Chronique|

Du temps avec un p’tit ruban

Ce qui fait plaisir à mon père, et probablement à de nombreux autres papas, c’est le temps.

CHRONIQUE / L’an passé, j’étais pas mal fière de mon coup. J’ai frappé dans le mille avec la « tasse honorifique du meilleur père de la Terre ».


En effet, mon père y boit son café tous les jours. Enfin, quelque chose d’utile!

Mon géniteur a toujours été la personne pour laquelle dénicher un cadeau est le plus difficile, que ce soit pour son anniversaire, à Noël ou la fête des Pères.



Quoi donc offrir à cet adepte de la simplicité volontaire, dont les biens accumulés au fil des années s’empilent chez lui ? Pour lui, le matériel n’a pas d’importance, une vision des choses qu’il m’a transmise, mais qui ne m’empêche pas de vouloir lui faire plaisir à l’occasion.

D’abord, il ne porte pas de cravate et encore moins de boutons de manchette.

Et même s’il a été un professeur d’arts plastiques durant toute sa carrière, mon retraité de père est loin d’être un bricoleur ; je ne peux pas lui offrir d’outils. Pour vous dire, la seule fois où il s’est risqué à installer des tablettes dans son appartement, on aurait cru qu’elles l’avaient été par nul autre que Numérobis, l’architecte dans Astérix et Cléopâtre...

Il aimait bien dessiner, alors pour son 50e anniversaire, je lui avais offert une tablette numérique pour s’amuser un peu. La garantie a eu le temps d’échoir avant qu’il ne l’extirpe de son emballage de plastique... En fait, c’est ma cousine qui l’a déballée parce qu’après quelques années dans le fond d’une garde-robe, la tablette a fini par trouver les mains de quelqu’un qui allait l’utiliser.



Au même moment où il s’était remis à jouer de la basse, il me parlait aussi de redécorer son logement. Je lui avais alors offert des crochets décoratifs en forme de têtes de guitare. Ceux-ci reposent encore dans leur boîte.

Il y a quelques années, je lui avais offert un t-shirt dont je savais qu’il aimerait l’illustration. Il l’a gardé dans son tiroir en se promettant de le porter une fois qu’il aurait pris sa retraite.

Maintenant, il n’a plus d’excuses...

Vous aurez compris que chez nous, les fêtes commerciales revêtent peu d’importance.

« C’est toi mon plus beau cadeau », me dit souvent mon père. Il prend aussi la peine de me l’écrire dans les cartes de souhaits qu’il m’offre lors d’occasions spéciales.

Ce qui fait plaisir à mon père, et probablement à de nombreux autres papas, c’est le temps.



Ironique quand même, lui qui ne porte plus de montre depuis des années...

Le temps qu’on passe ensemble, ces soirées où on parle de tout et de rien et où on réinvente le monde. Ces soirées, arrosées ou non, où la philosophie nous sert de communion et où on réalise pleinement la chance de vivre notre complicité aussi intensément pendant que c’est encore possible.

Ce temps qui compense largement les années où il ne m’a pas vue grandir comme il l’aurait souhaité. Ces années où je l’ai parfois traité comme un étranger...

C’est donc du temps, enrobé d’un p’tit ruban, que j’offre désormais à mon père.

Peut-être finira-t-il par utiliser les chèques-cadeaux que je lui ai offerts pour qu’il s’offre une bonne bouffe au resto ou une fin de semaine dans un hébergement insolite...

Quand ce sera possible, on ira peut-être ensemble, qui sait!

La pandémie nous a privés de voir nos proches et de les serrer dans nos bras comme bon nous semblait. S’il y a quelque chose de positif à retenir de ce triste épisode, c’est qu’on ne doit rien prendre pour acquis, y compris ces petits gestes qui nous semblent si banals, mais si gratifiants.

Je m’en confesse, mon père et moi avons triché à quelques reprises.



La première fois, je m’en rappellerai toujours. Après plus de quatre mois sans nous être vus, l’an dernier, nous n’avons pas pu nous empêcher de nous faire le plus long câlin du monde. Un câlin à la fois réconfortant et souvenir déchirant de tout ce temps où nous avions été séparés.

Nos sanglots étaient proportionnels à la force de cette étreinte qui a semblé durer une éternité.

Ce temps qu’on s’est donné en cadeau s’était arrêté.