À peine arrivé sur place, on est vite mis au jus. Les animaux ne tardent pas à montrer le bout de leurs longues oreilles. Ils sont les attractions de ce domaine de 40 acres où la permaculture dicte sa loi. Il y a là Clémentine, la doyenne du haut de son quart de siècle (voire un peu plus), Lancelot, Katou — « car elle est née un 4 août » —, Charlot et Sabi. Christiane Tétreault est aux petits soins avec ceux qu’elle considère comme des collègues de travail. « J’ai un grand respect pour eux. Je les sors tous les jours, je leur laisse de 2 h à 4 h de liberté », clame cette hyperactive qui leur doit d’avoir appris à ralentir, et « à vivre l’instant présent ».
À l’ancienne et sans bruit
Il y a deux ans, cette Montréalaise décidait de tout plaquer. Elle prenait son conjoint sous le bras pour aller cultiver sa fibre environnementale en Estrie. Exit son quotidien de comptable informaticienne pour elle, et de gérant de café sur le Plateau pour lui. « Notre conscience écologique nous a poussés à acheter une terre », confie cette végétarienne assumée.
Dans leur nouveau chez eux, on trouve notamment une érablière de quelque 1500 arbres. Une partie seulement (358) sert à la fabrication de sirop d’érable. Les tubulures qui occupaient le terrain avant leur arrivée ont laissé place à des chaudières. Pas la moindre trace non plus de pompe et autre machinerie. « On voulait que ce soit le plus artisanal possible et travailler sans bruit. C’est peut-être plus fastidieux, mais c’est aussi plus intéressant! » s’enflamme Mme Tétreault.
L’eau récupérée atterrit dans deux réservoirs de mille litres, avant de prendre la direction de la cabane à sucre pour le processus d’évaporation. Là aussi, la méthode traditionnelle est privilégiée. « On utilise un évaporateur au bois. On fait bouillir l’eau pendant 14 heures et on rajoute du combustible toutes les 10 minutes. » Fastidieux, en effet.
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Quand l’eau n’est pas récoltée manuellement, ce sont les ânes qui s’en chargent. Pour le moment, un seul d’entre eux est équipé pour le faire; les chaudières sont attachées à un bât. Les animaux ne se contentent pas de transporter ce précieux liquide, ils participent aussi aux travaux dans les champs. « Ça a demandé beaucoup d’éducation et d’entraînement, mais aussi de la patience », sourit la copropriétaire de la Ferme Anecdotes.
Visites éducatives
En décidant d’ouvrir cette activité symbolique du temps des sucres au public, Christiane Tétreault souhaite partager une parcelle de son quotidien, mais aussi son désir ardent de protéger la planète, à son modeste niveau et sans faire de prosélytisme. « Toutes nos visites sont éducatives et se déroulent dans un esprit familial », fait valoir cette autodidacte.
Les premiers visiteurs accueillis durant la fin de semaine du 20 mars sont repartis enthousiasmés, rapporte-t-elle. « Ce que les gens apprécient, c’est de savoir comment tout ça fonctionne. Ils sont ravis lorsqu’ils constatent qu’il y a de l’eau d’érable dans les chaudières. Ça reste un moment magique. »
Pour 2022, Christiane Tétreault a déjà quelques idées en tête. L’ajout d’une charrette qui serait tirée par les ânes pour acheminer l’eau en fait partie, avec toujours la volonté de travailler en silence.
Pour participer à l’expérience des sucres proposée par la ferme, il faut compter environ deux heures. « Je présente les ânes et l’érablière, mon copain aborde pour sa part le processus de fabrication de sirop d’érable », détaille-t-elle. Sans oublier la tire d’érable qui vient ponctuer cette immersion pédagogique. La neige est placée dans un bac spécialement conçu par elle, qui rappelle l’animal emblématique des lieux.
Forcément.
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LE PARI DE L'AUTOSUFFISANCE
En décidant d’acquérir une ferme dans la région, Christiane Tétreault et son compagnon Normand Beaudry ont aussi fait le pari de l’autosuffisance.
Si, dans la réalité, ce n’est pas encore tout à fait le cas, les propriétaires de la Ferme Anecdotes ne ménagent pas leurs efforts pour subvenir à leurs besoins. L’autonomie alimentaire est bien entendu au cœur de ce défi. Pour y parvenir, ils ont misé sur la permaculture, un mot à la mode synonyme d’abondance.
Un premier jardin de 3000 pieds carrés, cultivé selon ce principe, a vu le jour l’an passé, avec des résultats qui ont dépassé leurs attentes. « Rien que pour les tomates, on en a récolté 600 à 800 livres », révèle Mme Tétreault. « On a choisi de jardiner en lasagne », poursuit-elle en faisant référence à cette technique sans labour qui utilise des couches de matériaux compostables. Dans le cas qui les concerne, ce sont 12 couches d’un pouce d’épaisseur qui ont été superposées avec une alternance carbone azote. « On a notamment utilisé du bois mort, du fumier d’âne, du gazon, des feuilles mortes et des fougères », ajoute celle qui n’avait pas le pouce vert avant de s’installer en Estrie.
Cette année, quatre jardins supplémentaires devraient voir le jour sur la ferme. « Ils utiliseront d’autres méthodes d’amendement des sols », fait savoir la copropriétaire en précisant que leur objectif est de produire environ 250 variétés de légumes, de fruits et de fleurs, « comestibles ou utiles », sur l’ensemble des parcelles. OLIVIER PIERSON