’inhabituel. Vraisemblable. Richard Bernardin est cet animal rare.


Fils d’un couple d’origine haïtienne, il est né à Chicago mais la famille a rapidement émigré vers Toronto avant de s’établir à Trois-Rivières où les parents demeurent toujours. «J’avais cinq ou six ans quand je suis arrivé à Trois-Rivières, raconte-t-il depuis sa demeure de Bromont. J’ai fait tout mon primaire et mon secondaire à Trois-Rivières, au Three Rivers High School. C’est au cégep que j’ai quitté pour étudier au Collège Dawson, à Montréal.»

Il est aujourd’hui reconnu mondialement comme photographe de mode et portraitiste. Il prête régulièrement son talent à certaines des revues les plus prestigieuses dans cet univers ultra compétitif: les éditions Elle du Québec, du Canada, de la France ou de la Russie, Fashion Magazine, Vogue Brazil, Maxim... Son portfolio est aussi une convention de grandes marques internationales.

N’eût été une facétie dont la vie a le secret, c’est dans des revues d’architecture que serait apparu son nom. «Je suis absolument passionné d’architecture depuis toujours et de cinéma également. En sortant du Collège Dawson, je voulais m’inscrire en architecture à l’Université McGill, mais leur programme était très axé sur l’aspect technique alors que moi, j’ai toujours été un artiste. Désormais, mon amour de l’architecture se manifeste par son intégration fréquente dans mes photos.»

Pour ce qui est du cinéma, ses rêves de films partagés avec des amis qui l’étudiaient à l’Université Concordia étaient trop coûteux. «Je me suis tourné vers la photo, plus abordable. Quand j’ai compris que je pouvais raconter une histoire avec un seul cliché, tout s’est éclairé», raconte, avec un enthousiasme communicatif, l’homme de 49 ans.

«Lors de ma toute première exposition de photos, j’ai écouté la conversation d’un couple devant une photo. Chacun avait une interprétation différente qui n’était pas du tout ce que j’avais cherché à dire. Je me suis rendu compte qu’avec la photo, chacun pouvait faire sa propre histoire et j’ai trouvé ça magnifique.»

Autoportrait de Richard Bernardin

«Je ne suis pas forcément en quête d’approbation dans mon art. Les gens peuvent aimer ou pas mes photos mais le pire, pour moi, c’est que le spectateur soit indifférent.»

Pour quelqu’un qui veut raconter des histoires, la photographie, par sa nature même, n’impose-t-elle pas de très contraignantes limites? «Je ne crois pas parce qu’en photo, tout peut être un personnage. Prenons un film de Denis Villeneuve, par exemple. On peut en extraire une image et tout, dans cette image, est un personnage: l’éclairage, le décor, la couleur, les profondeurs de champ, la composition. Tout sert à raconter quelque chose.

«Dans le portrait, ce que j’aime, c’est de d’abord travailler les fonds le plus souvent noirs ou blancs. Par la suite, tout se passe dans l’expression de la personne qu’on photographie. Mon grand défi, c’est de créer une relation de confiance avec mon sujet. Il importe qu’il soit assez à l’aise avec moi pour que je puisse capturer un moment où les yeux, les lignes du visage, la lumière contribuent à raconter une histoire qui dévoile une partie de son âme.»

Est-ce à dire qu’un psychologue rôde derrière chaque portraitiste? Richard Bernardin rigole. «Un peu... Il y a en moi une part de psychologue et une part d’artiste. Chaque photographe a son approche. Certains aiment provoquer l’inconfort pour révéler quelque chose de leur sujet. Moi, au contraire, je m’adapte à chaque individu. Avec des personnes très à l’aise devant la lentille, il m’arrive de chercher à restreindre leur expression en mettant en évidence l’appareil-photo qui constitue une sorte de barrière incontournable entre le photographe et son sujet.»

La rencontre

Richard Bernardin parle de tout ça avec une passion qu’il ne cherche pas à taire. Dans le processus qu’il décortique, se dessinent les paramètres d’une rencontre humaine, raison d’être de chaque cliché. 

«Non seulement la rencontre est différente avec chaque individu, mais même avec des gens que j’ai déjà photographiés, les séances sont différentes d’une fois à l’autre. Depuis la fois précédente, on a tous deux vécu des choses alors, l’échange est nouveau et je trouve ça absolument fascinant. C’est à moi d’être flexible devant ce qui se présente de nouveau. J’ai développé une certaine signature depuis près de 25 ans, mais le secret c’est de rester toujours ouvert.

«J’ai fréquenté une petite école, raconte-t-il, où on retrouvait des enfants de toutes les origines. Le High School était un peu une école internationale et j’ai adoré ça. Bien que conscient de ma race, je n’ai pas vécu dans une black culture comme ç’a été le cas de mes cousins qui vivaient à New York. J’ai vraiment eu la chance d’être en contact et d’apprécier d’autres cultures. Je pense que ça m’a inculqué le goût de voyager mais aussi d’aller à la rencontre d’autres personnes riches d’une culture différente de la mienne.»

Alain Lachance, à gauche,ici en compagnie de l'artiste, a décidé de réaliser un coffret de luxe avec certaines des photos les plus marquantes de la carrière de Richard Bernardin sous le titre SRIIZ X Richard Bernardin.

«Comme les individus, chaque visage est particulier et a une histoire unique à raconter.»

La question raciale le préoccupe. Peut-être parce que sa carrière se passe en partie aux États-Unis, il est intimement interpellé par le mouvement Black Lives Matter et a été profondément bouleversé par le meurtre de George Floyd. 

«Il serait facile pour moi de tomber dans le négatif à la lumière du racisme dont on est témoin dans le monde sur une base quotidienne. Pourtant, à mes yeux, le proverbial verre est toujours à moitié plein. Je suis un éternel optimiste. J’aurais pu bombarder mes réseaux sociaux de clichés et de messages de protestation qui auraient été très légitimes. Par contre, je me dis que les humaines sont des éponges et je crains de contribuer à cultiver un profond ressentiment qui n’aurait pas de fin.»

«Ma mission dans la vie, c’est de créer des moments de plaisir comme on va au cinéma voir un bon film. Je veux montrer la beauté des choses tout en étant conscient de la laideur qui la côtoie.»

La photo préférée de Richard Bernardin réalisée au cours de la dernière année avec la mannequin Sara Waisglass .

Sa conscience de la laideur est entretenue par les expressions d’un racisme silencieux qui l’atteint lui aussi, dans sa vie d’artiste privilégié. «Je vis régulièrement des micro-agressions même ici au Québec. Je fais beaucoup de route et comme mon véhicule est un peu mon bureau, je conduis une voiture luxueuse. Au moins une fois par année, je me fais arrêter par la police pour me faire simplement demander si ce véhicule m’appartient. Ça n’arriverait pas à un Blanc. Je suis conscient que je ne suis pas perçu de la même façon qu’un Blanc dans les mêmes circonstances. Est-ce que ça m’empêche d’avoir une perspective positive de la vie à travers mon travail et l’art que je diffuse? Non. C’est un choix intime et personnel: je choisis la beauté et le positif.»

Or, cette beauté n’a pas à être neutre. Sur son compte Instagram, cet ambassadeur officiel de la compagnie Canon diffuse, sous le thème de Black is Beautiful, une série de portraits de mannequins noires dans une volonté affirmée de répandre amour, lumière et positivisme dans un monde qui en a cruellement besoin.

Son art, s’il est souvent redevable d’intérêts commerciaux, n’en est pas moins reconnu. À preuve, un objet de collection réalisé par Alain Lachance, maître d’œuvre de la résidence-galerie SRIIZ, sous le titre SRIIZ X Richard Bernardin. Ce coffret de luxe réunit des clichés des 20 dernières années de la carrière du photographe. 

«Je vends bien mes photos à l’étranger, mais vendre des photos de mode au Québec en tant qu’œuvres d’art, c’est encore assez embryonnaire. J’ai trouvé l’initiative extrêmement intéressante de développer ce créneau dans le marché qui m’importe le plus parce que même si mon travail m’entraîne partout dans le monde, je suis Québécois d’abord et avant tout. J’aime l’idée d’un coffret qui permet de s’arrêter un long moment sur des photos plutôt que de les consommer à la chaîne.»

Après tout, il y investit ce qu’il est comme homme, artiste, psychologue et... Trifluvien. Son âme, en somme.