Il ne faut toutefois pas en conclure que les quinquagénaires qui ne dorment que cinq ou six heures par nuit sont automatiquement condamnés à souffrir de démence à l'âge de 80 ans, précisent deux experts québécois consultés par La Presse Canadienne, pas plus que ceux dont le sommeil est excellent seront automatiquement protégés.
Les troubles du sommeil et les troubles cognitifs sont multifactoriels, ont-ils dit, et il peut être très difficile de départager qu'est-ce qui est responsable de quoi.
Les auteurs de l'étude publiée par Nature Communications ont suivi quelque 8000 personnes au Royaume-Uni pendant 25 ans, à compter de l'âge de 50 ans. Les sujets qui rapportaient systématiquement dormir six heures ou moins par nuit étaient environ 30 % plus susceptibles de recevoir un diagnostic de démence une trentaine d'années plus tard, comparativement aux sujets qui dormaient sept heures par nuit.
Ces résultats tiennent compte d'autres facteurs qui peuvent influencer le risque de démence, comme le tabagisme, l'alimentation, le niveau d'éducation, le poids, la sédentarité et différents problèmes de santé.
«L'intérêt de cette étude-là, c'est qu'ils ont commencé très tôt, à 50 ans, probablement avant que la démence commence ou que la maladie neurodégénérative commence à avoir ses effets dans le cerveau, ce qui fait qu'on a plus l'impression à ce moment-là qu'on commence vraiment un peu à toucher le sens de la causalité, a commenté la professeure Sylvie Belleville, de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal. C'est l'aspect qui est très intéressant et très important dans l'étude.»
On sait en effet que des maladies neurodégénératives comme le parkinson ou l'alzheimer commencent à s'installer 15 ou 20 ans avant l'apparition des premiers symptômes physiques. Face à un individu de 75 ans qui souffre d'alzheimer et qui dort mal, par exemple, il peut être très difficile de déterminer si le mauvais sommeil est en partie responsable de l'apparition de la maladie, ou si c'est plutôt la maladie qui cause les problèmes de sommeil.
Cette nouvelle étude ne répond pas entièrement à la question, mais elle apporte une contribution très utile au débat, a dit le docteur Thanh Dang-Vu, le fondateur et directeur du Laboratoire de recherche Sommeil, Cognition et Neuroimagerie.
«C'est une nouvelle brique qui s'ajoute à l'édifice et qui vient appuyer le fait que le sommeil est important et pourrait être un facteur de risque important pour la démence, a-t-il dit. C'est absolument essentiel comme démonstration.»
Une maladie complexe
Un faible niveau d'éducation ou des problèmes de santé comme l'hypertension ou le diabète ont tous été associés à un risque accru de démence au fil des ans. Une autre étude, celle-là publiée par The Lancet, indiquait récemment que l'élimination des différents facteurs de risque (en supposant une relation de causalité) pourrait réduire de 40 % le nombre de cas de démence dans le monde.
Mais la nouvelle étude britannique met un élément très intéressant en relief, a remarqué Sylvie Belleville: tous les facteurs de risque, y compris un manque de sommeil, correspondent à un ratio de risque comparable.
«Les gens nous demandent souvent sur quoi ils devraient travailler pour réduire leur risque de démence, a-t-elle dit. Ce n'est pas certain qu'il y a 'une' composante qui ressorte. Ça dépend évidemment de son risque personnel. Si vous dormez bien, pas besoin de travailler là-dessus. Si vous êtes sédentaire, peut-être travailler là-dessus. Mais ce qu'on voit, c'est qu'il n'y en a pas un qui ressort, probablement parce que la maladie est très complexe.»
On ne peut pas non plus exclure qu'une cause «autre» soit à la fois responsable des problèmes de sommeil et de la démence, ajoute-t-elle, et le débat reste donc entier.
C'est pendant le sommeil que sont évacuées du cerveau certaines des protéines qui finissent par y former les plaques associées à la maladie d'Alzheimer. En théorie, donc, un sommeil insuffisant pourrait empêcher ce «ménage» d'être fait adéquatement.
Mais il faut être réaliste et accepter que le sommeil n'est pas le seul facteur lié à la démence, rappelle le docteur Vu, même s'il est probablement en partie responsable du problème.
Est-ce qu'une amélioration de la qualité du sommeil pourrait réduire le risque de démence? «La question est encore en suspens, a-t-il dit. C'est un facteur de risque modifiable qui pourrait être utile dans la prévention, mais ça reste encore à démontrer.»
Il établit une comparaison avec le tabac: les gens qui fument ne souffriront pas tous de maladies cardiovasculaires, et les gens qui ne fument pas ne seront pas tous épargnés par ces problèmes de santé. «C'est difficile parfois de faire la part des choses», a admis le docteur Vu.
Les deux experts s'entendent sur l'importance de saines habitudes de vie pour la santé physique et mentale: bien s'alimenter et bouger, mais aussi bien dormir.
«C'est ça le message qu'il faut véhiculer. Le sommeil fait partie des habitudes de vie qu'il faut considérer pour promouvoir une santé optimale», a conclu le docteur Vu.