Un premier portrait préoccupant du trafic humain au Canada

Environ 95% des victimes de la traite de personnes sont des femmes et des filles. Du nombre, plus d’une sur cinq est mineure.

La traite de personnes serait en hausse au pays, a révélé un rapport publié plus tôt cette semaine. Avec plus de 500 dossiers du genre traités par les corps policiers canadiens en 2019, une hausse de 44% par rapport à l’année précédente, la situation préoccupe grandement le comité permanent de la Condition féminine et le groupe parlementaire multipartite contre l’esclavage moderne et la traite des personnes, tous deux vice-présidés par la députée de Shefford, Andréanne Larouche.


Le ministère fédéral de la Sécurité publique définit la traite de personnes, aussi appelée trafic de personnes ou esclavage moderne, comme le fait «de recruter, de transporter, de transférer, de recevoir, de tenir, de loger discrètement, de soutenir ou d’exercer un contrôle, à des fins d’exploitation, généralement à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail forcé.» Le trafic humain est reconnu au Canada comme un crime haineux.

Comme il s’agit d’une activité clandestine, très peu de statistiques permettent d’en saisir concrètement la portée, c’est pourquoi le rapport du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités de Statistique Canada apporte un éclairage inédit sur le phénomène. Les données ont notamment été obtenues grâce aux dénonciations effectuées via la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes et via le Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC).

Un phénomène en hausse

Selon le rapport publié mardi, l’année 2019 marquait un record du nombre de cas recensés depuis que ce type de crime est comptabilisé, en 2009. Le phénomène tend d’ailleurs à prendre de l’ampleur année après année avec l’ouverture de 1708 dossiers de trafic humain par les forces de l’ordre depuis dix ans. Pour expliquer cette croissance, on hésite entre l’hypothèse d’une augmentation réelle de la traite de personnes ou celle d’une meilleure efficacité des policiers pour intervenir dans ce genre de situation, qui constitue 0,02% de tous les crimes signalés aux autorités.

«Quand j’ai été nommée sur le groupe multipartite, l’an dernier, j’avais moi-même été surprise d’apprendre que [la traite de personnes] avait encore cours au Canada, et encore plus d’en découvrir l’ampleur», commente l’élue bloquiste.

C’est en Ontario qu’on retrouve le plus grand nombre d’interventions policières en la matière, avec plus des deux tiers de toutes les affaires de traite de personnes recensées depuis 2009. Un peu moins de 10% ont été traitées à Montréal.

Les femmes davantage touchées

Parmi les quelque 336 victimes connues en 2019, 95 % étaient des filles et des femmes, dont près de la moitié étaient âgées de 18 à 24 ans. Dans plus de 20% des cas, la victime était mineure.

«Certaines conditions comme la pauvreté et un faible réseau social rendent certaines femmes plus vulnérables; elles deviennent des cibles de choix pour les prédateurs», indique Mme Larouche.

«On sait qu’il y a un corridor qui relie le Québec à l’Alberta. Les femmes sont extirpées de leur milieu et sont emmenées loin de chez elles, là où elles ne connaissent personne et où elles sont souvent confrontées à une barrière linguistique. Elles perdent alors leurs repères et elles sont encore plus vulnérables face à leur agresseur», ajoute-t-elle.

La situation préoccupe grandement le comité permanent de la Condition féminine et le groupe parlementaire multipartite contre l’esclavage moderne et la traite des personnes, tous deux vice-présidés par la députée de Shefford, Andréanne Larouche.

D’ailleurs, les femmes des Premières nations sont particulièrement touchées par cet enjeu, ce qui devrait être souligné dans le rapport du comité responsable d’enquêter sur les femmes autochtones assassinées ou disparues, qui se fait toujours attendre. Selon la plateforme Clic Justice, ces femmes comptent pour 30 à 50% de toutes les victimes de trafic humain au Canada.

À l’inverse, les auteurs de ces crimes sont en grande majorité des hommes (83%), généralement âgés de 18 à 34 ans. Une fois sur trois, il connaissait personnellement sa victime.

Les trafiquants de personnes font rarement face aux conséquences de leurs actes, révèle le rapport de Statistique Canada: dans neuf cas sur dix recensés en 2018-2019, les accusations portées au criminel contre les auteurs présumés de la traite de personnes n’aboutissent pas en condamnation; elles se sont plutôt soldées par un arrêt, un retrait, un rejet ou une absolution.

Prévenir et soutenir

En juillet 2020, Ottawa avait annoncé des investissements totalisant 19 millions de dollars dans le cadre d’une stratégie quinquennale pour s’attaquer à la problématique et pour épauler les victimes et les survivants, en offrant notamment des projets de sensibilisation et des services adaptés. D’ici 2024, ce sont 75 millions de dollars que le gouvernement fédéral souhaite allouer à la lutte contre ce fléau.

Le groupe parlementaire multipartite dont fait partie Mme Larouche entend par ailleurs se pencher sur la question, non seulement pour la documenter, mais aussi pour trouver des interventions qui auraient un impact réel sur le terrain. «C’est le prochain, sinon un des prochains chantiers sur lesquels on veut se pencher, fait valoir la vice-présidente, après les féminicides et les agressions dans l’armée, qui monopolisent actuellement l’attention.»

Déjà, le 22 février a été choisi pour devenir la Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes au Canada

«On souhaitait reconnaître ce fléau et accentuer les efforts de sensibilisation pour qu’on prenne conscience que ça existe bel et bien au Canada», souligne Mme Larouche.

Pour dénoncer en toute confidentialité un cas de traite contre les personnes, la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes (1-833-900-1010) est ouverte 24 heures sur 24.

— Avec La Presse canadienne